Claudio Magris décrit dans ce long roman de seulement 120 pages (il se lit très lentement) l'expression en pratique de la métaphysique de l'Etre selon
Platon, ou pour faire le pédant, une praxis ontologique platonicienne (oui, sans doute suis-je anachronique dans le choix terminologique).
Passé cette accroche-repoussoir, de quoi s'agit-il ?
Un groupe de camarades étudiant la philosophie en Italie du début du XXè siècle: Enrico s'efforce de vivre selon les théories développées par son ami Carlo. Carlo est vu comme un génie par Enrico, il a développé une thèse qui dénonce la vanité de toute extension de l'Etre vers l'existence, et qui conduirait en pratique au rejet du superflu, de l'ego. Enrico quitte donc sa famille, ses amis, et part faire l'expérience du renoncement. Carlo, qui le voit en héros vivant ses idées, finit par se se suicider...
Ce texte montre avant tout un drame croisé. En effet, les deux amis se portent aux nues, s'estimant mutuellement comme des génies, mais sans jamais avoir connaissance de ce que l'un pense de l'autre: ils se considèrent ainsi comme des incomplets dont seul l'autre pourrait combler le manque qu'ils ressentent: le mythe des âmes-soeurs, sans doute.
L'intrigue est une belle métaphore (assez explicite) de la traditionnelle opposition philosophique théorie/expérience (par ex., cf. la partie des "
méditations métaphysiques" de
Descartes sur le morceau de cire) et surtout, de l'opposition platonicienne entre monde des Idées et monde des hommes.
Carlo est la théorie, le monde des Idées de
Platon, qui pour Magris, ne peut que mourir sans expérience; Enrico est l'expérience, le monde des hommes de
Platon qui, incapable de fusionner individuellement avec l'Idée, court à l'échec.
Hypothèse: On peut penser que Magris, dans cette oeuvre aux phrases fluides et douces comme un sillage sur la mer, veuille démontrer l'impasse à laquelle mène la métaphysique de
Platon.
Complexe, mais très plaisant.
Lien :
http://johaylex.wordpress.co..