Citations sur De cendres et de larmes (50)
Alzheimer. Cette terrible façon de partir comme on prendrait le train en oubliant ses enfants sur le quai.
Depuis que Madeline avait lié son destin à cet homme, il végétait en catégorie C comme agent d’entretien des espaces verts à la mairie du XIIe. Le fonctionnaire fuyait les postes à responsabilité et toute opportunité d’évolution qui l’auraient confiné dans un bureau. « Gagner peu pour vivre plus » était sa devise. Et cela convenait à Madeline et aux enfants, ce papa poule je-m’en-foutiste, incollable sur les plantes, les essences forestières, la mouche mineuse, l’évernie du prunellier, la phalène du bouleau, le trèfle rampant et la saga La Planète des singes. Toujours prêt pour une promenade à vélo, une projection à la Cinémathèque ou un apéro pique-nique dans le bois de Vincennes. Rien ou si peu ne paraissait le préoccuper sinon l’idée de voir grandir ses enfants – pas trop vite, mais assez tout de même pour qu’ils puissent regarder ensemble des films en V.O. - et d’être aimé de sa femme.
Elle serait gréviste pour combattre un feu d’une autre nature : l’embrasement d’une profession. En treize ans, les conditions de travail s’étaient dégradées et les interventions pour des missions qui ne relevaient pas de leurs compétences multipliées. Ce qu’elle affrontait avec ses hommes au quotidien était la conséquence d’une détérioration inéluctable du système médical, éducatif et judiciaire. Les incivilités verbales ou physiques rongeaient le moral des troupes. Tous étaient aptes à la douleur, en capacité de porter un adulte sur leur dos, bravant les flammes. Encaisser cette violence était une autre affaire. Un crachat sur l’uniforme et des jets de pierre contre le casque renversaient tout, mettaient au supplice.
Petit, il croyait que l’eau d’un ruisseau était si pure qu’elle pouvait laver jusqu’au chagrin et qu’on aspirait le bleu du ciel dans ses poumons si on ouvrait grand la bouche.
Madeline regrettait de s’être laissé convaincre par les enfants de tenter une sortie, séduite par la perspective d’un anniversaire de mariage romantique sans mouflets penchés sur le gâteau, guettant le partage du faux parchemin en pâte d’amande tels des vélociraptors ou se disputant le macaron framboise de déco.
Quelque chose était à l’œuvre… Un mauvais feu, solide et vicieux, dont le parfum âcre se rependait bien au-delà de l’île de la Cité, jetait sur ses hommes son lasso. Soixante mètres plus bas, sur le parvis de Notre-Dame, des tuyaux s’entrelaçaient comme des serpents ondulant vers leur proie dans la clameur des sirènes. Frénésie des flammèches. Des exclamations fusèrent. Tournés vers un point du ciel, les visages se figeaient les unes après les autres. Madeline leva les yeux : le squelette incandescent de la flèche cédait. Sa pointe bascula telle la cime d’un arbre foudroyé. Des craquements formidables suivis d’un bruit sourd ébranlèrent le toit. Transpercés par sa chute, une partie de la voûte et des échafaudages s’effondrèrent. L’ordre d’évacuer tomba aussitôt.
« Madeleine se mordit la lèvre. Un courant d’air froid pénétra la maison. De ces œuvres abstraites , de ces mots tus, cachés, empêchés , écrasés , tracés à l’encre ou au crayon, de ces lignes dégradées , souillées, gagnées par la flétrissure, elle percevait la puissance et la grâce, mais aussi cette part dérangeante , inquiétante et sombre comme un ciel d’orage » ….
L'uniforme qu'elle portait n'était qu'un subterfuge, un leurre, un mythe pitoyable sur l'égalité des sexes. Au fond, qu'avait-elle fait sinon ajouter à son utérus un option tout-terrain lui permettant d'être à la fois mère et sapeur-pompier?
« Fil des fleurs, vous naissez
comme nous du Désir,
Et le Désir, aux jours sacrés
des fleurs écloses,
Sait rassembler votre âme éparse
dans les choses ,
Votre âme qui se cherche et ne peut se saisir » …
ANATOLE FRANCE , les arbres .
Les souterrains éclairés par des rafales de néons semblaient ouvrir le ventre du Monde.
On les amena dans un camp à Paris. Dans des cabanes, adossées à un pont sur une voie de chemin de fer désaffectée, harcelées par le vent, là où aucun rêve n'a jamais germé.