N'entreprends aucune activité au hasard ni autrement que le veut la règle de l'art permettant d'arriver à la perfection.
Mets fin à ton errance. Ce n'est plus le moment de relire tes petites notes, ni les hauts faits des Anciens, grecs et romains, ni les extraits de traités que tu as mis de côté pour ta vieillesse. Hâte-toi d'en finir. Repousse les vaines espérances et si tu te soucies de toi-même, porte-toi secours, tant que c'est encore possible.
Ne gaspille pas ce qui te reste à vivre à penser aux autres à moins que tu puisses rapporter ces pensées à quelque intérêt commun. Car tu te prives d'une autre tâche quand tu te demandes ce que fait untel, pourquoi il le fait, ce qu'il dit, ce qu'il a sur le cœur, ce qu'il combine, toutes choses qui te détournent de l'attention qu'il faut porter à ce qui te dirige, toi.
Qu'est ce que la mort ? Qu'on la considère elle seule, et qu'on en détache, en opérant une distinction dans la notion, ce dont l'imagination l'entoure : on comprendra qu'elle n'est rien d'autre qu'une œuvre de la nature et que craindre une œuvre de la nature, c'est de l'enfantillage. Que dis-je ? Ce n'est pas seulement une œuvre de la nature, c'est une œuvre qui lui est utile.
Quoi que tu fasses, dises ou penses, fais le comme quelqu'un qui pourrait déjà quitter la vie.
Dans l'art de l"écriture comme de la lecture, tu ne peux passer maître avant d'avoir été élève. C'est beaucoup plus vrai dans la vie.
Vois-les faire, quand ils mangent, qu'ils dorment, qu'ils s'accouplent, qu'ils s'accroupissent à l'écart, et cætera, ensuite, quand ils se donnent de grands airs et se rengorgent, ou bien quand ils se fâchent et qu'ils vous accablent de leur supériorité. Et tout à l'heure à combien de maîtres étaient-ils asservis et pour quels motifs ! Et, dans un instant, en quel état vont-ils être réduits !
Si donc tu conserves le droit de te donner ces nomes [homme de bien, réservé, véridique, prudent, confiant, noble] sans vouloir à toute force que les autres te les décernent, tu seras un autre homme et tu inaugureras une autre vie.
Ce qui est mort ne tombe pas hors de l'univers. S'il y reste, c'est donc qu'il s'y transforme et s'y dissout en ses éléments propres, qui sont ceux du monde, et les tiens. Et ces éléments se transforment à leur tour et ils ne murmurent pas.
Prends garde de jamais éprouver à l'égard des misanthropes ce qu'éprouvent les misanthropes à l'égard des autres hommes.