Infanticides et néonaticides

Certes, un parent ne tue pas, avons-nous l'habitude de penser. Et en effet le parent mature, qui a su grandir dans une humanité porteuse de sa vie psychique, n'est pas un meurtrier. Il ne passera pas à l'acte. C'est la part infantile blessée et non construite de l'adulte parent qui peut tuer. Et ce manque, cette absence, ce vécu qui l'a projeté dans un sentiment de perte profonde et structurelle peut le conduire à l'irréparable.

A la question : "De quoi souffrent ces parents meurtriers pour avoir pu aller jusqu'au passage à l'acte ?", nous sommes en mesure de répondre : "Ce sont d'anciens enfants en souffrance de parents symboliques."

Une constante est criante dans l'enfance des parents félicides : une pauvreté psychique, une misère psychoaffective précoce qui les a conduits dès leur plus jeune âge à cliver leurs émotions. Ce clivage leur a permis de survivre.

"Le pari d'un psychanalyste est de défaire par la parole ce qui s'est effectué (noué) par la parole ou son absence" (formations de l'inconscient, secret de famille, mensonges, non-dit, fantasmes, loyautés invisibles...).

L'éthique psychanalytique, celle où le désir du sujet est un axe majeur, implique une analyse des identifications aliénantes aux valeurs et interdits parentaux, ou encore à celles et ceux du groupe, elle implique la sortie de la répétition du destin familial ou personnel et un abandon des fixations aux pensées et comportements de l'enfance.

Cette éthique est difficile à soutenir dans des unités de soins, dans des prises en charge, qu'elles soient hospitalières ou aient lieu dans un centre puisque d'autres impératifs sociaux, économiques, politiques... doivent être respectés.

Pour Christian Flavigny, les conditions de l'épanouissement de la vie familiale sont :
- que les pulsions adultes soient domestiquées ;
- que le sexuel soit transformé en simple tendresse ;
- que la violence soit transformée en simple contenance favorable au projet éducatif.

"Ce sont les impératifs qui permettent à l'adulte d'engager la relation intime à son enfant. Ces balises de l'interdit se réfèrent à un interdit intérieur qui fonde la Loi familiale. C'est une loi symbolique qui favorise aussi la transmission des générations."

Si l'enfant fait des expériences sensorielles puis émotionnelles sans pouvoir leur donner un sens satisfaisant, il est incapable de leur trouver une place en lui. Il en est privé. L'expérience devient alors traumatique puisqu'elle est incompréhensible. Le bébé seul dans l'effroi de ses tensions internes, dans une absence de prise en compte de sa naissance émotionnelle, est en état traumatique.

Certains auteurs critiquent depuis des décennies notre tendance à la biologisation de la filiation. C'est le cas de Maurice Berger. Il évoque la notion d'"idéologie du lien familial", cette position de principe selon laquelle le maintien du lien physique réel entre un enfant et ses parents a une valeur intouchable et absolue. Or la valeur d'un lien n'existe pas en soi. Il existe, dit Maurice Berger, "des liens positifs, qui fournissent un étayage indispensable au développement psychique de l'enfant et qui lui permettent d'organiser son monde interne. Il existe des liens négatifs et traumatiques qui sont sources d'excitation violente, douloureuse, brusque, prématurée, angoissante, des liens gravement désorganisateurs, qui ne permettent que l'établissement de processus pathologiques d'attachement, d'identification.

Il nous faut parler de ces meurtres.

... Paul Ricoeur en appelle à notre tolérance en signifiant que "la tolérance n'est pas une concession que je fais à l'autre mais la reconnaissance du principe que la vérité m'échappe".