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Citations sur La Bibliothèque, la nuit (65)

Mes livres recèlent entre leurs couvertures toutes les histoires que j'ai jamais connues et retenues, ou que j'ai oubliées, ou que je pourrais lire un jour; ils remplissent l'espace qui m'entoure de voix anciennes et nouvelles.

(I- Un mythe, p.27)
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Dans leur immense générosité, mes livres m’offrent sans rien exiger de moi toutes sortes d’illuminations. «Ma bibliothèque, écrivait Pétrarque à un ami, n’est pas une collection inculte, même si elle appartient à un inculte.» A l’instar de ceux de Pétrarque, mes livres sont infiniment plus savants que moi et je leur suis reconnaissant de tolérer ma présence. Il m’arrive d’avoir l’impression que j’abuse de ce privilège.

(Avant-propos, p.17)
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Comme la plupart des amours, l'amour des bibliothèques s'apprend. Nul ne peut savoir d'instinct, lorsqu'il fait ses premiers pas dans une salle peuplée de livres, comment se comporter, ce qu'on attend de lui, ce qui est promis, ce qui est autorisé. On peut se sentir horrifié - face à ce fouillis, cette ampleur, ce silence, ce rappel moqueur de tout ce qu'on ne sait pas, cette surveillance - et un peu de cette sensation écrasante peut demeurer encore après qu'on a appris les rites et les conventions, qu'on s'est fait une idée de la géographie et que les indigènes se sont révélés amicaux.
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D'un bout à l'autre de l'histoire, les gens confrontés à l'insupportable rappel des horreurs qu'ils ont commises – bourreaux, assassins, détenteurs impitoyables du pouvoir, bureaucrates d'une abjecte obéissance – répondent rarement à la question : pourquoi ? Leurs visages impassibles rejettent toute admission de culpabilité, ne reflètent rien que le refus d'aller du passé de leurs actes à leurs conséquences.
[…]
Si le temps s'écoule sans fin, ainsi que le suggèrent les mystérieuses connections existant entre les livres, en répétant de siècle en siècle ses thèmes et ses découvertes, alors chaque méfait, chaque trahison, chaque mauvaise action finira par rencontrer ses véritables conséquences. Après la fin de l'histoire, juste au-delà du seuil de ma bibliothèque, Carthage se relèvera malgré le sel répandu par les Romains. Don Juan affrontera les angoisses de Dona Elvira. Brutus se retrouvera face au fantôme de César, et chaque bourreau devra implorer le pardon de sa victime afin que s'accomplisse l'inévitable cycle du temps.
Ma bibliothèque m'autorise ce rêve irréalisable. Mais, bien entendu, pour les victimes, aucune raison, littéraire ou autre, ne peut excuser ni expier les actes de leurs bourreaux. Nick Caistor, dans son avant-propos à l'édition anglaise de Nunca más (Jamais plus), le rapport sur les « disparus » pendant la dictature militaire argentine, nous rappelle que les histoires qui finissent par arriver jusqu'à nous ne sont que les comptes rendus des survivants. «  On ne peut que se demander, dit Caistor, quels récits d'atrocités les milliers de morts ont emportés avec eux dans leurs tombes anonymes. »
On comprend difficilement comment des gens continuent à accomplir les gestes de la vie quotidienne quand la vie même est devenue inhumaine ; comment, dans la famine et la maladie, les brutalités et les massacres, des hommes et des femmes restent attachés à des rituels civilisés de courtoisie et de bienveillance, continuent à inventer des stratagèmes de survie au nom d'un fragment minuscule d'une chose aimée, pour un livre sauvé parmi des milliers, pour une voix qui se fera jusqu'à la fin des temps l'écho des paroles du serviteur de Job : «  Et moi seul j'en ai réchappé pour te le dire. » Tout au long de l'histoire, la bibliothèque du vainqueur se dresse comme un emblème du pouvoir, détenteur de la version officielle, mais la version qui nous hante, c'est l'autre, celle de la bibliothèque en cendres. La bibliothèque des victimes, abandonnée ou détruite, continue à demander : « Comment de tels actes furent-ils possibles ? »
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À la fin du XVe siècle, pour exercer sa mémoire parmi les livres qu'il connaissait le mieux, Nicolas Machiavel préférait lire dans son cabinet de travail pendant la nuit -moment qu'il trouvait le plus favorable à ces conditions qui définissaient pour lui la relation entre un lecteur et ses livres : l'intimité et le loisir de réfléchir. "Quand vient le soir, écrit-il, je rentre chez moi et je me retire dans mon cabinet. Sur le seuil, j'ôte mes vêtements de tous les jours tachés de boue et de sueur pour revêtir les robes de cérémonie de la cour et du palais, et dans cette tenue plus solennelle je pénètre dans les antiques cours des anciens et ils m'accueillent, et là je goûte aux nourritures qui seules sont les miennes, pour lesquelles je suis né. Là j'ai l'audace de leur parler et de les interroger sur les motifs de leurs actions, et eux, dans leur humanité, me répondent. Et quatre heures durant j'oublie le monde, je ne me rappelle nulle vexation, je ne crains plus la pauvreté, je ne tremble plus à l'idée de la mort : je passe dans leur monde."
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Les bibliothèques, la mienne ou celles que j’ai partagées avec un large public de lecteur, m’ont toujours paru des lieux d’une agréable folie et, si loin que remonte ma mémoire, elles m’ont séduit par leur logique labyrinthique, qui suggère que la raison (sinon l’art) règne sur une cacophonie de livres. J’éprouve un plaisir d’aventurier à me perdre entre les rayonnages encombrés avec la conviction superstitieuse qu’une hiérarchie établie de lettres ou de chiffres me mènera un jour à une destination promise.

(Avant-propos, p.16)
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Hors la théologie et la littérature fantastique, il ne fait guère de doute que les traits principaux de notre univers sont la pénurie de sens et l’absence de tout objectif discernable. Et cependant, pleins d’un optimisme stupéfiant, nous continuons d’assembler sous forme de rouleaux, de livres et de microprocesseurs, sur les étagères de bibliothèques matérielles, virtuelles ou autres, les moindres fragments d’information que nous pouvons récolter, avec l’intention pathétique de prêter au monde un semblant de sens et d’ordre, tout en sachant très bien, si fort que nous désirons croire le contraire, que nos entreprises sont hélas vouées à l’échec.
Alors pourquoi le faire? […] «Nous devrions assurément trouver à la fois touchant et encourageant, écrivait Robert Louis Stevenson il y a plus d’un siècle, que dans un domaine d’où le succès est banni, notre race n’abandonne pas l’effort.»

(Avant-propos, p.15-16)
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Une bibliothèque n'est pas seulement un endroit où règnent l'ordre et la chaos ; c'est aussi le royaume du hasard. p.170
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Georges Perec a un jour énuméré une douzaine de façons de classer sa bibliothèque, dont aucune ne lui semblait satisfaisante en elle-même. Sans grande conviction, il suggérait les ordres suivants :

alphabétique
par continents ou pays
par couleurs
par date d'acquisition
par dates de publication
par formats
par genres
par époques littéraires
par langues
en fonction de nos priorités de lecture
en fonction de leurs reliures
par collections.

De telles classifications peuvent répondre à un but particulier, personnel.


(II- Un ordre, p.50)
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Pendant la journée, la bibliothèque est un royaume d'ordre. [...]
Mais, la nuit, l'atmosphère change. Les bruits sont étouffés, les pensées plus sonores. [...] Le temps semble plus proche de cet instant à mi-chemin entre veille et sommeil où l'on peut à son aise réimaginer le monde. A mon insu, mes gestes se font furtifs, mon activité se fait secrète. Je deviens une sorte de fantôme. Les livres sont désormais la seule présence réelle [...] Libérés des contraintes quotidiennes, inaperçus à ces heures tardives, mes yeux et mes mains se promènent avec audace entre les rangées bien ordonnées, recréant le chaos. Un livre en appelle un autre, inopinément, en nouant des alliances entre des cultures et des siècles différents. Un vers à demi mémorisé suscite l'écho d'un autre pour des raisons qui, à la lumière du jour, restent obscures. Si, le matin, la bibliothèque suggère un reflet de l'ordre sévère et raisonnablement délibéré du monde, la bibliothèque, la nuit, semble se réjouir de son désordre fondamental et joyeux.

(I- Un mythe, p.26-27)
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