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EAN : 9782296011229
256 pages
Editions L'Harmattan (01/09/2006)
4.25/5   2 notes
Résumé :
Le concept de "géopoétique" a été élaboré par l'écrivain franco-écossais Kenneth White à partir de 1978. Dans plusieurs essais, mais aussi dans des livres de voyages et des poèmes, il n'a cessé de travailler à son développement. C'est en 1989 qu'a été fondé l'Institut international de géopoétique que préside Kenneth White, institut représenté dans plusieurs pays. Cet ouvrage collectif propose une compréhension à la fois vaste et approfondie du "concept fondateur" qu... >Voir plus
Que lire après Kenneth White et la géopoétiqueVoir plus
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
On peut difficilement considérer le surréalisme sur le plan seulement littéraire.
Engagé dans les luttes sociales de son temps, mais aussi dans la révolution
psychanalytique, associant recherches dans le domaine pictural et investigations
d´ordre plus philosophique, son grand projet a été la transformation de l´homme, et
cela à travers le bouleversement des habitudes sociales et culturelles, en
développant de nouvelles expériences de vie. Au cœur de cet effort, il y a certes
l´écriture poétique, mais celle-ci prend une nouvelle dimension qui dépasse de loin le
seul champ de la littérature. Tout l´homme y est engagé, tout l´homme dans son
rapport avec lui-même (rêves, réflexions, désirs), mais aussi avec les autres et avec
le monde. Pour le dire sommairement : le surréalisme fut extrêmement novateur en
ce qu´il vit dans la poésie le moyen de développer une nouvelle expérience du
monde, et c´est passer à côté de lui que de le réduire à une école littéraire au sens
étroit du terme. À bien des égards, c´est cette dimension supra-littéraire et que l´on
pourrait qualifier d´anarchique qui le rapproche du romantisme allemand et de ses
expérimentations interdisciplinaires (ce qui explique l´intérêt de Breton et d´autres
surréalistes pour celui-ci1
).
Rien d´étonnant alors que de jeunes auteurs, réagissant plusieurs décennies
plus tard aux mêmes maux du siècle, aient pu se reconnaître dans les mots d´ordre
et les visées du surréalisme. Pendant que d´autres s´adonnaient à l´écriture
automatique en y voyant avant tout un jeu, quelques-uns saisissaient l´esprit même
du surréalisme et en percevaient toute l´originalité, au-delà de certaines de ses
pratiques et de quelques-unes de ses erreurs. Parmi ceux-là, il y a Kenneth White,
qui, dès son temps d´études à Glasgow, a rencontré le corpus des textes
surréalistes, et qui est venu en France, pour une bonne part, à la suite de cette
découverte. Le poète-penseur, futur auteur de récits, de livres de poèmes et
d´essais, fondateur de l´Institut international de géopoétique, se reconnut aussitôt
1
Nous avons abordé ce point à propos de Roger Caillois, surréaliste un temps et pour lequel la
lecture des romantiques allemands fut déterminante. Voir notre article « Approche de la pensée
lyrique de Roger Caillois », in Littérature, numéro 120, p.74-88.
2
dans l´activisme surréaliste, et dans sa volonté de rupture avec la société et avec les
valeurs existentielles et artistiques de celle-ci. C´est surtout la figure et les oeuvres
d´André Breton qui, dès le début, eurent un effet magnétique sur l´esprit du jeune
homme : au cœur de ce rayonnement, il y avait la présence d´une interrogation
incessante sur la possibilité d´un nouvel ordre social, alliée à une pratique poétique
nouvelle, la nouvelle utopie surréaliste combinant individualisme et révolte sociale.
Comment concilier développement individuel et changements collectifs : cette
question était évidemment au cœur de ce qui fut caricaturé ensuite comme la
« pensée 68 », et Breton donnait la plupart des réponses, dont celle-ci, qui n´est pas
sans rappeler certains des slogans contestataires des années soixante :
Lâchez tout.
Lâchez dada.
Lâchez votre femme, lâchez votre maîtresse.
Lâchez vos espérances et vos craintes.
Semez vos enfants au coin d´un bois.
Lâchez la proie pour l´ombre.
Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu´on vous donne pour une situation d´avenir.
Partez sur les routes2
.
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LE GRAND RIVAGE DE KENNETH WHITE



Kenneth White est mort le 11 août dernier dans sa « maison des marées » de Trébeurden. Il avait 87 ans.

D’origine écossaise, il s’était installé en France après des années d’études parisiennes relatées dans l’un de ses premiers récits publiés en français, Les Limbes incandescents (1976). Des chapitres de ce livre parus auparavant en revue sont notamment remarqués par André Breton qu’il traduira plus tard. Les écrits surréalistes jouent un grand rôle dans la formation intellectuelle et littéraire du jeune écrivain pétri de culture française depuis son enfance.

Kenneth White est l’auteur d’une œuvre immense et plurielle comprenant autant des livres de poèmes, des récits que des essais.

Parmi ses œuvres poétiques, on citera les plus remarquables parce que les plus vivifiantes : Terre de diamant (1977/83), Mahâmudrâ (1979), Le Grand Rivage (1980), Atlantica (1986). Depuis les années 1990, la plupart de ses autres livres de poèmes ont été publiés aux éditions du Mercure de France.

Il faut lire aussi ses récits de « voyage-voyance », comme il aimait les appeler : Lettres de Gourgounel (1979), La Route bleue (prix Médicis étranger 1983), Les Cygnes sauvages (1990) qui, chacun, racontent une expérience du monde à la fois profonde et joyeuse (Kenneth White parlait d’un « nihilisme gai » le concernant).

Ses essais, parmi les premiers La Figure du dehors (1982), Une Apocalypse tranquille (1985), L’Esprit nomade (1987) sont nourris de nombreuses œuvres littéraires et philosophiques, notamment celles d’Henry David Thoreau (figure centrale pour White), de Victor Segalen ou de Friedrich Nietzsche.

En 1989, Kenneth White a fondé l’Institut international de géopoétique qui a essaimé en Europe et hors d’Europe sous la forme d’ateliers. Dans les Cahiers de géopoétique, il écrit : « Un monde, c’est ce qui émerge du rapport entre l’homme et la terre. Quand ce rapport est sensible, intelligent, complexe, le monde est monde au sens profond du mot : un bel espace où vivre pleinement.»

On donne ici quelques liens qui permettront de découvrir ou de continuer à découvrir l’œuvre du grand poète franco-écossais :
La nuit rêvée de Kenneth White, une émission de France Culture, une série d’entretiens avec de nombreuses archives radiophoniques sur des auteurs qui ont compté dans la vie et la pensée du poète : André Breton, Emile Cioran, Henri Michaux et d’autres La Nuit rêvée de … Kenneth White (radiofrance.fr)
Texte inaugural de l’Institut international de géopoétique Présentation de l’Institut (institut-geopoetique.org)
La page de Poezibao consacrée à Kenneth White Kenneth White (Poezibao) (typepad.com) comprenant une bibliographie.
Kenneth White et la géopoétique, sous la direction de Laurent Margantin KENNETH WHITE ET LA GÉOPOÉTIQUE – Sous la direction de Laurent Margantin – livre, ebook, epub (editions-harmattan.fr)
Le dossier Kenneth White de la Revue des Ressources Kenneth White – La Revue des Ressources réalisé par Régis Poulet.

Laurent Margantin

On peut lire aussi une contribution au volume KW et la géopoétique que Laurent Margatin a dirigé et pour lequel il a écrit cet article sur Kenneth White et André Breton
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3

Peut-être est-ce cette proximité géographique et quasi fantasmagorique qui
permit la rencontre entre Kenneth White et André Breton quelques années plus tard.
En 1964, la revue Les lettres nouvelles publie un extrait du manuscrit des Limbes
incandescents, alors que paraît en même temps En toute candeur, le premier livre de
White publié en français. Celui-ci envoie un exemplaire à Breton, qui lui répond et lui
écrit dans sa lettre l´avoir déjà lu dans la revue de Maurice Nadeau :
Jeudi soir, attablé comme de coutume au fond de ce café des Halles à
l´enseigne de La promenade de Vénus, j´avais, la revue en main, longuement
insisté sur le haut accent de nouveauté qui me frappait dans cet A la lisière du
monde. Nadeau avait montré grand discernement et même clairvoyance en
donnant ce texte en tête du numéro… Il ne manque pas de banc dans le
4
Les limbes incandescents, Paris, Denoël, 1976. Dans un entretien inédit que nous a accordé
Kenneth White celui-ci déclare : « … à partir de 1959, à Paris, je me promenais souvent avec un livre
de Breton en poche : Nadja, L´Amour fou, Les Pas perdus, Arcane 17. J´ai fait de l´écriture
automatique aussi, y voyant une méthode de libération. Les premières pages des Limbes
incandescents sont assez surréalistes – après, on entre dans un autre territoire ».
5
Op.cit., p.103. Le groupe surréaliste se réunissait aussi place Blanche.
6
Les limbes incandescents, op.cit., p.57.
7
En référence à la phrase de Nietzsche dans Ecce homo : « Nous sommes des Hyperboréens ».
4
monde où nous ayons chance de nous trouver côte à côte et de nous entendre
presque sans parler, comme une fois pour toutes ils ont pris la pose à l´ouest8
.
Dans cette même lettre, Breton propose au jeune auteur de collaborer à la
revue qu´il dirige, La Brèche, ce que fera celui-ci la même année avec un autre
extrait des Limbes incandescents. Dès ce premier courrier, on sent qu´un lien assez
fort s´est créé entre les deux hommes, et qu´un respect mutuel domine entre eux
(loin de l´idée qu´on peut se faire des rapports d´un maître à un élève, et loin aussi
de la représentation caricaturale et fausse du « Pape du surréalisme »). Après avoir
insisté sur le « haut accent de nouveauté » de son écriture, Breton, esprit aux aguets
plus qu´autorité, revient sur le livre de White : « Il demande à être goûté très
patiemment – ce que j´avais éprouvé pour la poésie de Trakl, en tout dernier lieu ».
Malgré ce premier échange si chaleureux et si ouvert, la rencontre n´eut pas
lieu – Breton mourut un an plus tard. Mais pendant plusieurs années, White avait
approfondi sa connaissance du surréalisme, et l´avait expérimenté à sa manière,
physiquement et intellectuellement, par le corps et par l´écriture. Quant à l´auteur
d´Arcane 17, sans doute avait-il perçu dans les premiers écrits publiés du jeune
Ecossais une énergie singulière et une écriture forte, à la fois proche du surréalisme
– par son approche des lieux et des êtres, par sa liberté de ton et de style -, tout en
étant portée vers une nouvelle expérience du monde.
II. « L´ombre frénétique de Charles Fourier »
9
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6

Comme Breton, White était revenu de la croyance en un bouleversement
social que provoqueraient des partis structurés et des syndicats. En Ecosse, son
père, employé des chemins de fer, avait été engagé politiquement, et il avait pu
constater les limites de cet engagement. « C´est vers 1963, écrit-il, que j´ai
commencé à me dégager de tout cela. C´est vers cette époque que je parviens
réellement à couper tous mes liens avec la vie sociale écossaise et que je découvre
notamment l´œuvre de Fourier15
. » White découvrit le surréalisme en même temps
que l´œuvre de Fourier, ce qui peut expliquer qu´il ait pu se sentir particulièrement
attiré par le travail de Breton, sans doute le plus « idéologue » des surréalistes,
résolument attaché à la pensée utopique dont un des sommets fut, au dix-neuvième
siècle, le fouriérisme :
Splendide dix-neuvième siècle, en deçà duquel il faut remonter d´un bond au
quatorzième pour fuser dans le même ciel redoutable en peau de chat-tigre !
Le refus de la vie donnée, que ce soit socialement ou moralement, y aiguille
l´homme sur une série de solutions nouvelles du problème de sa nature et de
sa fin. Une fermentation extraordinaire, que nous ne connaissons plus…16
Cette « fermentation extraordinaire », ou ce qu´il appelle lui-même une
« atmosphère stimulante », White la retrouva dans le surréalisme, et avant tout chez
Breton, qui est allé le plus loin sur les pistes ouvertes par lui-même et quelques
autres trente années plus tôt. Isolé, exilé, c´est dans la découverte de ce qu´on
pourrait appeler « l´utopie harmonique » qu´il a tenté d´ouvrir de nouveaux territoires
à la poésie, alors limitée à des exercices de style et incapable de tracer de nouvelles
perspectives à la société dans son ensemble.
La traduction de l´Ode à Charles Fourier réalisée par Kenneth White parut à
Londres en 1968, précédée d´une introduction intitulée « Un dernier regard sur
l´utopie »
17. En cette époque de révoltes étudiantes et de remises en cause des
institutions étatiques un peu partout dans le monde, la lecture et la traduction de ce
15
Ibid., p.88.
16
«Le merveilleux contre le mystère », 1936, cité par Kenneth White dans « Un dernier regard sur
l´utopie », Une stratégie paradoxale, Presses Universitaires de Bordeaux, 1998, p.103.
17
Kenneth White traduisit également des poèmes de Breton qui parurent chez Jonathan Cape à
Londres sous le titre Selected Poems, en 1969.
7
texte par un auteur encore peu connu du public, mais qui avait déjà publié quelques
ouvrages en Angleterre et en France, marquèrent un tournant dans le propre
parcours du traducteur, qui n´est pas sans symboliser celui de toute une génération
d´intellectuels et d´écrivains. Dans l´introduction au poème, c´est la notion d´utopie
moderne qui y est présentée, avant d´être, comme on le verra, questionnée.
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2

I . Place Blanche

Ce « Lâchez tout » commande véritablement les livres d´errance parisienne
que sont Nadja ou Le paysan de Paris, et Kenneth White fit assez vite de ces livres
des vade-mecum indispensables à sa propre découverte de Paris. Il raconte ainsi
qu´avant de partir séjourner dans le sud de la France, il pratiqua une forme de
« dérive » fortement inspirée par les œuvres surréalistes : préparant une thèse sur
Eluard qui l´a « ennuyé assez rapidement », il se mit à chercher une « autre
poétique ». « Ça prenait les allures d´une dérive surréaliste dans Paris : boulevard
Magenta, place Blanche, le canal de l´Ourcq… (je mentionne quelques endroits qui
m´attiraient) »
3
. C´est pendant cette période qu´il commence à écrire Les limbes
incandescents, dont les premières pages sont de facture surréaliste. Les « Notes
d´un homme de rien » commencent en effet ainsi :
2
Les pas perdus, Paris, Gallimard, 1969, p.105.
3
Le poète cosmographe, entretiens, Presses Universitaires de Bordeaux, 1987, p. 9.
3
Je vis un pénitencier de grandes dimensions prendre forme à l´horizon. Alors
Edgar Allan Poe ouvrit une fenêtre au dernier étage et entonna la Star
Spangled Banner, ce qui fit s´assembler les étoiles et s´aligner le rouge, le
bleu et le blanc du ciel, sur quoi Rip Van Winkle jaillit d´une cheminée avec
un oreiller en guise de parachute4
.
White parcourt Paris en tout sens, mais évoque à plusieurs reprises la place
Blanche, où l´on sait qu´habita André Breton, comme il le raconte d´ailleurs lui-même
dans Les pas perdus : « J´habite depuis deux mois place Blanche. L´hiver est des
plus doux et, à la terrasse de ce café voué au commerce des stupéfiants, les femmes
font des apparitions courtes et charmantes5
. » En lisant Les limbes incandescents
(un de ses premiers ouvrages, écrit pendant les années d´études parisiennes), on
sent tout ce que White doit au surréalisme : les récits de rêves sont nombreux, et
certaines pages évoquent une atmosphère irréelle : « Nuit, et Balzar le rouge souffle
dans le froid une chaleur illusoire, un néon à semblance de feu, et moi dans mon
iceberg personnel je flotte à perte de vue par les friches brutes de mon
imagination 6
. » Ces dernières lignes sont extraites du chapitre « Errances
hyperboréennes »
7
, et curieusement, dans Les pas perdus, on retrouve, place
Blanche exactement, la nuit boréale : « Les nuits n´existent guère plus que dans les
régions hyperboréennes de la légende »
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