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Citations sur Lumières de Pointe-Noire (63)

A ses yeux j'étais le prolongement de son existence, la lueur ultime dans la traversée d'un tunnel incommensurable. J'étais le signe indéniable d'une immortalité qu'elle aurait enfin acquise lorsque je me délivrai de son ventre dans un bâtiment délabré du district de Mouyondzi en cette nuit à la fois torride et glaciale du 24 février 1966 où la lune peinait à intimider les ténèbres tandis que les coqs s'impatientaient à annoncer l'aube d'un autre jour. Incrédule devant un bonheur à peine altéré par le souvenir de la débâcle de mon géniteur, elle posait avec angoisse ses mains fébriles sur ma poitrine, vérifiais que je respirais encore, que je n'étais pas une apparition qui se déroberait dès qu'elle aurait le dos tourné.
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Je l'appelais «grand-mere Hélène », elle était en rélite ma tante et habitait dans la rue de Louboulou, juste derrière le domicile de tonton Albert. Elle marchait pieds nus, s'arrêtait devant chaque parcelle pour offrir des légumes, des fruits, du manioc, du foufou ou une dame-jeanne de vin de palme. Elle était de ceux dont on croirait qu'ils sont nés déjà vieux, édentés, avec leurs cheveux blancs et une démarche hésitante de gastéropode égaré, tant il était impossible de s'imaginer que grand-mère Hélène aussi avait été jeune, On ne pouvait déterminer son âge, elle-meme l'ignorait, ayant vécu sans pièce d'identité et sans acte de naissance. En son temps, pour obtenir ces documents, il fallait se rendre auprès des autorités coloniales qui mesuraient la taille, regardaient la dentition et affectaient une année de naissance approximative avec la fameuse mention Né(e) vers... Ni son mari, Vieux Joseph, ni elle ne firent le déplacement, d'autant que plusieurs chefs coutumiers qui ne manquaient pas d'imagination dans le combat contre l'administration coloniale propageaient des rumeurs selon lesquelles les Blancs avaient un plan secret : emporter en Europe l'âme de ceux qui accepteraient de se faire établir des documents d'état civil.
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Lors de la réunion familiale organisée pour fêter mon arrivée, j'ai remarqué deux chaises vides en face de moi et deux verres remplis de vin de palme posés devant chacune d'elles. Tout le monde avait une explication, sauf moi. Pour en avoir le cœur net j ai demandé si on attendait encore deux personnes car nous étions déja plus d'une trentaine dans cette parcelle laissée par ma mère. Une cousine m'a chuchoté dans l'oreille, d'un air embarrassé - c'est ta mère et ton père qui sont assis sur ces deux chaises. Toi tu crois qu elles sont vides, mais elles sont occupées... Et elle a précisé qu'il manquait d'autres membres de la famille qui reposent au cimetière Mont-Kamba, la nécropole des petites gens située à l'autre bout de la ville...
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Le regard de l'inconnu est presque humide, comme si des larmes allaient couler de ses yeux. II considère un instant la bouteille de bière et enchaîne:
- Monsieur l'écrivain, tu ne sais pas ce qui s'est passé dans ce pays de merde. C'était terrible ! Les journaux n'ont pas dit la vérité parce que ces journaux, c'est écrit par qui, hein ? Par des espions, c'est-à-dire les Français ! Depuis quand les Français disent la vérité ? Ils mentent tout le temps! Moi j'ai vu cette guerre de mes propres yeux, j'étais là, j'étais dans le groupe des réfugiés. Parfois des femmes enceintes accouchaient dans la brousse parce que, entre nous, les bébés ils naissent même quand y a le pétrole et la guerre dans un pays. Le pire c'est qu'on continuait à faire l'amour pendant que la guerre tuait des gens en pagaille. Tu me demanderas certainement pourquoi n'avoir pas attendu la fin de la guerre pour faire l'amour ? Ah non, on ne pouvait pas attendre la fin de la guerre sinon on allait oublier comment faire 1'amour et, à la fin de cette putain de guerre, on aurait fait l'amour avec les animaux ! C'était pas nouveau : dans l'histoire de ce monde il paraît que des gens faisaient même l'amour alors qu'il y avait le choléra...
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Le bruit courait , que dans certaines tribus ,que dès que quel qu 'un mourait ,on se disputait son cadavre pour se garantir au moins une semaine entière de nourriture .
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J'ai maintenant beaucoup de « nièces » et de « neveux ». Un petit groupe m'entoure dans la parcelle de tonton Albert, avec de gros yeux qui me dévorent, de petites mains qui me tirent par la chemise. Dès que je bouge d'un pas, cette tribu bourdonnante me suit, et si je m'arrête, elle s'arrête aussi, sans doute de peur que je disparaisse. Pour ces mômes je suis une apparition, une ombre qui s'évanouira lorsque le soleil se couchera. Dans leur esprit je ne suis qu'un personnage habilement construit par leurs parents, au point que les pauvres bambins s'imaginent que je pourrais donner des jambes aux paralytiques et la vue aux aveugles. Un d'entre eux - le plus grand de taille - me renifle tel un chien essayant de reconnaître son maître trop longtemps absent. Chacun veut parler le premier. Untel veut des sandales et se lance dans des explications amphigouriques :
- Parce que, tonton, tu comprends, quand tu n'as pas de sandales neuves, tu peux pas arriver à l'heure en classe, tu dois les réparer dans la rue pendant deux heures, et quand tu expliques ça au maître, lui il ne veut pas comprendre, il dit que tu n'es qu'un petit menteur alors que c'est même pas vrai que moi je peux mentir ! Est-ce que toi tu me crois, tonton ?
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Manger une pomme était un privilège dans la ville. C’était, pour nous, un des fruits les plus exotiques venus des régions au climat froid. En la croquant je sentais pousser en moi des ailes qui me portaient loin. Je humais d’abord le fruit les yeux fermés, avant de le croquer goulûment comme si je craignais que quelqu’un vienne me demander un petit bout et gâche du coup le plaisir que j’aurais de broyer même les pépins puisque personne ne m’avait appris comment manger une pomme.
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Le président Marien Ngouabi fut assassiné par son entourage en 1977, mais les hommes politiques lui ayant succédé poursuivirent à la lettre sa ligne du "socialisme scientifique" mâtiné d'un peu de capitalisme tropical.
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Il n'y a plus de cinéma dans cette ville, et cela dure depuis les années 1990 où la population a vu se propager les Églises de Réveil qui ont pris d'assaut la plupart des salles dédiées au septième art. Le cinéma Rex, espace mythique de projection de films, est devenu une église pentecôtiste dénommée La Nouvelle Jérusalem, avec ses pasteurs endimanchés qui annoncent l'Apocalypse à tour de bras, menacent les mécréants des flammes de la géhenne et promettent à leurs ouailles miracles et fortunes. La désillusion se lit sur les mines des aveugles, des sourds, des muets et des paralytiques. Ils traînent dans les parages et espèrent une guérison divine.
C'est pourtant là que nous nous attroupions et attendions chaque matin le collage de l'affiche du film qui serait projeté à partir du début de l'après-midi. C'est aussi là que nous acclamions les aventures de Bud Spencer et Terence Hill dans On l'appelle Trinita, On continue à l'appeler Trinita ou Deux Super-Flics. C'est encore là qu'un portier, boxeur professionnel au visage de truand du Far West, faisait la loi, nous indiquait où nous devions nous placer dans la queue. Il travaillait avec ses gants de boxe autour du cou et, au moindre remue-ménage dans la foule, il les enfilait. Nous étions ses sujets, nous devions nous plier à sa volonté, à ses caprices au risque de prendre un uppercut qui nous enverrait tout droit à l'hôpital Adolphe-Sicé. Il vous éjectait de votre siège selon son humeur afin de placer un de ses parents ou quelqu' un qui l'avait soudoyé, et vous n'aviez plus qu'à vous asseoir par terre. II laissait entrer les gamins à une séance interdite « aux moins de dix-huit ans » moyennant une pièce de cent francs CFA. Autant que je m'en souvienne, c'était lui le responsable direct de la plupart des rixes devant le cinéma ou à l'intérieur, comme s'il tirait profit des lieux pour appliquer ce qu'il avait appris dans la salle d’entraînement. Puisqu'il était laid, on l'avait vite surnommé « Joe Frazier » en écho aux propos de Mohamed Ali qui traitait son opiniâtre concurrent de la sorte.
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J 'ai certes grandi,mais la croyance demeure intacte protégée par une révérence réfractaire à la tentation de la Raison .Et je ressens encore plus cette foi depuis que je suis
revenu au bercail après plus de vingt-trois ans d 'absence .
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