La mort qui tourne autour de moi me livre à ceci, qui me parvint, il y a trente ans, de l'autre côté de la vie.
Le mot : convulsion me hante. Le texte que je corrige depuis onze jours pourrait le prendre pour titre? Pourtant sa violence s'éloigne (non son égarement). J'avais envie d'ajouter à ce récit les souvenirs qu'il appelle aujourd'hui en moi.
Ce qu'on écrit du suicide m'a toujours surpris. Le besoin saugrenu d'en faire une faute, ou une valeur.
J'ai été atteint d'une maladie du sommeil ; mes jambes se sont à plusieurs reprises dérobées et je suis tombé, comme en syncope mais sans perte de connaissance ; puis, deux fois au cours de la même semaine - la seconde fois, précédée d'un tournoiement convulsif. Examens. Professeurs et docteurs ne pourront se consulter que dans douze jours. En attendant, sclérose des nerfs périphériques et menace sur le cervelet, donc menace de paralysie. Laquelle ?
(incipit).
- Au camp, dis-je, un prêtre prisonnier m'a affirmé que beaucoup de gens meurent dans un mélange inextricable de crainte et d'espoir...Mais il m'a dit aussi qu'un mourant l'avait flanqué à la porte pour terminer Les Mystères de Paris.
Sur le fond vert déjà jauni par l'été, de grandes vagues d'ombelles déferlent dans le vent. La première ligne allemande est un peu plus bas, au-dessus de fleurs blanches à demi sèches ; le vent, qui dessine au loin sur elles de longs ramages, les secoue furieusement devant les trous d'observation. Deux versants opposés, la rivière au fond. Le versant russe s'élève dans une telle sérénité, que les barbelés semblent des clôtures champêtres. Pas un homme, pas un animal. Le canon s'est tu. Il fait beau comme avant la guerre.
Un combattant d'Espagne m'a dit: Le contraire de l'humiliation et de la mort n'est pas la liberté, on raconte ça ! c'est la fraternité."
- Ce qui commence à disparaître, c'est la formation de l'homme. La science peut détruire la planète, elle ne peut pas former un homme. Les sciences humaines le montrent à merveille. L'Homme n'est pas ce qu'elles posent, mais ce qu'elles cherchent. Ce qui rendait compte du monde avait formé les hommes - en se formant, si je puis dire. Pas seulement les religions: le Romain, qui éblouit l'Europe depuis la Renaissance jusqu'à Napoléon, n'était pas un type religieux.
- Pourquoi n'apprendraient-ils pas à se former tout seuls ?
- L'homme occidental reste informe parce qu'il attend. La science,en tant que croyance et non en tant que science, est croyance en une explication future du monde. Et les Occidentaux ont toujours l'air de croire qu'ils vont remplacer les Croisades par l'instruction civique. La formation de l'homme passe par le type exemplaire:saints, chevalier, caballero, gentleman, bolchevik et autres. L'exemplarité appartient au rêve, à la fiction, c'est la science-fiction.
Le plus grand mystère n’est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la vie et celle des astres ; c’est que, dans ce que Pascal appelle notre prison, nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant…
Comment peut-on s'habituer à une attente intolérable ? pendant douze jours, j'ai attendu la décision des médecins; depuis que je suis ici, j'attends, en griffonnant des notes illisibles, l'effet du traitement, ou son échec. Si je dois mourir cette fois, mourir aura-t-il consisté à attendre ? Nous pensons aux maladies comme à des drames; certaines sont des somnolences - des somnolences dont on ne s'éveille pas.
Un siècle est possédé par sa névrose dépressive ou paranoïaque, le suivant se demande pourquoi on attachait tant d'importance à tout ça...