Elle s'est perdue comme un ballon qu'on lâche et qui s'envole vers le ciel.
Il aurait voulu qu'elle photographie toute l'ampleur du monde, il aurait voulu qu'elle lève la tête et cesse de regarder à ses pieds, mais il ne comprenait pas qu'il l'avait condamnée à éprouver toute sa vie la nostalgie du monde minuscule au fond du jardin.
Le sommeil ne vient pas et elle se glisse hors du lit, enjambant ses petites sœurs qui ressemblent tant à la fillette qu'elle n'est plus qu'elle a le sentiment parfois d'enjamber son enfance. Elle se penche à la fenêtre et respire l'odeur du ciment mouillé, une odeur de chantier, l'odeur de ce qui n'est pas fini et ne le sera jamais. L'appartement où ils vivent est au rez-de-chaussée, et la chambre donne sur cette pelouse parsemée de tessons de bouteille et de mégots de cigarettes, mais où poussent ici et là des pâquerettes et des pissenlits. C'est une cité de petite ville, trois immeubles gris à la lisière d'un quartier de pavillons dont la peinture s'écaille et dont les jardins ne contiennent que des buissons de roses chétives.