On se cherche des retraites, à la campagne, au bord de la mer, à la montagne ; et toi aussi, tu as coutume d’y aspirer plus que tout. Mais il ne s’agit là que de la plus parfaite ignorance, puisqu’il t’est loisible, à l’heure que tu choisis, de te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de retraite plus tranquille, ni plus paisible qu’en son âme, surtout s’il y cultive cela qui, à l’introspection, génère aussitôt un état de maîtrise totale ; et par maîtrise, je n’entends rien d’autre que le bon ordre. Sans cesse donc, offre-toi cette retraite et renouvelle-toi. Mais qu’il s’y trouve de ces maximes concises et élémentaires qui, sitôt rencontrées, suffiront à la purifier toute entière et à te renvoyer, affranchi de ton irritation, aux occupations vers lesquelles tu retournes.
Dans la vie de l’homme, la durée, un point ; la substance, fluente ; la sensation, émoussée ; le composé de tout le corps, prompt à pourrir ; l’âme, tourbillonnante ; la destinée, énigmatique ; la renommée, quelque chose d’indiscernable. En résumé, tout ce qui est du corps, un fleuve ; ce qui est de l’âme, songe et vapeur ; la vie, une guerre, un exil à l’étranger ; la renommée posthume, l’oubli. Qu’est-ce donc qui peut nous guider ? Une seule et unique chose, la philosophie. Et celle-ci consiste à veiller sur le Génie intérieur, pour qu'il reste exempt d'affront et de dommage, qu'il triomphe des plaisirs et des peines, qu'il ne fasse rien à la légère, qu'il s'abstienne du mensonge et de la dissimulation, qu'il n'ait pas besoin que les autres fassent ou ne fassent pas ceci ou cela ; en outre, qu'il accepte ce qui arrive et constitue sa part, comme venant de cette origine quelconque d'où lui-même est venu ; surtout qu'il attende la mort en de favorables dispositions, n'y voyant rien que la dissolution des éléments dont est formé chaque être vivant.
Si notre essence est la pensée, la pensée doit demeurer toujours supérieure à la passion, la conduire, la régler, en réprimer les excès et les intempérances. Les passions sont toutes bonnes de leur nature, mais il faut savoir s'en servir, et dès qu'elles sont insoumises, elles sont les plus dangereuses ennemies de notre bonheur et de notre sagesse.
Lorsque tu es forcé par les circonstances de ressentir quelque trouble, reviens vite à toi-même, ne t’écarte pas de la cadence plus qu’il n’est nécessaire, car tu seras plus maître de l’accord, en y revenant constamment.
Fixe ton attention sur chacun de ces objets ; vois-le se dissoudre, se modifier, se gâter en quelque sorte ou se dissiper, ou mourir selon le mode qui lui est naturel.
Tout est en train de se transformer. Toi-même tu es dans un changement continuel qui va en quelque partie, jusqu’à la destruction ; il en est de même de l’ensemble du monde.
Ne pas vivre comme si tu devais vivre dix mille ans. La nécessité est suspendue sur toi. Tant que tu vis, tant que cela t’est permis, améliore toi.
Proche est le moment où tu auras tout oublié ; proche, celui où tous t’auront oublié.
Si cet acte ne convient pas, ne le fais pas ; si cette parole n’est pas vraie, ne la dis pas.
Qui vit en paix avec lui-même vit en paix avec l'univers.