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Citations sur Kenneth White et la géopoétique (13)

12

Cependant, Kenneth White relève les limites des images surréalistes. Même si
l´on peut parler ici et là d´un « surréalisme naturel », on reste parfois déçu par
certaines figures de style, comme dans Arcane 17, où Breton, après avoir évoqué
l´île Bonaventure et « un des plus grands sanctuaires d´oiseaux de mer qui soient au
monde », retombe dans certaines images à la charge poétique quasi inexistante
comme « écume de neige » ou « avoine blanche »
29. Ici, les images alourdissent
l´écriture qui doit se défaire d´un style trop littéraire et trop marquée poétiquement
pour entrer dans un espace plus chargé en énergies, et où une certaine sobriété
stylistique – adéquate aux formes élémentaires de certains paysages – est requise. Il
faut donc pousser le surréalisme vers un autre paysage culturel, tout en s´en
inspirant, ce qu´avait fait le surréalisme à partir d´œuvres antérieures, comme celles
d´Apollinaire ou de Rimbaud.
Kenneth White fait partie de ces quelques auteurs qui, sans avoir été membre
du groupe surréaliste, ont fréquenté les œuvres de la plupart des grands écrivains de
ce mouvement, et en particulier celle d´André Breton, qui a joué un rôle important
dans son propre développement. Proche en cela de Julien Gracq, il est parti de
l´écriture surréaliste pour élaborer peu à peu une esthétique propre, plus ouverte au
réel, moins tournée vers les images psychiques, esthétique qu´il a qualifiée de
« géopoétique ». De nombreux liens sont perceptibles entre le surréalisme de Breton
28
Nous songeons en particulier à un poème de L´air de l´eau qui nous paraît rassembler les qualités
de la perception surréaliste et d´une sensation géopoétique, comme ce poème commençant par :
« On me dit que là-bas les plages sont noires / De la lave allée à la mer / Et se déroulent au pied d´un
immense pic fumant de neige ». In : Clair de terre, Paris, Gallimard, 1996, p.179.
29
A propos de ce passage White déclare dans l´entretien qu´il nous a accordé : « Je vois dans tout
ce texte une géopoétique d´efforçant de se dégager mais prise dans une confusion surréalisante –
sans l´aura dont j´ai parlé ».
12
et cette esthétique. Ils permettent de nous rendre compte que le surréalisme fut, au
cœur du vingtième siècle, un immense foyer d´énergie qui ouvrit la voie à de
nouveaux mouvements de pensée, à de nouveaux modes d´être, et que la fertilité de
celui-ci est loin d´être épuisée.
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11

Breton a
certainement eu le pressentiment de cette nouvelle expérience imaginale. On s´en
rend compte à travers certains titres de ses livres ou de ses poèmes comme « Point
du jour », « Clair de terre », « L´air de l´eau », qui pour la plupart évoquent une expérience d´éveil à travers la simplicité de quelques images, à travers l´expérience
d´une aura naturelle et encore ignorée 28
28
Nous songeons en particulier à un poème de L´air de l´eau qui nous paraît rassembler les qualités
de la perception surréaliste et d´une sensation géopoétique, comme ce poème commençant par :
« On me dit que là-bas les plages sont noires / De la lave allée à la mer / Et se déroulent au pied d´un
immense pic fumant de neige ». In : Clair de terre, Paris, Gallimard, 1996, p.179.
29
A propos de ce passage White déclare dans l´entretien qu´il nous a accordé : « Je vois dans tout
ce texte une géopoétique d´efforçant de se dégager mais prise dans une confusion surréalisante –
sans l´aura dont j´ai parlé ».
.
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10

Qu´entend White par « atopie » ? Il ne s´agit pas d´un lieu au-delà du réel
existant, mais de ce que les romantiques allemands appelaient quant à eux
« potentialisation » du donné. « La négation (dans non-lieu, par exemple), écrit
White, n´est pas pour moi une absence, une privation, c´est une intensification. C´est
comme le blanc. L´atopie est la sur-intensification d´une topologie bien solide. (…)
L´atopique est le potentiel du topique 25
. » Breton, après guerre, avait certainement
reconnu cette possibilité d´une pensée poétique ouverte au réel et en révélant la
beauté, pensée ignorée par la société moderne. Il avait notamment parlé du « haut
accent de nouveauté » qui l´avait frappé dans la prose whitienne. Un fond celtique rassemble les deux poètes, ce que n´a pas manqué de reconnaître Kenneth White
en lisant le texte « Braise au trépied de Keridwen ». Il y note des expressions comme
« poésie de haut vol » à propos de certains auteurs de la culture celtique, quelques
passages pour lui significatifs où il est question d´une « lumière venant de loin », de
« l´accession aux plus hauts paliers que fragilement au-dessus d´elle la condition
humaine », d´ «un foyer de sens provisoirement isolé dans un foyer plus vaste qui
attend d´être nommé », et surtout ce passage où Breton semble ouvrir la voie à la
géopoétique, car il y est question de « cette poésie où Je est déjà intensément un
autre puisqu´il assume toutes les exigences, y compris celle de l´inanimé et
n´accepte de se concevoir que comme leur conscience globale »
26. Kenneth White
raconte qu´il possède dans son atelier un gros morceau de corail bleu auquel il
pense depuis longtemps comme au « rêve brisé d´André Breton ». Cette anecdote
nous permet d´illustrer le rapport de la géopoétique au surréalisme et en particulier à
l´oeuvre de son principal inspirateur 27. C´est surtout une certaine aura que White
reconnaît dans le surréalisme, aura entourant les objets ou les êtres rencontrés et
évoqués et qui donne une dimension poétique nouvelle à l´existence. Cette aura
entraîne l´esprit du lecteur dans une sensation des choses plus forte et plus dense,
lui faisant quitter la perception quotidienne du monde. C´est cette captation de
l´esprit par des images chargées poétiquement qui intéressent White, même si le
travail sur les images doit avoir pour lui une dimension qui dépasse la fantasmagorie
et le lyrisme facile pour entrer de plain-pied dans l´espace réel.
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9

III. Au-delà de l´utopie

Avec Breton, nous sommes encore sur le terrain de la pensée utopique
européenne. Or White, après une période de découverte et d´approfondissement de
cette pensée, après une phase surréaliste, va finalement rompre avec celle-ci,
lentement, progressivement, et travailler à l´apparition d´un nouveau terrain, celui de
la pensée géopoétique. Il ne s´agit pas pour nous ici de présenter cette pensée24
,
mais de voir dans quelle mesure elle tente d´aller au-delà de l´utopie pour entrer
dans ce que White appelle l´atopie. L´utopie, en refusant le réel tel qu´il est, finit par
reprendre un schéma moderne qui est celui du Progrès, et que White appelle quant à
lui « l´autoroute de l´Histoire ». Désireux de dépasser le réel, l´édéniste finit par ne
plus voir la réalité qui l´entoure et par vivre seulement pour un avenir qui n´advient
jamais. Or une des tâches les plus urgentes de notre temps est au contraire
d´apprendre – selon l´expression de Hölderlin – à « habiter poétiquement la terre ».
C´est tout le programme de la géopoétique.
Qu´entend White par « atopie » ? Il ne s´agit pas d´un lieu au-delà du réel
existant, mais de ce que les romantiques allemands appelaient quant à eux
« potentialisation » du donné. « La négation (dans non-lieu, par exemple), écrit
White, n´est pas pour moi une absence, une privation, c´est une intensification. C´est
comme le blanc. L´atopie est la sur-intensification d´une topologie bien solide. (…)
L´atopique est le potentiel du topique 25
. »
24
Voir à ce sujet notre article « Kenneth White et la géopoétique » dans Parages, numéro 5, hiver
2001.
25
Le poète cosmographe, op.cit., p. 71-72.
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8

Breton projette une nouvelle époque qui sera marquée par le refus de toutes
les valeurs guerrières contemporaines et par l´avènement des valeurs surréalistes et
fouriéristes au centre desquelles se trouve l´amour (« l´amour qui prend tout le
pouvoir »
19). Cette époque peut être qualifiée d´ « âge d´or », et Breton retrouve là
l´idéal du romantisme allemand, pour lequel l´Eden ne se trouvait pas dans le passé,
mais dans un futur eschatologique à réaliser. Ainsi, on trouve ces quelques mots
sous la plume de Friedrich Schlegel : « L’image trompeuse d’un âge d’or passé est
l’un des plus grands obstacles à l’approche de l’âge d’or qui doit venir. […] Si l’âge d’or ne doit pas durer éternellement, il vaut mieux qu’il ne commence pas : il n’est
bon qu’à inspirer des élégies sur sa perte20
. »
Cet âge d´or en avant de l´époque présente est donc un rêve commun à
Fourier et à Breton. Il s´inscrit dans l´histoire de la culture européenne, et le
surréalisme ne rompt pas avec celle-ci, mais la prolonge plutôt. Il semble que dans
un premier temps Kenneth White, lisant Arcane 17, se soit reconnu dans cette
histoire qui va de la Renaissance au vingtième siècle, dans cette histoire de l´utopie.
Il se retrouve surtout dans un éloge de la vie et du bonheur sur Terre (« (…)
fouriérisme et surréalisme proclament la possibilité d´une culture dans laquelle le
bonheur est quelque chose de plus qu´une valeur : le sol même, le climat même de
la vie »
21), et définit la poésie moderne comme un « édénisme ». A la fin de son
introduction à l´Ode à Charles Fourier, il en vient même à rapprocher le socialisme
utopique du fantôme du communisme qui, dixit Marx, hante l´Europe. « Dans cette
perspective, écrit-il, Marx, le Christ et Nietzsche, pour ne mentionner que ces trois-là
(et trois des plus incompatibles en apparence – bien que tous trois se rencontrent en
Fourier) sont, fondamentalement, un seul 22
. » Ainsi, une bonne partie de l´histoire de
la modernité se résume, aussi bien sur le plan politique que culturel, à une quête
sans fin d´un bonheur terrestre, quête qui semble culminer au vingtième siècle. Le
surréalisme est la révolte ultime grâce à laquelle la société rêvée par Fourier, toute
entière fondée sur l´assouvissement des passions, va pouvoir se développer. « Ce
temps peut être imminent 23
. »
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7


« Fourier tranchant sur la grisaille des idées et des aspirations d´aujourd´hui ta
lumière », lit-on dans l´Ode de Breton. Si, du point de vue du surréalisme, la pensée
et l´œuvre de Fourier sont exemplaires, c´est par leur qualité autant critique que
projective. L´époque – son goût immodéré du profit et du travail – est dénoncée, au
nom d´un idéal qui dépasse la société sans classes de Marx, au nom du principe de
plaisir. C´est ce que Breton appelle le « futur édénique », et qui doit advenir suite à
une révolte radicale face au délabrement social causé par la seconde guerre
mondiale. Fourier est le meilleur représentant de ce dix-neuvième siècle rebelle, et il
nous donne les clés de l´avenir, comme on peut le lire dans Arcane 17 :
A travers leurs outrances et tout ce qui procède chez eux de la griserie
imaginative, on ne peut refuser d´accorder aux écrivains réformateurs de la
première moitié du dix-neuvième siècle, au même degré qu´aux artistes primitifs,
le bénéfice de l´extrême fraîcheur. Cette fraîcheur, nous en sommes
particulièrement avides aujourd´hui. Dans le domaine social comme ailleurs, on
peut espérer que de la confusion idéologique sans précédent qui marquera la fin
de cette guerre surgiront un assez grand nombre de propositions radicales
formulées hors des cadres et qui, bravant le grief d´ingénuité aussi bien que celui
d´anticipation gratuite et sans conséquence, feront, devant la carence provisoire
du langage et de l´esprit, parler haut le langage du cœur et des sens18
.
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6

Comme Breton, White était revenu de la croyance en un bouleversement
social que provoqueraient des partis structurés et des syndicats. En Ecosse, son
père, employé des chemins de fer, avait été engagé politiquement, et il avait pu
constater les limites de cet engagement. « C´est vers 1963, écrit-il, que j´ai
commencé à me dégager de tout cela. C´est vers cette époque que je parviens
réellement à couper tous mes liens avec la vie sociale écossaise et que je découvre
notamment l´œuvre de Fourier15
. » White découvrit le surréalisme en même temps
que l´œuvre de Fourier, ce qui peut expliquer qu´il ait pu se sentir particulièrement
attiré par le travail de Breton, sans doute le plus « idéologue » des surréalistes,
résolument attaché à la pensée utopique dont un des sommets fut, au dix-neuvième
siècle, le fouriérisme :
Splendide dix-neuvième siècle, en deçà duquel il faut remonter d´un bond au
quatorzième pour fuser dans le même ciel redoutable en peau de chat-tigre !
Le refus de la vie donnée, que ce soit socialement ou moralement, y aiguille
l´homme sur une série de solutions nouvelles du problème de sa nature et de
sa fin. Une fermentation extraordinaire, que nous ne connaissons plus…16
Cette « fermentation extraordinaire », ou ce qu´il appelle lui-même une
« atmosphère stimulante », White la retrouva dans le surréalisme, et avant tout chez
Breton, qui est allé le plus loin sur les pistes ouvertes par lui-même et quelques
autres trente années plus tôt. Isolé, exilé, c´est dans la découverte de ce qu´on
pourrait appeler « l´utopie harmonique » qu´il a tenté d´ouvrir de nouveaux territoires
à la poésie, alors limitée à des exercices de style et incapable de tracer de nouvelles
perspectives à la société dans son ensemble.
La traduction de l´Ode à Charles Fourier réalisée par Kenneth White parut à
Londres en 1968, précédée d´une introduction intitulée « Un dernier regard sur
l´utopie »
17. En cette époque de révoltes étudiantes et de remises en cause des
institutions étatiques un peu partout dans le monde, la lecture et la traduction de ce
15
Ibid., p.88.
16
«Le merveilleux contre le mystère », 1936, cité par Kenneth White dans « Un dernier regard sur
l´utopie », Une stratégie paradoxale, Presses Universitaires de Bordeaux, 1998, p.103.
17
Kenneth White traduisit également des poèmes de Breton qui parurent chez Jonathan Cape à
Londres sous le titre Selected Poems, en 1969.
7
texte par un auteur encore peu connu du public, mais qui avait déjà publié quelques
ouvrages en Angleterre et en France, marquèrent un tournant dans le propre
parcours du traducteur, qui n´est pas sans symboliser celui de toute une génération
d´intellectuels et d´écrivains. Dans l´introduction au poème, c´est la notion d´utopie
moderne qui y est présentée, avant d´être, comme on le verra, questionnée.
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5

Que ce soit justement cette œuvre qu´ait décidé de traduire Kenneth White
dans les années soixante n´est pas un hasard. Ce choix témoigne d´une fidélité au
poète surréaliste et au surréalisme en général. Dans un entretien, White déclare par
exemple : « Quoi qu´on en dise, et malgré ses erreurs et ses faiblesses, le
Surréalisme a, pendant un moment, cassé le monde littéraire comme on casse un
atome pour libérer de l´énergie. Il a bouleversé les habitudes, fait taire le ronron et
les bavardages. C´était une grande effervescence et le début de la grande
dérive 14
. » Comme le signale cette dernière phrase, le surréalisme ne fut pas
simplement une rupture, mais le début d´autre chose, d´un nouveau mouvement
culturel, totalement inédit dans ses modes d´action et dans ses objectifs, allant bien
11
Ibid., p.145.
12
Ibid., p.150.
13
«C´est à New York que j´ai pu me procurer ses œuvres complètes dans l´édition de 1846 et
seulement alors que j´ai découvert en lui « le grand poète de la vie harmonienne » pour reprendre
votre expression à laquelle je m´associe pleinement. Les cinq volumes m´ont accompagné presque
seuls au cours d´un assez long voyage que j´ai fait durant l´été 1945 dans l´Ouest des Etats-Unis et
qui m´a mené d´abord à Reno (Nevada) (…) ». Lettre du 21 janvier 1958 à Jean Gaulmier.
14
Le poète cosmographe, op.cit., p.23.
6
au-delà de la littérature. Il engageait une politique et une stratégie sociale, et dans ce
contexte de rébellion la figure de Fourier était le symbole d´un « socialisme
utopique » qui conciliait activisme militant et écriture poétique, théorie et pratique de
vie.
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4

Il y a une très belle page d´Ajours où Breton évoque le commencement de la
seconde guerre mondiale. L´écrivain raconte qu´il est posté à une fenêtre qui donne
sur la cour intérieure du fort de Nogent, d´où il observe l´euphorie se manifestant
chez les hommes qui, quelques instants avant l´annonce de la déclaration de guerre,
s´ennuyaient.
Devant le spectacle d´une si totale inconséquence, écrit-il, le médecin avec qui
j´étais accoudé là, homme pourtant assez dur, se prit à pleurer. L´euphorie des
autres, au premier abord confondante, il ne suffit pas cependant de la déplorer, il
faut encore en découvrir les causes et, pour ma part, je n´hésite pas à les trouver
dans la platitude et les contraintes de la vie sociale du temps de paix10
.
8 Cité dans la présentation des Limbes incandescents. Merci à Kenneth White de nous avoir
communiqué une copie de cette lettre du 10 janvier 1965.
9
L´expression est dans Arcane 17, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1971, p.50.
10
Ajours, in Arcane 17, op.cit. p.147.
5
Cette vie sociale provoque un sentiment d´insatisfaction chez l´homme moderne
qui le pousse à voir dans la guerre un moyen de sortir de son ennui et à reconnaître
en elle une « aventure ». Vingt ans plus tôt, le surréalisme, né du refus des ravages
militaires de la première guerre mondiale, s´était affirmé comme un discours utopique
qui encourageait chacun à accéder à une vie heureuse sans recourir aux forces de la
violence, résolument opposé en cela au fascisme qui faisait de la guerre « l´hygiène
mentale suprême »
11. Le groupe surréaliste disloqué après la seconde guerre
mondiale, Breton devint la figure de proue d´une pensée utopique qui affirmait
hautement que la vie était « à repassionner », en ne négligeant aucun des besoins
humains : « Et que partout l´imagination, si honteusement canalisée, aille son cours !
Puissent des fêtes, où il soit donné à chacun de prendre une part active, être assez
largement conçues pour épuiser périodiquement toute la puissance phosphorique
contenue dans l´homme12
. »
À la recherche des conditions d´un développement personnel de chaque
individu dans une nouvelle société, Breton découvre l´œuvre de Charles Fourier lors
d´un voyage dans l´Ouest des Etats-Unis qui l´amène notamment à étudier la culture
hopie13. Et c´est pendant ce voyage qu´il écrit l´Ode à Charles Fourier, poème publié
en 1947.
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3

Peut-être est-ce cette proximité géographique et quasi fantasmagorique qui
permit la rencontre entre Kenneth White et André Breton quelques années plus tard.
En 1964, la revue Les lettres nouvelles publie un extrait du manuscrit des Limbes
incandescents, alors que paraît en même temps En toute candeur, le premier livre de
White publié en français. Celui-ci envoie un exemplaire à Breton, qui lui répond et lui
écrit dans sa lettre l´avoir déjà lu dans la revue de Maurice Nadeau :
Jeudi soir, attablé comme de coutume au fond de ce café des Halles à
l´enseigne de La promenade de Vénus, j´avais, la revue en main, longuement
insisté sur le haut accent de nouveauté qui me frappait dans cet A la lisière du
monde. Nadeau avait montré grand discernement et même clairvoyance en
donnant ce texte en tête du numéro… Il ne manque pas de banc dans le
4
Les limbes incandescents, Paris, Denoël, 1976. Dans un entretien inédit que nous a accordé
Kenneth White celui-ci déclare : « … à partir de 1959, à Paris, je me promenais souvent avec un livre
de Breton en poche : Nadja, L´Amour fou, Les Pas perdus, Arcane 17. J´ai fait de l´écriture
automatique aussi, y voyant une méthode de libération. Les premières pages des Limbes
incandescents sont assez surréalistes – après, on entre dans un autre territoire ».
5
Op.cit., p.103. Le groupe surréaliste se réunissait aussi place Blanche.
6
Les limbes incandescents, op.cit., p.57.
7
En référence à la phrase de Nietzsche dans Ecce homo : « Nous sommes des Hyperboréens ».
4
monde où nous ayons chance de nous trouver côte à côte et de nous entendre
presque sans parler, comme une fois pour toutes ils ont pris la pose à l´ouest8
.
Dans cette même lettre, Breton propose au jeune auteur de collaborer à la
revue qu´il dirige, La Brèche, ce que fera celui-ci la même année avec un autre
extrait des Limbes incandescents. Dès ce premier courrier, on sent qu´un lien assez
fort s´est créé entre les deux hommes, et qu´un respect mutuel domine entre eux
(loin de l´idée qu´on peut se faire des rapports d´un maître à un élève, et loin aussi
de la représentation caricaturale et fausse du « Pape du surréalisme »). Après avoir
insisté sur le « haut accent de nouveauté » de son écriture, Breton, esprit aux aguets
plus qu´autorité, revient sur le livre de White : « Il demande à être goûté très
patiemment – ce que j´avais éprouvé pour la poésie de Trakl, en tout dernier lieu ».
Malgré ce premier échange si chaleureux et si ouvert, la rencontre n´eut pas
lieu – Breton mourut un an plus tard. Mais pendant plusieurs années, White avait
approfondi sa connaissance du surréalisme, et l´avait expérimenté à sa manière,
physiquement et intellectuellement, par le corps et par l´écriture. Quant à l´auteur
d´Arcane 17, sans doute avait-il perçu dans les premiers écrits publiés du jeune
Ecossais une énergie singulière et une écriture forte, à la fois proche du surréalisme
– par son approche des lieux et des êtres, par sa liberté de ton et de style -, tout en
étant portée vers une nouvelle expérience du monde.
II. « L´ombre frénétique de Charles Fourier »
9
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