Le roman commence de fort belle manière avec cet incipit qui annonce la couleur :
« A cet instant de ma jeunesse, le verbe « vivre » a changé de sens. Il exprimait désormais le destin de ceux qui avaient réussi à atteindre la mer des Chantars. Pour toutes les autres manières d'apparaître ici-bas, « exister » allait me suffire. » P 11
Le récit débute en 1970 avec un adolescent, fils de prisonniers, donc considéré comme paria, vivant dans un internat où sont regroupés d'autres ados dans la même situation : intelligents ou non, on s'en moque, les études supérieures leur sont interdites, ils pourraient polluer les autres appartenant à des familles obéissant au régime, et on les oriente d'office vers des métiers singuliers : géodésistes ou grutiers… Et on les envoie le plus loin possible… Il arrive ainsi à Tougour, pas loin du Pacifique.
Personne n'étant venu l'attendre à son arrivée, il se promène dans la ville et finit par suivre un homme, capuche sur la tête dans la taïga. Il s'agit de Pavel Gartsev, qui semble en fuite et finit par repérer notre ado et lui raconter son histoire.
Flash-back (désolée, la traduction de ce mot en français est moins évocatrice !) et on se retrouve en 1952, dans une union soviétique obsédée par la troisième guerre mondiale, nucléaire bien-sûr, et les hommes ont droit à des exercices de simulation, dans des conditions abracadabrantesques, enfermés dans des bunkers pour tenter de survivre… lorsque soudain, on parle d'un prisonnier s'étant échappé d'un camp et qu'il absolument retrouver.
Andreï Makine nous décrit de fort belle manière ce « commando » chargé de la traque est constitué d'un général, héros de guerre, d'un petit chef Louskas aux méthodes dignes du KGB qui ne pense qu'à chercher des coupables pour pouvoir les dénoncer et les torturer, son sous-fifre, Ratinski, qui ne pense qu'à son avancement, et à un comportement vil, digne d'un parfait SS, toujours prêt à dénoncer, qui envoie les autres au casse-pipe dès qu'il y a le moindre risque à l'horizon. On trouve aussi Vassine, qui a traverser des moments durs pendant la guerre, accompagné de son chien (chargé de renifler les traces du fugitif.
On comprend très vite que Pavel ne part avec eux que pour que l'on puisse rejeter sur lui un échec éventuel de la mission et qu'il sera surveillé en permanence, l'obligeant à rester sur ses gardes, à trouver en lui la force et le désir de rester en vie, à surmonter la peur. Seul Vassine est fiable mais les paroles qu'ils échangent peuvent être « interprétées comme une atteinte à la sûreté de l'État, il suffisait de bien ficeler le dossier d'accusation »
J'ai beaucoup aimé cette traque, dans la taïga, chacun progressant difficilement, ces feux qu'on allume tant pour se réchauffer que pour tenter d'envoyer l'autre sur de fausses pistes, chacun révélant de plus en plus ses forces ou ses faiblesses ou encore sa duplicité… j'ai mis mes pas dans ceux de Pavel, dans ces paysages grandioses, cette Sibérie que décrit si bien
Andreï Makine et qu'il aime tant, ces noms qui font rêver : l'archipel des Chantars, la Bélitchi, Tougour…. Ces régions où j'aimerais bien aller me perdre, loin de la civilisation, en contact direct avec la nature.
J'ai beaucoup aimé ce roman, qui tient de la poursuite d'un fugitif, et s'avère être aussi une quête initiatique, une réflexion sur le monde soviétique où l'individu n'existe plus, étant au service de l'Etat, de la collectivité… de la liberté (ou de l'illusion de la liberté) dans un décor exceptionnel, et pose une question : est-ce qu'on vit ou se contente-t-on d'exister ? Qu'en est-il du choix du libre arbitre si on n'adhère pas au système ?
« Oui, la liberté ! ils pouvaient m'envoyer dans un camp au régime plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas, car ce n'était qu'un jeu et je n'étais plus un joueur. Pour jouer, il fallait désirer, haïr, avoir peur. Moi, je n'avais plus ces cartes en mains. J'étais libre… » P 168
La construction du roman m'a plu car j'aime ces récits en gigogne, ces allers et retours entre présent et passé, ces rencontres entre deux personnes qui peuvent tisser un vrai lien. L'écriture est belle comme toujours avec
Andreï Makine qui nous entraîne dans un voyage extraordinaire. J'avais beaucoup aimé «
le testament français » et j'ai eu le même plaisir avec ce roman que l'Obs a qualifié de « véritable western sibérien » et l'Express de « puissant récit d'aventures métaphysique ».
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