C'est un village russe, retiré, paisible, où la Nature a repris ses droits. Si l'on tend l'oreille, on peut entendre les pas lourds qui s'enfoncent dans la neige, ce bruissement sourd, et, dans le ciel, les aigles qui glatissent. de temps en temps, les feuilles des arbres, fatiguées, laissent tomber la neige qui s'est accumulée sur elles.
Si l'on regarde à l'horizon, on ne sait pas vraiment dissocier la neige qui s'est accumulée sur le tapis de feuilles du ciel cotonneux et lourd. Tout forme une unité inséparable et imperturbable. le lac aux allures de miroir lisse et innocent, renferme un microcosme qui veille jusqu'au retour du printemps.
Parmi cette Nature, il y a Véra, une femme à la beauté farouche, et qui, depuis 30 ans, attend le retour de son premier amour envoyé au combat. Nous sommes en septembre 1976.
A Leningrad, dans l'atelier Wigwam, le narrateur, âgé de 26 ans, fait partie d'un groupe d'artistes dissidents, dont les réunions ont pour principal objet la critique du pouvoir alors en place. Théâtre de révolution « cachée », l'alcool y coule à flots, le sexe est désinhibé, les moeurs sont bouleversées.
Pour une mission journalistique, notre reporter est envoyé dans le village de Mirnoïé, où il est supposé écrire un article satirique sur les us et coutumes encore en place dans cet endroit reculé de la Russie, dont il ne connait rien.
«
La femme qui attendait », c'est cela ; deux personnages (deux mondes) qui se rencontrent, se confrontent et que tout oppose.
Véra est une femme de 45 ans, entièrement dévouée à son village et ses habitants ; quand elle ne donne pas cours à ses jeunes élèves, elle s'occupe des « vieux » du village, abandonnés, résignés et les accompagne jusqu'à leurs derniers souffles. Mais au-delà de cet « altruisme » et de cette « abnégation », Vera attend. Tous les jours, depuis 30 ans. Que son soldat revienne. Elle guette, chaque matin, la boîte aux lettres : Y aurait-il une nouvelle ? Un espoir dans le désespoir ? Une lueur divine dans l'obscurité sauvage du Village ? Véra est une femme de morale, d'une droiture cartésienne, auto-sacrifiée au nom de l'Amour.
Le narrateur est jeune, il est fougueux, intrigué par cette femme, désireux de la connaître et de la comprendre. Mais il est aussi chatouillé, démangé de la faire basculer, de rompre ses attentes ; fier et orgueilleux, il désire ardemment la faire sienne.
L'attente, le désir, la jalousie et l'espoir sont des thèmes que
Makine caresse délicatement et en toute poésie dans ce roman. Ces personnages si différents n'apprennent pas réellement à se connaître, ils s'appréhendent. Leurs âmes sont deux droites parallèles dont la courbe ne sera en rien altérée ; leurs corps, quant à eux, suivent des routes sinueuses, se cherchent, se trouvent, puis se séparent. A jamais. Et s'il en fut ainsi, si les désirs ont été assouvis, ce n'est pas par amour, ni par simple faiblesse d'âme, mais bien pour donner un sens à toutes ces années (perdues ?). Car il n'est de pire désespoir que la trahison.