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Critique de JustAWord


Si le nom de Lovecraft est aujourd'hui bien connu des amateurs de fantastique, celui de Machen l'est nettement moins.
Né en 1863 et mort en 1947, cet auteur britannique est pourtant l'un des piliers de l'horreur moderne. Son récit le plus connu, le Grand Dieu Pan, a inspiré en son temps le susnommé Lovecraft et l'ensemble de son oeuvre s'impose comme une influence majeure pour les générations qui suivront.
S'il semble ne pas avoir connu la même popularité que le père de Cthulhu, Arthur Machen peut compter sur le soutien d'une petite communauté de fans avertis qui ont su faire vivre ses écrits jusqu'à ce jour et l'ont réédité à maintes reprises dans l'Hexagone.
Découvrons aujourd'hui la dernière réédition en date. 

Cette réédition, nous la devons aux excellentes éditions Callidor qui se sont mises en tête, après le Roi en Jaune de Robert W. Chambers l'année dernière, de fournir le même travail d'orfèvre pour ressusciter le Gallois.
Autant le dire tout de suite, le livre-objet qui en résulte est un oeuvre d'art en soi. Hardcover, vernis sélectif et, surtout pas moins de vingt-six illustrations du grandiose dessinateur paraguayen Samuel Araya, comme autant de joyaux noirs qui vous hanteront longtemps. 
Le travail d'édition avec des polices d'écriture finement choisies et tout un appareil critique signé par Guillermo del Toro, Jorge Luis Borges ou encore S.T. Joshi achève de convaincre du sérieux de cette entreprise de réédition. 
L'objet-livre qui en résulte s'avère naturellement magnifique et vaudrait à lui seul l'achat compulsif du collectionneur.
Mais ce n'est pas tout puisque le meilleur est à venir.
Le Grand Dieu Pan ne contient pas uniquement le texte éponyme mais également quatre autres récits d'Arthur Machen : La Lumière Intérieure, Histoire du Cachet Noir, Histoire de la poudre blanche et La Pyramide de Feu. de quoi raviver sérieusement la curiosité des amateurs de terreur. 

On découvre avec le Grand Dieu Pan tout ce qui fait l'essence de l'oeuvre d'Arthur Machen qui, loin de s'inscrire dans l'horreur frontale, aime tisser patiemment ses histoires pour mieux faire infuser le surnaturel. 
Ici, c'est l'expérience du Dr Raymond sur une jeune fille du nom de Mary qui va très mal tourner. Témoin de la chose, Clarke ne peut que constater le basculement dans la folie qui s'opère. Quelques temps plus tard, dans la bonne société Londonienne, une certaine Mme Beaumont fait une entrée fracassante… et attire sur elle les soupçons de Clarke et de ses amis suite à une étrange série de suicides que même Scotland Yard ne comprend pas. 
Tout, dans ce premier texte, va définir le style fantastique d'Arthur Machen : une personne confrontée à l'inexplicable, souvent par les suites d'une expérience malencontreuse, une enquête qui remonte et assemble les pièces d'un puzzle de plus en plus terrifiant et cette sensation de malaise diffus qui prend à la gorge le lecteur pour ne plus le lâcher.
L'horreur d'Arthur Machen n'est pas grandiloquente, elle est taiseuse, vaporeuse, élusive. 
Le Britannique est fasciné par l'existence d'un monde extrêmement ancien dont nous avons tout oublié ou presque. Un monde qui renferme des êtres monstrueux dont la seule vision peut rendre fou ou pervertir à jamais celui qui l'aperçoit. On retrouve le même procédé dans le texte suivant, La Lumière intérieure, avec une expérience lugubre qui finit par aboutir à la dégradation de l'âme et à la vision d'un monde impossible à supporter pour l'expérimentateur. On retrouve le goût prononcé de l'auteur pour l'enchâssement du récit dans le récit, avec la lecture de lettres ou de rapports pour éclaircir l'histoire et nous donner la sensation d'enquêter nous-même aux côtés du narrateur. Mais si l'on pourrait hâtivement cataloguer tout cela comme une série de péripéties policières, on s'aperçoit avec la suite que ce serait bien insuffisamment pour décrire et saisir les obsessions de Machen.

Les deux textes suivants, Histoire du cachet noir et Histoire de la poudre blanche, vont affirmer cette terreur qui hante l'oeuvre du Gallois. 
Machen semble obsédé par ce qu'il reste des mythes anciens dans notre propre époque - ou plutôt dans la sienne, au XIXème siècle - et comment nous avons pu les transformer pour mieux les supporter.
Ainsi, dans Histoire du cachet noir, un scientifique à la recherche d'un continent perdu à explorer, va comprendre qu'il a trouvé bien plus dangereux que cela. C'est Miss Lally qui va découvrir le témoignage final du professeur Gregg et comprendre, non sans frayeurs, l'ampleur de ce qu'il a découvert. Encore une fois, les choses sont élusives, floues, parlant et recyclant des mythes anciens, des fées, des rumeurs sur le « petit peuple » mais en révélant la nature beaucoup plus sombre de l'ensemble. 
Une nature que nous avons oblitéré, caché, pour notre propre bien. 
Arthur Machen s'érige en adepte de l'horreur à l'orée du regard, saisissant parfaitement l'essence du fantastique originel où le doute crée l'angoisse autant que la vision du mal elle-même. Ce qui fait la force d'Histoire de la poudre blanche n'est pas simplement la révélation du destin tragique et la vision d'horreur qui accompagne la confrontation entre le Dr Haberdeen et ce qu'est devenu Mr Leceister suite à un traitement mystérieux, mais bel et bien ce que cette transformation et ce que l'origine de cette poudre dit d'un monde extrêmement vieux et sombre où la sorcellerie était une chose bien réelle et carnassière. Chez Machen, la peur naît de l'inconnu et de l'inimaginable caché à nos yeux. Un inconnu qu'on pourrait dévoiler malencontreusement à tout moment. Cette façade qui s'écroule est d'ailleurs souvent la résultante d'une expérience malencontreuse et l'on sent que le Britannique, qui voit les avancées technologiques de son temps, craint ce que celles-ci pourraient donner pour l'homme. Surtout lorsque ces découvertes sont mises en rapport avec sa propre morale chrétienne. 
Pourtant, l'influence des écrits religieux cède surtout le pas à l'existence de puissances beaucoup plus anciennes. 
Dans l'ultime récit, La Pyramide de Feu, c'est une nouvelle enquête qui nous emmène au milieu de nul part, dans des collines quasiment désertes, terrain de jeu favori de l'auteur, pour mieux nous replonger dans un temps reculé, entre ruines du monde Romain et folklore du petit peuple. 
Vaughan et Dyson, en tentant de comprendre de mystérieux symboles faits de pointes de flèche, vont finalement résoudre une bien étrange disparition par la même occasion.
Et être les témoins d'actes terribles qu'ils ne souhaitent certainement pas ébruité…mais faire retomber dans les limbes de l'oubli au plus vite.
Arthur Machen exprime ainsi que certaines choses doivent rester cacher à l'humanité, que le voile qui nous sépare d'entités monstrueuses ne doit pas être soulevé… sous peine de damnation et de folie. 
Il en résulte une expérience qui marque, très loin des tendances actuelles qui virent au gore grotesque ou à une surenchère de retournements de situations. L'horreur revient ici à ses fondements fantastiques les plus bruts, nous fait douter, nous laisse imaginer le pire, nous laisse trembler dans la brume. 

Non seulement cette édition du Grand Dieu Pan est d'une beauté surnaturelle, mais elle regroupe par la même occasion des textes d'une qualité et d'une importance certaine dans l'histoire du fantastique moderne, imposant définitivement Arthur Machen comme un incontournable du genre. 
Indispensable et obsédant, forcément.
Lien : https://justaword.fr/le-gran..
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