Le Secret des Andrônes

Elle tira de la sacoche du fauteuil roulant une clé parmi tant d’autres objets précieux et pénétra dans l’antre. La pièce froide sentait le tombeau. Malgré les hautes fenêtres barrées de grilles en fer martelé, ce réduit, qui prenait jour sur la Grande Andrône, était sombre en tout temps.

Chapitre 4

Elle sortit du salon en roulant son fauteuil qu’elle engagea dans le grand corridor autrefois sonore de tant de courses effrénées, de tant de cris et de rires, et qui ne recelait plus que le silence feutré des maisons mortes. Il commandait à droite trois portes à double-battant, le salon, la salle à manger, la chambre de Rogeraine et, à gauche, les communs : la cuisine, la salle de bains, la buanderie, et la chambre de bonne. Au fond, montait vers l’étage, qu’on n’utilisait plus, un escalier blanc aux marches creuses. Une rampe de bois en balustres à ceinture l’accompagnait, tournant à angle droit, de vingt marches en vingt marches. La pénombre enveloppait toujours cet escalier.

Chapitre 4

Rogeraine respira profondément. Elle était oppressée. Sa nostalgie était lourde d’angoisse. Des présences immatérielles froissaient l’air autour d’elle, qu’elle avait bien crues dispersées pour toujours.

Chapitre 4

Des fermes mortes se blottissaient dans les vallons, signalés par trois peupliers scintillants ou par l’osier maigre qui balisait une source. Il n’était pas un de ces creux où, dès l’âge de quinze ans, Rogeraine n’eût couché sa bicyclette dans l’herbe pour courir à l’appel d’un garçon embusqué sous quelque taillis. Elle pouvait recréer l’heure, le jour, le mois de ces étreintes imparfaites, la couleur du ciel qui y présidait, la qualité du silence. Mais, en revanche, tous les partenaires étaient des fantômes sans corps et sans noms. Leurs yeux, leur voix, la hâte brouillonne de leurs caresses, tout était mort. Il ne restait pour entretenir le regret que ce ciel, que ces touffes d’osier, que le scintillement lointain de ces peupliers.

Chapitre 4

Le cri traversa l’espace. Le public pantelant vit jaillir du donjon rouge sombre ces formes oblongues et chatoyantes qui figuraient des amants de princesses, morts dans la joie. Mais pourquoi l’un des mannequins n’était-il pas illuminé dans sa chute ? Pourquoi, éjecté de la bicoque toute noire, hors du faisceau des projecteurs, échappait-il à cette orchestration lumineuse qui était le clou du spectacle ? Quelque chose avait dû se coincer dans le mécanisme de la mise en scène, conséquence, sans doute, d’un malentendu entre techniciens…(...)
Un rayon de lune tranché par l’ombre portée de la poterne éclairait la moitié d’un visage éclaté. C’était un vrai corps désarticulé qu’ils venaient de découvrir.

Chapitre 1

« Cette femme, se dit Laviolette, doit bouillir comme une chaudiere. Elle croit sans doute souffrir d'orgueil blessé, mais c'est d'amour inassouvi qu'elle meurt. J'aurais dû m'approcher et lui dire : « madame, depuis combien d'années n'avez-vous plus fait l'amour ? » Je l'aurais désarçonnée et sans doute m'aurait-elle insulté, mais j'aurais fait une bonne action. J'aurais ouvert ses écluses. Il est des plaies dangereuses qu'il faut savoir ne jamais refermer »