Un troisième roman d'
Andreï Makine, acheté en 2016 sur la foi des critiques (« Formidable roman d'aventures,
L'Archipel d'une autre vie est aussi une quête intérieure portée par une plume rude comme la beauté. » écrivait alors le Matricule des Anges), patientait depuis dans ma bibliothèque : quel dommage de ne pas en avoir profité avant, au lieu de peiner sur quelques auteurs ingrats – dernièrement sur
Annie Ernaux, dont j'ai lu ou relu toute l'oeuvre pour tenter de répondre à la question, qui a été débattue à son propos : « le style est-il de droite ? » Car ce roman de
Makine est effectivement formidable. Il s'agit presque d'un drame classique : unité d'action (la longue course de cinq soldats soviétiques aux trousses d'un prisonnier qui s'est échappé lors d'un transfert vers un camp), unité de lieu (la Sibérie orientale, dont le paysage sauvage inscrit l'action moins dans la géographie que dans le mythe, comme chez Volodine per exemple), et quasi unité de temps, seulement troublée par une construction en abyme, le récit principal étant inséré dans un récit secondaire qui le reflète, le met en perspective historique et lui fournit une sorte de morale.
J'ai lu ce roman en quelques heures. Il vous attrape et ne vous lâche qu'à la dernière page – et, miracle, on le referme sans éprouver l'impression, si courante en pareil cas, de s'être fait avoir et d'avoir perdu son temps. le récit reste inscrit dans la mémoire, un peu à la manière de ceux de Conrad – j'ai pensé à Au coeur des ténèbres, à tort sans doute, mais cette référence, même si elle est peut-être excessive, dit quelque chose de la puissance du roman de
Makine.
Il y a bien sûr quelques imperfections – quel livre est dans défaut ? D'abord pour les réflexions morales qui parsèment ces pages, justes, mais un peu superficielles. Est-ce bien grave ? Relisons les tragiques grecs : leur pensée n'est-elle pas elle aussi sommaire et convenue, sans gêner pour autant l'appréhension de leurs fables, participant même au charme des oeuvres ?). Et aussi pour le style qui est, comme je l'ai déjà signalé pour un autre roman de
Makine, d'une grande efficacité, mais sans exigence particulière quant à la forme, sans véritable invention. Il n'empêche. Tel quel,
L'archipel d'une autre vie est un formidable roman.