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Critique de Creisifiction


Récit intime, cru et bouleversant, En Finir avec Eddy Bellegueule m'a semblé par moments pouvoir rejoindre cette famille littéraire qui s'est particulièrement illustrée aux temps forts de l'existentialisme et dont certaines oeuvres, parfois parrainées par un Sartre ou une Simone de Beauvoir eux-mêmes, ont marqué les esprits de plusieurs générations de lecteurs. Je pense ici par exemple, à « L'Asphyxie », de Violette Leduc, ou à « L'Astragale », d'Albertine Sarrazin....Ou comment -pour paraphraser Hannah Arendt- «la banalité de la méchanceté ordinaire » peut provoquer des ravages insoupçonnés sur des individus dont la différence et la sensibilité à fleur de peau semblent en mesure de réveiller les pires instincts dont Homo Sapiens sait faire preuve envers ses congénères ! Il faut dire que depuis la horde primitive et jusqu'à aujourd'hui, une « méchanceté sociale et ordinaire » est régulièrement pratiquée par cette espèce singulière, à son tout premier niveau et soi-disant « gentiment », vis-à-vis de « petites différences » que présentent certains individus par rapport à une norme collective. En effet, qui ne se serait pas livré n'est-ce pas, au moins une fois dans sa vie, à une de ces petites moqueries banales et « pas méchantes » sur les moches, les petits, les gros, les strabiques, ceux qui bégayent ou qui s'expriment mal, les ploucs, les blondes, les chauves...et que sais-je d'autre, j'en passe des moindres et des pires ! ? Ce n'est pas si grave, dirait-on ! Oh ! Ce ne sont que des blagues innocentes, les mêmes qui nourrissent d'ailleurs une certaine forme d'humour, socialisée qui plus est... Car il faut tout de même pouvoir se moquer un peu des uns et des autres, juste pour rigoler – non ? Puis ne soyons pas excessivement «politiquement correctes», et puis encore qu'en est-il de la liberté d'expression en ce temps dangereux de revendications communautaires et extrémistes, etc...etc... etc... !

Certes. N'oublions pas néanmoins que quand cette forme d' « humour » s'exerce sur des individus en particulier, cela peut être blessant, parfois très blessant - même si la plupart du temps, en apparence, quand on en est la cible, l'on se sentira plus ou moins obligé « d'encaisser » voire d'en rire comme les autres.. N'oublions pas enfin que toute forme de moquerie adressée est susceptible non seulement d'affecter plus ou moins les personnes qui en font l'objet, selon leur sensibilité, leur histoire personnelle, mais aussi, suivant les situations et leur fréquence, de faire, parfois insidieusement, franchir les limites pouvant conduire , in fine, à des formes plus ou moins graves de harcèlement (celles-ci étant par ailleurs en train de se multiplier de manière très importante, particulièrement violentes et cruelles, via les réseaux sociaux actuellement).

Transposée ici en Picardie, dans un environnement social ravagé par la misère, le chômage, l'alcoolisme, le récit des mécanismes familiaux et sociaux de violence physique et morale qu'elle engendre, et que l'auteur dissèque sans concessions, peut conduire par moments les lecteurs plus sensibles aux limites de ce qui peut être humainement supportable... Quant à la souffrance qui en découle, elle y est décrite sans le moindre pathos, sans autre forme de victimisation, de manière quasiment « chirurgicale » et allant même jusqu'à montrer, sans fausse pudeur, à quel point elle peut donner naissance à des attitudes paradoxales, d'identification et d'empathie vis-à-vis de l'agresseur ( par exemple, lorsque le narrateur, voyant l'un des collégiens ayant pris l'habitude de le frapper et de lui cracher dessus, « l'air peiné », éprouvera « de la compassion » pour ce dernier , ou à d'autres moments où il se sentira de manière irrépressible attiré sexuellement par ses agresseurs).

Récit autobiographique, roman ou autofiction ? En définitif, peu importe, car En Finir avec Eddy Bellegueule reste avant tout une témoignage brutal, incisif, rugueux, mais nécessaire, dont les qualités littéraires indiscutables ne rendent que plus percutant et universel.
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