Il n’y a plus ni nord ni sud ni est ni ouest.
Pas plus qu’il n’y a de soleil, de lune ou d’étoiles dans le ciel éteint.
Où que l’homme ne pose son regard, ne subsiste qu’un aplat uniforme et sans cap, d’un blanc bleuté dans la nuit polaire. C’est tout juste s’il distingue les quelques accidents d’un vague relief, séracs, failles ou pics rocheux qui hérissent l’horizon lointain.
L’inlandsis.
Symbole absolu de l'impact du réchauffement climatique sur la biodiversité, cette espèce jouissait en effet dans l'opinion mondiale d'une côte d'amour inégalée. En retour, cette aura faisait peser sur la chasse traditionnelle dont l'ours était l'objet à Nunavut, au Svalbard ou au Groenland, une forte réprobation. Quand on n'était pas soi-même Nuit pur jus, chasseur de père en fils, il devenait de plus en plus difficile d'assumer publiquement sa participation à une chasse au plantigrade.
Et si la folie polaire avait déjà pris le relais de la furie destructrice des hommes ?
Humains, animaux, tous n’étaient-ils pas les parties transitoires d’un seul et même grand Tout cyclique ?
La tendresse, il le savait déjà, avait ce pouvoir unique d'abolir le temps.
Si les romanciers devaient s’entraîner à tuer dans la vraie vie pour pouvoir raconter leurs histoires, les morgues ne désempliraient pas. Les prisons non plus, et les éditeurs manqueraient de plumes pour alimenter les librairies.
L'inlandsis était comme ces toiles monochromes, uniformes si on les considérait de loin ou distraitement, mais dont un examen plus attentif révélait la richesse du travail effectué sur le volume et la matière.
Ainsi, même dans le blanc le plus absolu, tout n'était pas si immaculé.
Ce vide absolu, négation de toute vie, animale, végétale ou humaine, si ce n’est la sienne, égarée là, et si précaire à présent.
À chaque question qui lui était adressée, Emet Girjas répondait par une autre question. C'est fou comme nos propres tics deviennent vite agaçants quand ils se manifestent chez les autres, se disait Qaanaaq, plus sûr de trouver si plaisants leurs nombreux points communs. ( p 133 )
La surprise annoncée arborait une chevelure blonde relevée en chignon et des yeux d'un bleu irréel. Sous le halo d'un projecteur fixé au bâtiment principal, une tourelle à section carrée qui dominait le quartier général de la patrouille tapissé de neige fraîche, elle apparut à Qaanaaq comme une créature échappée d'une légende scandinave. Si diaphane qu'on hésitait à valider son existence.
- Camilla Feg, dit-elle en tendant une main menue.
"Poigne molle et fuyante".
La présentation était suffisante. Biographe et écrivaine suédoise de renom, épouse du criminologue Henrik Kudström, le représentant officiel de la police suédoise au sein de la SPA, la quadragénaire s'était illustrée à plusieurs reprises en participant à des enquêtes criminelles, toutes largement médiatisées. Les journalistes l’affublaient du surnom de Sexy Marple, en référence au personnage de détective créé par Agatha Christie. Le chapeau cloche en moins et la beauté glaçante en plus.