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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Écrire une chronique sur Lucrèce n'est pas une chose simple pour moi. Pourtant j'y pense depuis que ce blogue existe. Mon édition en Livre de poche a commencé à jaunir (cela marque le temps comme les cernes du bois...). Et je ne compte pas faire une copie du livre, comme devaient le faire les moines à cette époque... Copies qui ont permis de sauver l'oeuvre, l'original ayant été perdu. le récit ne cadrant pas avec l'idéologie dominante, peu d'efforts semblent avoir été déployés pour le conserver. Il faut dire que les thèses avancées par ce poète philosophe ou philosophe poète, – difficile de donner une priorité à l'un ou à l'autre tellement le personnage est inclassable et mystérieux –, sont en totale rupture avec les croyances officielles.

Tout a commencé avec Épicure (philosophe grec ayant vécu de 342 av. J.-C. et mort en 270 av. J.-C). Pour la première fois un penseur avait osé regarder la nature pour l'affronter d'une autre manière que par la « pensée magique », trouver les principes de toutes choses en dehors de l'explication religieuse, se libérer de la peur pour atteindre une forme de vie heureuse en tenant la crainte à distance... Au passage, n'est-ce pas toujours d'actualité ?

En le traduisant à sa manière plusieurs siècles après, du grec au latin, Lucrèce est le passeur essentiel et habile de la pensée d'Épicure, les écrits de celui-ci ayant presque totalement disparus....

Je ne conseille pas de lire l'introduction que j'ai trouvée curieusement bien moins abordable que le texte... Ainsi nous parvenons d'emblée à la page 79. Pourquoi cette mise à distance philosophique savante alors que le poème se lit facilement, expliquant implicitement qu'on a tous besoin – pas seulement les étudiants – de philosophie, de beauté par l'art, de culture pour atteindre une forme de sérénité et de bonheur ?

Quelques-uns des thèmes principaux parcourant ces six chants :

L'intuition scientifique.
Dans la pensée épicurienne et la forme particulière qu'elle revêt chez Lucrèce, l'intuition précède la connaissance, intuition émergeant à partir de l'observation. Plusieurs siècles avant notre ère, des hommes avaient appréhendé l'univers, que le grand tout était, en dépit des apparences, fait en grande partie de vide. Ils avaient imaginé les petites briques spécifiques de matières, leurs combinaisons communes aux hommes, aux animaux (mis sur le même plan que l'homme), aux objets et à toute la nature. Ils les avaient nommés atomes, termes qu'ils nous ont légués ! Et tout cela en observant les grains de poussières dans les rayons du soleil (repris au premier atomiste, Démocrite, 4ème s. av. J.-C). Bien d'autres observations passionnantes sur les nuages, le tonnerre, les tremblements de terre sont présentes sous une belle forme poétique.

Je ne développe pas la notion de clinamen, celle-ci ayant fait couler beaucoup d'encre. Des débats qui m'ont toujours étonné car que dit Lucrèce sinon qu'il n'y a pas prédestination au mouvement. Avec le clinamen il introduit une variation à laquelle j'associe les mutations de la vie, la non répétition des choses à l'identique, jamais...

La poésie.
Différents chants commencent par Vénus, par l'amour que le poète présente dès le chant I, avant les atomes, avant l'univers et en cela je lui donne raison car que serait la science pour l'homme sans l'amour... – voilà pourquoi ce titre sera classé en poésie sur ce blogue. Cette forme poétique de philosophie a peut-être sauvé l'oeuvre et l'homme ? Giodarno Bruno aura moins de chance, reprenant les thèses de Lucrèce, il sera brûlé à la fin du XVIe siècle. Pas facile la vie de précurseur ou d'artiste sincère !

La philosophie.
Est mis en avant l'importance de la nature, le refus de l'éthique de la souffrance rédemptrice et éducative, l'art de penser par l'imagination. C'est l'homme rationnel réunissant la science cosmique et la sensibilité artistique. Lucrèce indique l'utilité de penser de concert la science, la philosophie et l'art sous toutes ses formes. L'art de vivre est aussi abordé de belle manière :

Le chant III est consacré au corps, à la mortalité de l'âme et à la peur de la mort. La charge contre les excès de la religion est forte et n'a pas d'égale dans toute l'Antiquité. N'oublions pas que Lucrèce vit à une époque de guerres civiles féroces tout comme un fervent admirateur lointain, Michel de Montaigne.

L'humour.
Lucrèce pratique l'art de la réfutation par l'absurde et j'ai trouvé souvent cela très drôle. Ce n'est pas usurpé de parler d'oeuvre totale !

Influences.
Cette oeuvre a permis de diffuser la pensée d'Épicure dont les écrits ont en grande partie disparu. Elle a influencé nombre d'écrivains et de philosophes dont Michel de Montaigne. On en retrouve les vibrations sensibles chez Jean de la Fontaine, Molière et bien d'autres que je ne peux pas tous citer ici et qui s'en sont inspirés. Montaigne le cite abondamment dans Les Essais. Molière aurait traduit Lucrèce ? Des thèses argumentées, sérieuses, ont retrouvé le poète latin à travers la dénonciation de l'hypocrisie et de la superstition (Le Tartuffe, le Misanthrope...). Je pense pour ma part au phrasé chantant particulier d'André Comte-Sponville, dont la philosophie puise abondamment dans Épicure, Lucrèce, Montaigne.

Biographie en quelques mots. Consigne très facile à respecter : on ne sait pratiquement rien de sa vie ! Il serait né en 98 av. J.-C. et mort en 55 av. J.-C. Les informations nous sont parvenues par saint Gérôme (fin IVe – début Ve siècle) affirmant que Lucrèce aurait été précipité dans la folie par un philtre d'amour, après avoir écrit quelques livres dans des périodes de lucidité – livres que Cicéron corrigea --, qu'il se serait tué de sa propre main à l'âge de 43 ans. C'est bien peu et très dévalorisant pour un auteur qui n'était pas, malgré sa valeur artistique et scientifique, en odeur de sainteté.

Cette chronique sur un livre placé tout en haut de ma PLE (pile des livres essentiels...) est terminée. J'espère qu'elle donnera à quelques lecteurs, qui ne connaissent pas ce chef-d'oeuvre, l'envie de le découvrir, ne serait-ce que par bribes, ce qui est tout à fait possible, chaque chant étant précédé d'une page de présentation des sujets abordés ainsi que les numéros des vers concernés. Les six chants de Lucrèce sont plus courts qu'il n'y paraît lorsqu'on enlève l'introduction et en ne lisant que les pages de droites... sauf les férus de latin qui ne sont plus aussi nombreux que les légions romaines !

Certains avis m'étonnent en voyant un texte pessimiste... Il est vrai que la fin du sixième et dernier chant Origine et causes des épidémies est uniquement descriptif, on y sent un désarroi quant à des explications impossibles à imaginer à cette époque. L'atome a été pensé, nommé, alors qu'il faudra encore des siècles pour faire de même avec les virus et bactéries. Texte pessimiste alors qu'il développe une pensée permettant de dépasser les peurs vaines ? Ce n'est pas ma lecture, bien au contraire, et je serais curieux d'avoir votre avis si vous avez lu ou comptez lire ces poèmes philosophiques ou cette philosophie poétique...
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Retrouvez cette chronique avec les illustrations sur Bibliofeel, lien ci-dessous

Lien : https://clesbibliofeel.blog
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De la nature est présenté comme un grand poème, une ode à la nature, mais les sujets qu'il aborde et les questions qu'il soulève sont essentiellement de nature philosophique et scientifique.
Les raisonnements présentés sont parfaitement stupéfiants quand on se rappelle qu'il a été rédigé il y a plus de 2000 ans, un siècle avant les débuts du christianisme. L'existence des atomes est déduit de l'observation, observation qui ne sera confirmé par la science (et accepté) que vers la fin du 19e siècle! D'ailleurs les Anciens avaient observés de nombreux phénomènes étranges comme la rame plongée dans l'eau et dont la hampe semble remonter vers la surface à cause d'un phénomène de diffraction des rayons.
Ce « poème » déduit que l'espace n'a pas de limites (ce que la science actuelle ne contredit pas), que les dieux n'interviennent pas dans les affaires humaines car « quels si grands avantages pourraient-il espéré de notre reconnaissance qu'ils en prennent envie de tenter quoi que ce soit en notre faveur? », que la terre et le ciel connaîtront une fin (ce que la science actuelle confirme), que l'âme et la pensée sont mortelles.

Que 2000 ans après de telles constatations, les religions soient encore aussi florissantes et en santé est proprement stupéfiant à première vue. Comment des mythes aussi loufoques et invraisemblables peuvent-il perdurer si longtemps? Seraient-ils porteurs d'une quelconque vérité? Évidemment brûler, pendre, écarteler et torturer tous les hérétiques pendant des siècles comme le fit la Sainte Inquisition catholique explique en partie la longévité de cette religion: vaut mieux croire ou faire semblant de croire que de mourir brûlé.

Cependant, on peut tirer d'autres conclusions: de un, la plupart des humains préfèrent croire ce qui leur plaît et ce qui les flattent plutôt que de savoir ce qui se passe vraiment dans la réalité. Plus important encore, la religion a une fonction sociale liée à la survie de l'espèce (Darwin), à la vie ordonnée en société par l'inversion de nos passions positives à l'état de nature (meurtre et destruction) en valeurs négatives (pitié et compassion), mais qui rend possible à vie en société (Généalogie de la morale, Nietzsche). La religion ne détient pas la Vérité, mais elle a une fonction fondamentale, voilà la raison de sa longévité. Il est même aisé de prédire qu'on ne peut pas la déraciner et que, toujours, la plupart des humains croiront en un mythe quelconque. Il le faut d'ailleurs pour éviter l'anarchie.

Lucrèce se fourvoie dans le chapitre sur les simulacres. La nature de la lumière échappe aux Anciens. Ce n'est d'ailleurs qu'avec Newton et ses expérience de diffraction que nous allons commencer à comprendre un peu. La voûte céleste, la nature des étoiles de la lune, du soleil et les éclipses sont des phénomènes sujet à débat à son époque. La foudre, les tremblements de terre, le magnétisme et la peste sont autant de sujets qu'il tente tant bien que mal de rendre compte. Une lecture recommandée que tout le monde devrait faire une fois dans sa vie même si pour nous, modernes, certains passages sont un peu long et fastidieux.
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« de la nature » est une formidable révélation et constitue pour moi un parfait prolongement aux rares textes connus au final assez austères d'Epicure.

J'ai trouvé la matérialisme radical de Lucrèce et son refus des religions particulièrement actuel et en phase avec le monde occidental moderne même si celui-ci n'est pas encore parvenu à se débarrasser de la peur de la mort.

Outre le fond, souvent captivant, on se laisse bercer par la beauté poétique d'un style exceptionnel à la fois clair et élégant.

« de la nature » a constitué une magnifique bouffée d'oxygène et il n'est pas étonnant que Lucrèce par l'audace de ses positions fut longtemps banni par les autorités religieuses des diverses époques d'où son relatif anonymat.
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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Le poème romain de la philosophie épicurienne.
Lucrèce brosse un tableau du monde entièrement matérialiste et sensualiste dans lequel les dieux n'ont plus vraiment de rôle. Les dieux sont encore là mais ils n'agissent plus. Tout ce qui arrive dans le monde est le résultat de l'activité du monde lui-même, sans l'action de la providence. L'homme lui-même est partie intégrante de la nature.
Cette vision du monde doit conduire à l'absence de peur, de la mort notamment, car celle-ci n'est rien d'autre que le passage d'un état à un autre d'un être vivant, dans la grande boucle de la vie.
Si ce texte garde encore sa puissance aujourd'hui (alors que beaucoup de ses affirmations ont été dépassées par les apports des sciences naturelles) c'est sans doute parce qu'il constitue un bel exemple de l'exercice de la pensée à l'état pur, exercice qui reste encore aujourd'hui une des composantes essentielles de la vie de l'esprit.
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Pour l'apprenti latiniste que j'ai été, Lucrèce était un auteur exigeant (beaucoup d'archaïsmes et une écriture un peu rude), mais quel bonheur de découvrir l'épicurisme à la source !
L'épicurisme antique était en fait bien loin de l'image dévoyée actuelle, qui a été propagée par l'Eglise pendant 2000 ans. Il prônait la recherche de la vérité, le dédain des choses périssables, l'horreur du préjugé et du dogmatisme religieux.
« Qui plus enfanta d'atroces actions,
Plus de hideux forfaits, que les religions ? »
Au-delà de ce témoignage historique unique sur le système lui-même (les déductions rigoureuses de l'école sont tout de même un peu austères), Lucrèce a mis des mots sur ses ressentiments et ses douleurs, qui font toute l'originalité du récit. Il a vécu en effet une des périodes les plus noires de l'histoire de Rome (guerre civile, coups d'état, épidémies) et l'homme lui-même met à nu ses plaies. Certaines pages témoignent de son horreur de la guerre et de la maladie. Que la doctrine d'Epicure a dû lui paraitre belle et salutaire en affirmant que l'ambition et la cupidité sont la cause de nos malheurs !
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Cet ouvrage est d'une grande importance historique. C'est un des exposés de la doctrine épicurienne les plus complets qui nous soit parvenu, sous la forme d'un poème.

L'auteur se dit fidèle à la doctrine de son maître, et on est bien obligé de le croire sur parole. Ce qu'il dit coïncide d'ailleurs avec ce que l'on sait avec certitude de l'épicurisme originel. Mais on sent chez Lucrèce une inquiétude, un tragique bien absent de chez son maître.

Un des passages qui m'a le plus marqué dans cet ouvrage, pour la petite anecdote, est celui où Lucrèce parle sans la nommer de sélection naturelle, et de survie des seuls individus les plus aptes. du darwinisme bien avant l'heure, donc.
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Mon auteur latin favori.
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Livre étonnant par le biais des atomes (les corps premiers) tout est expliqué le vent le feu la terre meme les humeurs humaine l'amour la haine et la mort dont nous n'avons rien à craindre(sublime passage sur la peste).Vraiment un livre à lire et à relire.J'ajouterai que la forme poétique sied à ravir au style et au message transmis. On apprends beaucoup merci Lucrèce.
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