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Critique de Alzie


À l'entrée du village où vit Marco Martella pousse un myrobolan qu'il n'avait jamais trop remarqué avant qu'un cantonnier avisé ne lui en signale la beauté... ("Le goût du sauvage", p. 15 à 29). Quand voisins et interlocuteurs entendant son accent italien lui demandent pourquoi il a "échoué au fin fond" de la Brie Marco Martella répond simplement - "Le village était silencieux et le silence était tout ce dont j'avais besoin pour écrire et faire mon jardin". À cette question qui lui est posée, d'autres viennent en écho ou à coté de réflexions plus mélancoliques au gré des dix réjouissants petits chapitres de son dernier livre. Style narratif et dialogues vont bien à ses déambulations très habitées où Martella nouvel humaniste cultive un certain art de la conversation au cours de ses rencontres. Celui de la méditation aussi, dans les jardins qui "s'éloignent" et "s'effacent" à l'ombre d'âmes errantes illustres ou modestes qui peuplent les villages ("Frères fantômes", p. 31 à 42 ; "Le pavillon hanté" p. 115 à 131), les vergers désertés, les parcs et bosquets oubliés de l'immensité céréalière ("Traces", p. 101 à 112).

- "Où irais-je si je pouvais aller ? - Que serais je si je pouvais être ?" (Textes pour rien, Beckett) déclame un brin pompeux l'auteur d'un hypothétique essai sur Robert Walser que Martella nous présente comme son ancien professeur de littérature (lui-même "échoué dans la Brie"), avec lequel il marche devisant en direction de la maison de l'écrivain à Ussy. - "Savez vous pourquoi il a échoué ici ?" Interroge Martella à son tour...(douce ironie). Murmures de livres à travers la campagne briarde par-dessus le bruit du monde. - "Je sais que dans le monde qui vient de naître, ce monde technologique, virtuel et tellement bavard qui n'est pas celui dont on rêvait, la littérature ne sert plus à rien. Si l'homme qu'elle présupposait et auquel elle s'adressait n'est plus, elle n'a plus de raison d'être", dit encore l'ex-professeur en retraite ("Dernières pommes", p. 45 à 64).

Dans le sillage de cette inquiétante perspective une autre, à l'égard du règne végétal auquel Martella prête extrême attention et qu'il partage avec son ami Pascal facteur-jardinier : "La vue des chênes et des charmes morts sur pied l'avait accablé. Sans parler de l'écorce craquelée de certains frênes, certainement pas bon signe. Il était entré dans mon jardin parce qu'il avait besoin, je crois, de partager avec quelqu'un le poids qui pesait sur son coeur et parce qu'il avait nulle part où aller. - "Aujourd'hui non plus, pas de pluie..." dit il" (p. 181). d
De son propre jardin Martella dit peu. Sauf qu'il entretient une prairie fleurie. Est-ce suffisant pour dire que l'esprit de son livre pourrait s'en ressentir ? le geste du jardinier rattrape-t-il le geste de l'écrivain à moins que ça ne soit l'inverse ? Avec Martella tout est possible ! 

Littérature et jardins ensemble et partout ici qui font s'épanouir d'invisibles affinités méditatives et poétiques. En compagnie de quelques figures réelles ou fictives, solitudes vivifiantes de son environnement villageois, ou plus lointaines. Dans le jardin de Suzanne dont le dénuement hivernal signe de sa splendeut secrète l'écriture de sa vie ("Les fruits étranges de la consolation", p. 67 à 79) ; ou chez Ludovic dans le calme d'une soirée d'été près d'un massif de carottes sauvages de son "jardin de rien du tout" un verre à la main (p. 143), le "penseur de province" avouant qu'il a plus appris en voyant "la grande sagesse à l'oeuvre chez les vieux arbres mourants" du parc de Montaigne en Perigord que durant sa vie entière passée à étudier Les Essais ("Un jardin imparfait", p. 135 à 147). Silence et solitude encore et toujours, dans le jardin défait de Violet Trefusy où l'auteur à l'illusion de vivre, sous "les signes de la décadence", la jeunesse éternelle d'un temps sans âge venu de "l'ombre d'un tilleul ou du pied d'un socle vide" (p. 88). le temps de la consolation cher à Proust ("À Saint-Loup", p. 83 à 98). 

Lors d'un retour dans la ville Éternelle, d'où il vient, raconté à l'autre bout du livre c'est un autre "exilé", Ibrahim, éloigné de sa Cappadoce natale qui lui fait penser alors qu'ils déambulent dans le parc des Aqueducs en évoquant la poésie de Pasolini : "Vue depuis là-bas, ma taciturne campagne du Nord devient attrayante et au bout de quelques jours j'ai envie d'y retourner. Car c'est dans ce pays qui n'est pas le mien que je peux retrouver ma vraie Rome, celle dont je rêve, la Rome parfaite qui console de tout car elle n'existe pas vraiment" ("Seuls avec leur ombre", p. 152). Tout est dit. Martella va-il continuer à planter ? Oui, et à rêver, et à écrire sous les cieux briards en oubliant les amandiers, un jeune myrobolan sauvage s'étant frayé un passage près du portail de son jardin.



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