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sur 3141 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Du domaine des murmures - Carole Martinez – roman – nrf -Gallimard

Carole Martinez nous accompagne au château des Murmures, « suspendu au-dessus d'un océan de bois et de la Loue qui léchait la falaise », afin d'écouter « les voix liquides des femmes oubliées ».

Celle qui apostrophe le lecteur se définit comme Esclarmonde: « l'ombre qui cause, la vierge des Murmures ». Désireuse de lui relater son destin de « sacrifiée, d'emmurée », elle invite son lecteur à « se couler dans ses contes » et tisse une complicité inattendue avec son interlocuteur( « Toi qui écoutes, imagine... ». Elle lui livre une troublante et bouleversante confession.

Elle brosse un auto- portrait à couper le souffle. Cette jouvencelle de quinze ans, d'une beauté irradiante( « visage d'albâtre, peau diaphane ») , ne fascinait pas uniquement son père « petit seigneur mais grand chevalier ».« Sa merveilleuse alouette aux ailes coupées » devint  «  l'ingrate », ayant osé cracher un NON le jour de ses noces , refusant cet époux imposé sans son consentement. Ainsi , elle faisait savoir clairement sa volonté de se consacrer à Dieu, son père spirituel, n'hésitant pas à se sectionner l'oreille. L'irruption d'un agneau sema la confusion. Que pouvait-elle attendre de ce père qu'elle avait « trahi, sali, déshonoré »?sinon de la haine.

Accueillie dans sa cellule par le Christ,elle retrouva « sa lumière inouïe ». Elle,« l'immobile, la prophétesse », recevait maintes visites de pèlerins et leur dispensait sa foi. La rumeur se répand dès la naissance miraculeuse d' Elzéar, ce « cadeau divin »très vite baptisé. Esclarmonde n'avait-elle pas été agressée et violée par un individu aviné? Comment cet enfant va-t-il pouvoir se construire, sans traumatisme, en alternant la vie dans le reclusoir de sa mère ,au confort spartiate, et ses évasions , ivre de liberté? La révélation du géniteur et le contenu du message du repentant envoyé à Esclarmonde génère un rebondissement retentissant. Va-t-elle absoudre le repenti?

L'épilogue tient en haleine:« les lèvres chaudes de Lothaire » vont-elles réveiller celle dont « le coeur s'échauffait au son de sa musique »?
Dans ce roman , l'auteur souligne la folie des hommes qui «n'a cessé de chambouler»les vies.
Elle explore la relation fusionnelle père/fille. Elle met en exergue l'amour maternel qui unit Esclarmonde à son fils Elzéar, leur rituel des retrouvailles, tableau attendrissant de vierge à l'enfant. Ce qui rendra d'autant plus douloureuse leur séparation, «un arrachement,un déchirement qui vrille les entrailles ». Violence et douceur se côtoient. Comment ne pas être révulsé d'horreur par l'exaction du père sur le poupon? Ne s'accuse-t-il pas de «bonne brute, lui brisé par sa faute»?

Carole Martinez déploie sa plume poétique , contrastant avec la barbarie des massacres des croisés, pour évoquer la rivière: « ce cours d'eau voilé par endroits d'algues lascives, qui avait brasillé sous la lune d'un étrange éclat vert ». Ou la fraise : « petite perle écarlate,une hostie végétale ». Pour magnifier la beauté du rosier ou de l'érable « déroulant ses rinceaux ».
Elle se fait peintre paysagiste quand Esclarmonde s'abîme dans la contemplation de cette nature environnante dont elle a choisi de se couper, embrassant du regard « les vagues de collines hérissées d'arbres ondulant l'horizon ».Elle nous laisse percevoir les cris de la Dame verte, le galop d'un cheval, la vièle de Lothaire, le ménestrel éconduit et les chants de « la recluse » au point d'y succomber.
Carole Martinez nous baigne dans l'époque médiévale, avec ses seigneurs, serfs et vassaux, l'emploi de termes guerriers ( trébuchet, mangonneaux) , vestimentaires( bliaut),ou autres( manse, mesnie).
Elle nous rappelle que c'est une période où les bâtisseurs édifient « des cathédrales, fleurs de pierre ». Elle crée cet univers irréel du conte, en empruntant aux légendes et traditions , comme « les relevailles ou la fête des Brandons ».Son écriture raffinée charme. Carole Martinez poursuit son travail minutieux de broderie, avec «la tapisserie mille-fleurs,la prière brodée sur le drap », en laissant « un espace blanc à broder », avec ce clerc « qui accumulait les secrets avant de coudre les bouches », thème récurrent, cher à l'auteur qui tisse son fil d''Agnès' et tricote ainsi son oeuvre.
Le lecteur , envoûté par cette voix d'outre tombe, qui vient de lui retracer sa vie d'anachorète, ressent aussi cette sensation d' enfermement, de claustrophobie. La voix s'est tue, l'auteur nous libère de ce huis clos et nous conduit à la chapelle aux vitraux brisés pour nous signaler la plaque commémorative, en souvenir de cette féministe avant l'heure, ayant refusé la soumission. Ne dédie-t-elle pas son livre à Frasquita Carasco, l'héroïne du Coeur cousu? Si Esclarmonde semblait oubliée aux Murmures, la romancière a su la ressusciter par cette histoire. Comme cette mère qui ne pouvait se résoudre à se séparer de son fils, le lecteur a du mal à se détacher de ce récit.
Carole Martinez confirme son prodigieux talent de conteuse, et sait « embobeliner » son lecteur.
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A priori rien dans ce roman n'avait rien pour me plaire, ni le sujet ni l'époque mais miracle, j'ai été passionnée par ce récit ! Peut-être un peu moins par l'épisode concernant la croisade en terre sainte mais tout le reste m'a tenue en haleine. Je me suis laissée envoûter dès les premières lignes par la magie de l'écriture de Carole Martinez. Impossible de lâcher le roman avant de l'avoir terminé tant il est bien documenté.
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Un livre comme un long poème ! le style de Carole Martinez est vraiment de toute beauté, lyrique, évocateur. Encore un auteur découvert dans une liste Babelio. L'histoire est celle d'Esclarmonde qui, le jour de ses noces avec Lothaire, jeune seigneur tout en avidité et brutalité, décide de mener une vie de recluse plutôt que celle d'épouse non consentante. Elle s'oppose ainsi au choix de son père et, plus largement, au sort des jeunes filles de son époque et de son milieu. Violée le matin où elle doit prononcer ses voeux et être emmurée, la maternité va transformer son projet de sainteté mais aussi celle de la vie du fief tout entier.
Le Moyen Age ici dépeint par l'auteur est bien documenté, empreint de violence, de croyances et de superstitions qui pèsent sur les destins individuels. La foi y tient une place centrale et conduit à toutes les folies collectives - ce qui donnent lieu à de très beaux passages sur les Croisades.
Le récit à la première personne nous lie des les premières lignes à l'intimité d'Esclarmonde, jolie personnage de jeune femme qui sait ce qu'elle ne veut pas, qui découvre une forme de plénitude dans la réclusion, puis la complétude apportée par la maternité. Sa sensualité n'est pas bridée par l'enfermement, elle est sensible à la lumière, aux parfums, à la vie qui se déroule aux portes de son réduit.
Que dire aussi des autres personnages féminins, Bérengère notamment qui semble tout droit sortie des romans de Chrétien de Troyes, mi-femme, mi-ondine ; ou encore Douce qui sait protéger ses biens, sa lignée. Un livre comme je les aime : une histoire originale, des personnages en nuance, sans mièvrerie, le tout dans un style aérien. Très sensible aux histoires qui se déroulent à l'époque médiévale, je suis donc complètement emballée et attend avec impatience de lire le coeur cousu !
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Très déroutant, absolument différent du "Coeur cousu", mais tellement beau! Un style indescriptible, auquel on adhère très vite, après quelques pages d'hésitation... Une histoire, de femme, encore, d'un destin unique, que l'on ne saurait imaginer, un style en parallèle avec la période décrite, le Moyen-Age. J'ai été bouleversée, une fois de plus, par ce court roman que j'ai lu d'une traite, pleine de compassion pour cette héroïne plus pensive qu'active, seule au milieu d'un environnement tout en mouvement, tout en violence. Inclassable, mais immanquable, pour moi !
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Dans une langue ciselée, poétique et sensuelle, Carole Martinez convie les fantômes du Moyen-Âge à une danse magnifique. Elle nous plonge jusqu'au vertige dans la foi vibrante et tourmentée d'un temps révolu, dans ses noirceurs, ses grandeurs, ses mirages et ses légendes. du fond d'une cellule de pierre, on emboîte le pas à Frédéric Barberousse, à cette armée splendide qui vint s'effriter, dépérir et pourrir sur les chemins de Terre Sainte - et ce sont peut-être les plus belles pages que j'ai lu sur les Croisades. On y voisine aussi la belle Berthe de Joux, dont l'histoire m'avait tant marquée lorsque j'étais gamine et que j'ai pris un plaisir infini à retrouver, étoffée et magnifiée.
Mais si ce roman restitue admirablement les temps médiévaux et leur esprit, c'est par des sentiments sans âge - quête d'absolu, de liberté, désir, révolte, folie, amour - qu'il trouve toute sa puissance et se fait conte intemporel.

Encore un beau coup de coeur, en somme, qui n'a pas volé son Goncourt des lycéens et me donne très envie d'aller découvrir les autres textes de l'auteur !
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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Une très belle découverte ! Ce magnifique roman met en scène une jeune femme, Esclarmonde, qui fait le choix de la réclusion pour échapper à un homme qu'elle n'aime pas et que son père lui a choisi pour époux. Carole Martinez s'est manifestement beaucoup documenté sur les recluses volontaires, relativement nombreuses au moyen-âge. de mon côté, j'ai découvert cette pratique qui m'était inconnue. le thème pourrait paraitre barbant, mais l'auteur ne se laisse jamais aller dans ce sens. Il est ici question des femmes et de leur liberté (ou de leur manque de liberté), de leur pouvoir, même lorsqu'elles semblent isolées. C'est l'histoire d'une jeune fille qui voulait être libre, et qui choisit l'enfermement total pour l'être. Elle refuse son destin et s'en crée un autre par la grâce de Dieu : le pouvoir spirituel.
Les personnages féminins secondaires ne sont pas en reste. Bérangère s'émancipe de son passé, s'offre à la vie, hymne à la sensualité et à la magie : le pouvoir sexuel. Douce à qui l'on offre la liberté de diriger le domaine, se mure dans un autoritarisme sans pitié pour que nul ne la remette en cause : le pouvoir temporel. Et Jehanne, la serf qui finalement sera la plus libre, ni enchaînée à Dieu, ni au temps, ni au sexe, pas de pouvoir : juste l'amour et le libre-arbitre.
C'est aussi une histoire d'amour entre un père et sa fille, un amour fou qui pourrait bien broyer et le père et la fille. On y parle des croisades, de la mort, de la peur, de la vengeance et de la barbarie, on y croise la religion, celle qui sauve mais aussi celle qui est assoiffée de conquête et de pouvoir…
C'est tout simplement magnifique, émouvant, instructif, passionnant…
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Murmure des temps passés, des pierres immortelles et des vies torturées... Lire le Domaine des murmures c'est traverser les âges à travers le souffle d'une fille, d'une femme, Esclarmonde recluse à l'âge de 15 ans sur sa propre volonté. Entre ces quatre murs, elle découvrira l'extase spirituel et l'amour divin dans sa plus haute perception. Un état de transe basculé par la fleur maternelle qu'elle nourrira au détriment de sa Foi d'autrefois. Entre ces quatre murs, elle découvrira tout un monde et apprendra comment l'Ignorance a su se faire une place au milieu de toutes ces petites gens naïfs et pour certains sans scrupules. Entre ces quatre murs, à la fois spectatrice et actrice de cet univers où seul la Peur maîtrise les âmes, elle apprendra à mesurer ses propres croyances, ses limites. Elle frôlera la folie et la mort, et de jeune fille dévote ces quatre murs la transformeront finalement en mère. Mais il sera trop tard lorsqu'elle le comprendra.

Du Domaine des murmures rappelle ce chant des jongleurs, ces chansons de geste qui racontaient les prouesses des chevaliers au combat et ces histoires d'amours à la pointe de la Fin'amor. A travers ce récit en prose se trouvent deux narrateurs: le premier encadre le récit d'Esclarmonde, seconde narratrice. On commence et on finit via le regard d'un personnage où tout lecteur peut s'identifier.

On pénètre un Domaine des murmures à l'abandon, on y ressent les souffles insistants du passé qui baignent ces lieux. Mais le tout nous est encore inconnu, comme lorsque l'on visite un château en ruine, on sent le poids du passé et même si l'on en connaît l'histoire le poids du vécu reste infiniment perceptible. Mais grâce aux mots tout est possible. Et cela, Carole Martinez l'a bien compris puisqu'elle fait voyager son lecteur dans le temps. Lui fait comprendre le poids du vécu du Domaine des murmures...

Ainsi, lorsque l'on revient de cet autre temps, le Domaine des murmures nous apparaît bien plus qu'un endroit en ruine. En parallèle de cette sensation d'étrangeté, de légendes et de magie fantomatiques qui embaument ces lieux d'autrefois, on en ressort avec ses propres souvenirs, ses propres images provoqués par la plume de Carole Martinez. On a expérimenté le poids du vécu.

Du Domaine des murmures, une lecture particulièrement agréable...

Comme quoi, la littérature permet des voyages et des sensations que toutes les sciences du monde ne peuvent égaler.
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D'emblée le titre évoque un univers tout en nuances, à la fois confiné et ouvert sur le monde, au delà des murailles, jusqu'au confins du réel

Dans une ambiance très différente de Coeur cousu, à la fin du douzième siècle en notre terre de France, l'auteur donne la parole à Esclarmonde, une jeune vierge qui a osé l'inconcevable : refuser son promis le jour même des épousailles devant la noce assemblée à l'église, pour s'offrir à Dieu dans une réclusion irréversible, emmurée dans un réduit vétuste. Une rencontre violente à la veille de cet enfermement modifiera considérablement le destin de la prisonnière volontaire.

Féministe avant l'heure, cette très jeune fille refuse la soumission et le destin inéluctable de toute femme à cette époque. L'isolement volontaire la conduit à une expérience mystique intense, et lui confère un ascendant surnaturel sur les fidèles en manque de prodiges. Au point de maintenir la Faucheuse à distance, et de rendre les terres plus fécondes.
Le rapport à son père est des plus complexes, maudit et fusionnel, créant un lien quasiment télépathique, contrainte de vivre en rêves son expédition guerrière en Terre Sainte.

L'écriture est superbe, à la fois poétique et réaliste, avec juste ce qu'il faut de suranné pour nous plonger dans le passé, sans pour autant s'en sentir exclu. La narration par l'héroïne elle-même, hors du temps, contant sa propre histoire, donne beaucoup de dynamisme et de consistance au récit. La dimension onirique y confine au spirituel.

C'est un magnifique récit, d'une grande profondeur que je recommande vivement.

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Une très belle lecture, d'autant plus agréable que c'est, je pense, un livre que je n'aurais pas ouvert si je ne l'avais pas découvert via Babelio.
Le destin de la jeune Esclarmonde m'a profondément touchée et j'ai même eu l'impression de ressentir sa réclusion. J'ai une fois eu l'occasion de voir une cellule de reclus au cours d'une visite d'église et je me souviens avoir été glacée d'imaginer une vie presque entière enfermée dans ces quatre murs avec si peu de distraction et aucune liberté.
J'ai particulièrement apprécié la façon dont l'autrice nous fait comprendre (nous lecteurs du XXIe siècle) les pressions familiales, spirituelles de l'époque qui empêchaient chacun de sortir des voies tracées par l'Eglise et qui pouvaient pousser une femme à devoir, pour se libérer choisir de s'emmurer vive.
Tout cela est écrit avec une plume facile, agréable et limpide malgré son côté poétique, mais aussi avec un vocabulaire soigné et une utilisation, pour la narration, d'un 'je' judicieux et bien mené dans ce dialogue à travers le temps.
Le récit est très bien documenté et expose sans jugement les rouages d'une société théocratique poussée dans ses extrémités.
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Le vent susurre bien des histoires à qui veut bien l'écouter. En cette forêt de Bourgogne, il porte celle d'Esclarmonde, recluse de part sa volonté, pour rejoindre Dieu et quitter les passions déchirantes des hommes. Sa voix parle par delà les siècles, ressuscitant le château des Murmures, ses hommes et femmes, ses coutumes, ses légendes. le souffle monte, s'élève aux nues, la poésie l'emporte. le vent balaie tout et enfin emporte cette âme lumineuse et sensible, enfin libérée de sa gangue de pierre et de silence.
Écoute le vent qui te murmure à l'oreille...
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