Citations sur Mon frère Yves (13)
L’air avait quelque chose de tellement terne, de tellement éteint, qu’on ne pouvait se figurer qu’il y eût quelque part un soleil ; on en avait perdu la notion. On se sentait emprisonné sous des couches et des épaisseurs de grosses nuées humides qui vous inondaient ; il ne semblait pas qu’elles pussent jamais s’ouvrir et que derrière, il y eût un ciel. On respirait de l’eau. On avait perdu conscience de l’heure, ne sachant plus si c’était l’obscurité de toute cette pluie ou si c’était la vraie nuit d’hiver qui descendait.
- Allons encore jusqu'à la chapelle de Saint-Eloi, dit Yves.
Elle est en haut de la colline, bien antique, toute rongée de mousse, toute barbues de lichens, seule toujours, fermée et mystérieuse au milieu des bois.
Elle ne s'ouvre qu'une fois l'an, pour les pardons des chevaux, qui viennent tous alentour, à l'heure d'une messe basse qu'on dit là pour eux.
p. 341
Alors lui me répondit avec un air de reproche triste :
« Au moins, vous savez bien, frère, que je suis changé maintenant et qu’il y a quelque chose qui est bien fini ; ce n’est pas de cela que vous voulez parler ? »
Et, moi, je serrai la main de mon frère Yves, en essayant de sourire comme quelqu’un qui aurait tout à fait confiance.
Les histoires de la vie devraient pouvoir être arrêtées à volonté comme celles des livres…
Le petit Yves, qui sautait pieds nus dans les sentiers de Plouherzel, était le germe inconscient du marin de plus tard.
Le livret de marin de mon frère Yves ressemble à tous les autres livrets de tous les autres marins.
Il est recouvert d'un papier parchemin de couleur jaune, et, comme il a beaucoup voyagé sur la mer, dans différents caissons de navire, il manque absolument de fraicheur.
En grosses lettres il y a sur la couverture : Kermadec, 2091 P.
Kermadec, c'est son nom de famille ; 2091, son numéro dans l'armée de mer, et P, la lettre initiale de Paimpol, son port d'inscription ...
Cette dentelle de granit qui nous soutenait en l’air était polie, rongée par les vents et les pluies de quatre cents hivers. Elle était d’un gris foncé à reflets roses ; il y avait dessus, par plaques, ce lichen jaune, cette mousse du granit qui met des siècles à pousser et qui jette ses tons dorés sur toutes les vieilles églises bretonnes. Les gargouilles à laide figure, les petits monstres aux traits vagues, qui vivent là-haut dans l’air, grimaçaient à côté de nous au soleil, comme gênés d’être regardés de si près, comme s’étonnant en eux-mêmes d’être si vieux, d’avoir essuyé tant de tempêtes et de se retrouver en pleine lumière. C’était ce monde-là qui avait présidé de haut à la naissance d’Yves ; c’était ce monde aussi qui de loin nous regardait avec bienveillance passer sur la mer, quand nous ne distinguions, nous, qu’une indécise flèche noire. Et nous faisions connaissance avec lui.
A cet instant il était irresponsable, il cédait à ses influences lointaines et mystérieuses qui lui venaient de son sang. Il subissait la loi de l’hérédité de toute une famille, de toute une race
Le regard anxieux et profond fixé sur moi me causait une impression étrange. C’était pourtant vrai que toutes les mères, quelle que soit la distance qui les séparent, ont, à certaines heures des expressions pareilles. Maintenant il me semblait que la mère d’Yves avait quelque chose de la mienne
Le forban couvait déjà, paraît-il, sous le petit sauvage breton ; le petit Yves, qui sautait pieds nus dans ces sentiers de Plouherzel, était le germe inconscient du marin de plus tard, indompté et coureur de bordées.
Tout près de moi, la respiration à peine perceptible d'Yves, déjà endormi d'un sommeil profond.