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Citations sur L'opium et le bâton (22)

- Ce couteau est bon pour les égorgements. Il coupe la chair jusqu'à l'os, dit Moha, le cousin aux dents blanches coupées au cordeau.
Bachir venait de l'aiguiser. Une simple pression et il
faisait voler les poils frisés de son bras.
- Il coupe trop, dit Moha. Si vite que le mouton n'a pas le temps de souffrir ; quand il commence de sentir la douleur il est déjà mort
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Sur l'asphalte les roues faisaient le même froissement de
soie. La pointe du bandeau rouge qui marquait les vitesses
jouait avec le cent quarante, le dépassait, reculait
brusquement dans le crisse ment bref des freins serrés. À
trente mètres les arbres soudain affolés se précipitaient
des deux côtés de la voiture qui les happait, les jetait en
arrière l'un après l'autre pour vite en prendre d'autres.
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La révolution produit des traitres comme le pommier porte des pommes. Quand les gouvernements n’auront plus de pain à donner au peuple, ils lui jetteront des traitres à la pelle pour assouvir sa faim.
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Bachir tira le rideau sur l'arc de la baie d'Alger. En bas c'était chaque soir la même représentation. De ces hauteurs d'El-Biar, on voyait tout Alger jusqu'au point où le ciel et la mer se confondent vers le cap Matifou, et, par temps clair, on distinguait jusqu'aux crêtes bleues du Djurdjura. Au printemps, le rideau se tirait vers sept heures, quand les petits points de lumière d'abord épars sur une toile de collines parmi les pins, les oliviers, les gratte-ciel et les maisons à tuiles rouges soudain se multipliaient, grouillaient, se relayaient pour éclater comme des fleurs, ici, puis là, puis plus loin, puis giclant de partout, éclaboussaient la toile, la laissant molle de clarté diffuse, précieuse d'être enchâssée dans l'écrin noir de la nuit. Vers le bas, la légion serrée des petites lumières avides butait sur la ligne de la mer d'un noir encore plus intense. De temps à autre, le phare du cap Matifou déroulait autour d'un centre invisible la lente danse monotone, circulaire et vite lassée de son faisceau blanc - et après chaque éclat, la nuit déferlait plus froide sur le grain minuscule de conscience éphémère.
Parallèles à la côte, une queue de lumières orange, sagement rangées les unes derrière les autres, progressait à petites étapes vers Alger. Le défilé était ininterrompu et, le dimanche, durait deux à trois heures. C'était les promeneurs au bois qui s'en revenaient après avoir joué aux boules entre amis à Fort-de-l'Eau, Aïn-Taya quelquefois jusqu'au Corso ou à Dellys. Tous des Européens naturellement ! Un Algérien là-dedans, c'était plus qu'une indécence, un crime de lèse-européanité, quelque chose qui n'a pas de nom et dont aucun code ne peut fixer le châtiment. Bachir essaya de faire le calcul : combien d'Algériens dans la file ? Un sur cent, peut-être moins, les courageux, les inconscients, les peaux tannées, ou ceux qui comme lui croyaient passer inaperçus. Les autres les repéraient vite d'ailleurs et aussitôt, sans qu'ils se disent rien, par entente tacite, ils commençaient la manœuvre de défense ou d'élimination : l'indifférence calculée, le mépris laborieux, la provocation délibérée, dans le meilleur des cas, la fuite loin du virus et de la contagion.
Et cet idiot de Ramdane qui dit qu'en réalité c'est une façon de nous considérer, de nous estimer, pourquoi pas de nous aimer tant qu'il y est. Je le vois d'ici, avec ses raisonnements un pied plus court que l'autre : pour quatre-vingt-dix pour cent des pieds-noirs qui sont pauvres (qu'est-ce que nous devrions dire, nous, alors ?), qui triment, font des enfants et les élèvent tant bien que mal, l'Algérien est une justification d'existence. Car voir comme ils sont méprisés et vils, misérables et inexistants, éprouver comme eux peuvent les avilir et les mépriser, faire leur misère et leur inexistence donne un sens à leur vie. La misère des autres leur rend la leur supportable, bien plus ils ne la sentent plus. Avec le petit train-train de leur vie de Méditerranéens sans épaisseur, sans passé, sans charme, sans espoir, que feraient-ils dans ce pays sans les Algériens ? C'est à en crever. Un Arabe sur cent promeneurs au bois c'est le grain de sel, la manne céleste, ce qui va donner goût à cette sortie du dimanche qui, sans cela, serait d'un ennui mortel comme toutes les joies mesurées. Un jour sur sept, cinquante kilomètres autour d'Alger, pas plus, à cause du prix de l'essence, de l'usure des pneus, de la peur des Arabes (plus loin c'est leur domaine, ils y grouillent). Un Arabe sur cent, ils le haïssent cordialement, jusqu'à la mort s'il le faut, mais comme c'est bon, quand on n'a rien, d'avoir quelqu'un à haïr et à mépriser. L'État, s'il était bien fait, devrait désigner chaque semaine des Arabes du dimanche de corvée au bois, sur les plages, dans les cinémas. Pas au bal naturellement, parce que là, il s'agit de nos sœurs, de nos femmes : eux voilent les leurs ou les entôlent toute leur vie.
(p. 31-33)
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- Ça ne tient à rien la culture. Une mince pellicule fragilement posée sur un fond solide de barbarie.
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Séduire ou réduire, mystifier ou punir, depuis que le monde est monde, aucun pouvoir n'a jamais pu sortir de la glu de ce dilemme.
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Tala-Ouzrou, la fontaine de la roche! À vrai dire dans notre village, il n’y a ni fontaine ni roche, mais par piété filiale, quand nos ancêtres chassés sont venus fonder ce village sur ce piton perdu de la montagne, ils lui ont gardé le nom de celui qu’ils habitaient jadis. Nous savions qu’en ces temps-là, dans le premier de Tala, le blé ondulait en vagues au vent de nos plaines et les troupeaux coulaient le long des ravines comme de blancs ruisseaux de printemps… mais toujours jalousement nous avons veillé sur notre misère et notre dignité et il nous est pas venu à l’idée que nous pouvions y renoncer pour tous les biens de cette terre.
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Il ramassait des bouts de bois, des bouts de ficelles, des bouts de pain, des bouts de tout, parce que tout peut servir un jour. Il vivait dans la hantise de la famine et la faim ne le quittait pas, dans la volupté du mépris, et il était gavé de volupté.
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Pour ne pas être trop à charge elle travaillait, des premières lueurs de l’aube à une heure avancée de la nuit. Le jour elle participait à toutes les besognes, elle bêchait, portait sur le dos les hottées de fumier dans les champs, aidait à la moisson, au ramassage des olives et des figues. Le soir, quand tout le monde était couché, elle s’asseyait derrière son métier à tisser, et de la rue on entendait jusque très tard dans la nuit le choc sourd de ses cardes sur les fils de trame.
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Le travail, il faut que tu le trouves. Il te faut aussi une chambre, des frusques, tu es drôlement fringué, tu sais, vieux, pour Paris, tu verras ça tout seul. Tu comprends, ici, c'est leur pays. Pour eux, on est des emmerdeurs. On est brun, on parle pas comme eux, on ne mange pas comme eux. Alors, tu verras, bientôt tu vas marcher en rasant les murs, parce que tu sentiras que tu n'es pas chez toi, que tu es un emmerdeur. Ici, c'est Paris, il y a tout, mais rien n'y est pour toi. Il est eux, ce pays, pas à nous ; c'est l'Algérie notre pays, le pays de la misère, de la morve et des larmes, des pieds nus, des femmes tristes et des hommes condamnés. C'est ça notre pays, c'est l'Algérie, l'Algérie, l'Algérie !...
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