Citations sur Enquête sur un sabre (13)
On est toujours cruel, même si on a la bonté au cœur, quand on ne sait pas regarder au loin et penser au pluriel, quand on a besoin de voir et de toucher, comme saint Thomas, pour savoir qu’il existe une créature, et qu’on ne réussit pas à imaginer vraiment qu’il y a d’autres créatures de chair et d’os, que nous ne verrons jamais, mais qui sont aussi réelles que nous et que ceux à qui nous donnons la main.
Il y a donc une étroite logique dans le fait que Krasnov se soit jeté dans les bras du fascisme, parce que le fascisme est avant tout cette incapacité à déceler la poésie dans la dure et bonne prose quotidienne, cette recherche d’une poésie fausse, emphatique et grotesque.
La fulguration lyrique d’un instant peut difficilement l’emporter sur la continuité épique d’une histoire. L’habitude a beaucoup de pouvoir sur nous ; elle nous induit à répéter les mêmes gestes, en esclaves distraits, qu’il s’agisse de collectionner des timbres, de fumer ou d’être bourreau. Si le premier pas nous échappe, c'est-à-dire la liberté de contracter des habitudes innocentes comme le tabac, ou de ne pas en contracter de coupables comme de mentir ou de tourmenter les autres, nous sommes déjà presque perdus.
En brisant cette lame, l'un de ses soldats a peut-être voulu empêcher symboliquement que quelqu'un puise s'emparer du sabre de l'homme tombé dans le val de Gorto et lui voler ce faisant, dans le régne des morts, son âme cosaque.
Toute cette aventure est une marche en arrière, vers le rien, à travers les coulisses de papier mâché qui couvrent le rien, un continuel retour sur ses pas. p 40
Le mensonge est plus réel que la vérité,il agit sur le monde, le transforme, il est devant nous, nous pouvons le voir et le toucher, champignon vénéneux. p 39
Cette garde qui affleurait parmi les mottes me fait penser à ce tronc,qui maintenant sera encore plus effacé,mais pas encore entièrement ,me fait penser à la brièveté mais aussi à la durée de notre vie et il me semble concilier le grand oui que nos disons à notre crépuscule, acceptant sereinement ,avec la petite résistance que justement nous lui opposons, quand nous croyons,comme je crois,d'être rassasiés et fatigués de la vie, parce que un après-midi de plus au café San Marco est peu,par rapport à à l'éternité mais c'est pourtant quelque chose et peut-être pas si peu que cela.
J'ai peu de distractions, prier me fatigue et,à aider les autres,-les véritables offices religieux,-je n'y arrive plus: aider veut dire écouter un autre, le suivre dans ses labyrinthes sans jamais perdre sa propre route, le seconder sans faiblesse et le corriger sans hargne, s'identifier à ses fantasmes sans perdre les siens propres, savoir lui offrir l'autre joue ou lui donner un soufflet selon le cas.
Krasnov haïssait et méprisait Vlassov, parce qu'il pressentait qu'il était son miroir, le miroir véridique qui reflète le vide où on se regarde et où on ne voit rien. (page 80)
J'ai peu de distractions, prier m'ennuie et je n'arrive plus à aider les autres, le plus vrai des devoirs religieux : aider, cela veut dire écouter l'autre, le suivre dans ses labyrinthes sans perdre sa propre route, le soutenir sans faiblesse et le corriger sans animosité, s'identifier à ses fantasmes sans perdre les siens propres, savoir lui offrir l'autre joue ou lui donner une gifle, selon les cas. Tout ceci est désormais bien trop fatiguant pour moi et je me réfugie dans le confort de la lecture et du ressassement, tellement plus faciles que le dialogue avec autrui. (page 14)