Un recueil de nouvelles peut être un bon moyen pour découvrir la plume d'un auteur jamais lu. Avant de m'attaquer à l'ambitieux «
Danube » de l'italien
Claudio Magris, j'ai ainsi décidé de découvrir la plume de cet auteur connu avec ce recueil de nouvelles dont j'avais vu la belle critique sur la page de @mh17, même si les nouvelles ne sont pas mon genre de prédilection.
Le recueil est composé de cinq nouvelles qui toutes, de façon différente, tournent autour du thème universel du temps, ce temps qui passe, sa relativité, sa fugacité, et donc autour du thème central de la vieillesse, de ce qu'elle engendre mais aussi de ce qu'elle permet.
Claudio Magris ayant l'âge de 83 ans, ce livre est sans nul doute fortement imprégné de ses ressentis, de ses réflexions, de sa propre expérience de la vieillesse.
La vieillesse pourrait-elle recéler une forme de bonheur et de liberté secrète ? C'est sans doute le message le plus fort de Magris présent en filigrane dans ces nouvelles. Loin de lui de magnifier cet âge de la vie, il met même en valeur la diminution physique qu'elle engendre, notamment dans la nouvelle intitulé « le prix », ce avec beaucoup d'élégance et même de poésie :
« Il regarda, par la fenêtre, les grandes montagnes englouties par la nuit, sur les cimes desquelles étaient restés accrochés quelques lambeaux du soir. Les fragments en vers ou en prose qu'on lisait à quelques mètres lui parvenaient comme une vague rumeur, se distinguant malaisément du bourdonnement rythmé que l'hypertension provoquait dans ses oreilles ».
Mais la diminution physique inéluctable semble être compensée par une forme de liberté, de retrait, de mise à distance éloignant la personne âgée de la comédie humaine que la société impose de jouer, se sentant à sa place où qu'elle soit, lui permettant de décliner des propositions s'il elle n'en a pas envie, regardant avec une certaine ironie les tendances et les modes.
La question du passage à la vieillesse est soulevée sans le dire, au moyen de certaines images qui montre combien ce thème est omniprésent chez notre narrateur quel que soit l'endroit où se pose son regard :
« Il regarda l'assiette de son voisin, qui racontait à voix haute, à demi tourné de l'autre côté, quelque chose d'amusant, et il observa la graisse qui s'était figé sur le fond. Cette sauce, un moment auparavant, était délicieuse. Qui sait où et quand les choses commencent à se défaire, s'il y avait un point précis, une solution de continuité entre le col bien apprêté et le col imprégné de sueur ».
L'autre thème majeur de ce recueil porte sur le temps et sa relativité, ses énigmes, sa façon de couler, de passer, de ralentir ou au contraire d'accélerer. La nouvelle «
Temps courbe à Krems », qui donne au recueil son titre, porte essentiellement là-dessus. Passé/présent, source/embouchure, Cause/effet,
Claudio Magris décortique en une longue réflexion, peut-être un peu trop longue mais riche de magnifiques et surprenantes fulgurances, ce temps. Sa linéarité versus sa circularité.
« le temps autrement dit la mort. En 1996 est morte V., une adorable petite fille qui n'est plus une petite fille mais l'est encore, même après les années du mal qui l'a torturée et défigurée sans entamer son indestructible dignité, l'enchantement de ce qu'elle a été et donc est pour toujours ».
Ces nouvelles se passent à Trieste et dans ses environs ainsi que dans le Piémont et au bord du
Danube. La mer y est souvent présente, mais une mer dont il faut s'éloigner, se tenir à l'écart, ne pas regarder frontalement pour retarder le face-à-face avec sa luminosité intense et son bleu infini. Je me suis demandé si la mer n'était pas l'image de la mort, de la destination finale, la source se faisant rivière, puis fleuve, embouchure pour se jeter vers sa destination finale qu'est la mer. Dans la première nouvelle « le gardien », cet évitement m'a surprise. Il faut dire que ce récit parle d'un veuf qui veut continuer à travailler malgré son âge en étant gardien d'immeuble…comme pour retarder l'inévitable.
« Toute la vieillesse, du reste, se résume à cela : avancer pour reculer, s'engager en territoire inconnu pour se soustraire à la réalité qui presse de toute parts, anguleuse et envahissante ».
La vieillesse autorise cependant dérision de soi et humour,
Claudio Magris ne s'en prive pas ce qui apporte une certaine fraîcheur à sa plume par moment si travaillée :
« Quand il était devant la mer, il lui venait un sourire embarrassé qui relevait imperceptiblement sa lèvre supérieure et découvrait un peu trop ses dents, comme Roll, le bouledogue qu'il avait eu pendant des années et auquel, d'après ses petits-enfants, il avait fini par ressembler ».
Une porte d'entrée intéressante pour entrer dans l'univers de Claudio magris et entrapercevoir une plume dense et érudite. Il me tarde de découvrir un de ses romans à présent ! Merci chère
Marie-Hélène pour cette découverte !