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Citations sur Adieux au poème (21)

Dire ensemble, au plus près l’un de l’autre, ce qui nous tient en vie et ce qui nous dépossède : lier le vivre et le mourir en une même gerbe de mots. La poésie est ce travail du langage qui illustre notre capacité à articuler notre finitude dans le temps qui est le nôtre.

Si elle appelle souvent à ses côtés la note, le fragment, ou l’essai, c’est qu’il lui faut sans cesse réajuster son propos à des objets qui se dérobent.

Poésie : les enjeux et les formes de notre destin dans la langue. Pas d’autre vie, pas d’autre monde : c’est sur cette terre que ça se passe !
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À la question souvent posée : « comment écrire après Auschwitz ? », je continue d’entendre la réponse apportée par Edmond Jabès :

Mes chants ont la friabilité des os sous la terre. J’ai célébré autrefois la sève et le fruit. J’accordais peu d’importance au vent.

Le ciel ferré de l’automne est notre lourd firmament.[9]

Cette réponse prend la forme d’une brève poétique qui vient confirmer le mot de Paul Celan : « Il y a encore des chants à chanter au-delà des hommes[10]. » Ces chants ne sont plus de célébration, ni d’élévation, puisque le ciel est « ferré » comme les lourdes bottes des militaires. Il ne s’agit plus de chanter la croissance et la fructification, mais de considérer l’invisible, qu’il soit celui d’un souffle ou d’une mémoire enfouie. Marquer sa fidélité, en une parole discontinue et fragmentaire, à ce qui a été et qui a disparu. Prendre soin de la finitude comme on prend soin des morts. En veiller la trace, en entretenir la mémoire. Demeurer le présent souci d’une souffrance passée. « Il faut écrire à partir d’Auschwitz, de cette blessure sans cesse ravivée[11]. »

[9] Edmond Jabès, Livre de Yukel, éd. Gallimard, p. 206.

[10] Paul Celan , Strette, éd. du Mercure de France.

[11] Edmond Jabès, Du désert au livre, éd. Gallimard, p. 104.
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Le monde



Extrait 3

  Il n'est pas sûr que ces traces durent longtemps.
Il faut, pour en garder mémoire, beaucoup plus que
des tas de pierres ou des livres rangés dans des
bibliothèques. Il faut des hommes qui s'en souvien-
nent et des enfants pour les apprendre. Beaucoup
de silhouettes penchées sur des pages, avec un cra-
yon, une plume ou un pinceau.
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Sauver l’idée de poésie : la confiance en une respiration possible dans le langage. Ni docile instrument de « communication », ni marque fatale de notre étrangeté. Lieu plutôt d’un travail où les mots parfois recommencent à ressembler aux choses, où des liens se renouent et des formes s’inventent pour nos manques les plus inconsolables.

Nous savons qu’elle parle de ce qui déclenche ou coupe la parole : les émotions, les angoisses, le passage silencieux de la beauté. Elle défait déforme, dérègle et multiplie les significations. Ainsi consiste-t-elle en une suractivité de sens qui vient répondre à l’absence initiale ou à la pétrification du sens.

Tout poème véritable embrasse dans le même mouvement sa vocation au silence et ses recours contre ce silence.
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À la poésie de nous conduire, non de la nuit à la lumière, mais de la déploration de l’obscurité à la possibilité d’aimer la lumière.

Il ne s’agit de faire entendre ni la voix simple de la terre confiée aux oiseaux ou aux vents, ni celle des dieux perdus ou des anges, mais l’effort et le désir proprement humain de dire ce dont une existence est faite, si errante et si désarmée soit-elle.
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J’appelle monde ce qui est autour, au loin, tout près, là-bas, dehors ou au-dedans, le tout de ce qui existe pour nous, à échelle humaine, et dont je puis parler. En ce monde, notre monde, sont des choses qui demeurent et d’autres qui ne cessent de changer, la nature et l’Époque, du connu, de l’inconnu et de l’inconnaissable, tout cela enveloppé dans une immense question à laquelle nul effort humain ne saurait apporter de réponse. Ainsi le monde est-il aussi bien notre prison que l’étendue de nos ressources et de nos pouvoirs : il assure davantage que notre subsistance, dans les limites qui nous sont imparties…

Que fait la poésie, si ce n’est poursuivre à travers les âges l’entretien palpitant, et comme respiratoire, de la créature avec ce monde ? Notre façon tout à la fois d’interroger sans relâche et de répondre présent. De s’inquiéter, de s’attacher, de considérer ce qui arrive, perdure ou se défait. De garder l’œil ouvert.
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Ne pas laisser la réflexion sur la poésie se refermer jalousement sur elle-même, mais percevoir dans le poème le noyau ou le cœur loquace et très riche de notre vie langagière. L’interroger donc attentivement, pour approcher le problème d’être. C’est alors que s’avère son importance, et cruciale, en un temps où il ne peut plus se contenter de jouir mélodieusement du langage et de l’apparence des choses.

Reste le souci de dire avec force, justesse, éclat, brio parfois. Une parole qui y verrait clair, jusque tard dans la nuit.

Reste l’effort de dire encore ce qu’est ceci, cela… le saisir en propre… le donner à percevoir… à voir d’une façon plus perçante…

Dire à quoi ça ressemble… Plutôt que de subir la vie ne ressemblant à rien.
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L’histoire de la poésie du passé, en ses heures les plus lumineuses, rappelle à nos temps de détresse combien il reste dans la nature de cet art de s’attacher passionnément aux traces de la beauté. Il n’est pas de prétention plus catastrophique que celle qui entend balayer cette mémoire et congédier une fois pour toutes la quantité de rêverie et de désir que la poésie a toujours porté en elle.

Si démuni et soupçonneux que soit le poète d’aujourd’hui, il lui appartient de continuer de prêter l’oreille aux « chants de la plénitude » recueillis dans les livres du passé. S’il ne peut en composer de semblables, au moins les recevra-t-il comme des lueurs lointaines venant éclairer sa nuit.
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La langue de poésie ne se laisse enfermer en aucune catégorie, ne peut se résumer par aucune démonstration. Ni instrument, ni ornement, elle scrute une parole qui charrie les âges et l’espace fuyant, fondatrice de pierres et d’histoire, lieu d’accueil de leur poussière. Elle se meut à même l’énergie qui fait les empires et les perd.[14]

L’histoire de la poésie du passé, en ses heures les plus lumineuses, rappelle à nos temps de détresse combien il reste dans la nature de cet art de s’attacher passionnément aux traces de la beauté. Il n’est pas de prétention plus catastrophique que celle qui entend balayer cette mémoire et congédier une fois pour toutes la quantité de rêverie et de désir que la poésie a toujours porté en elle.

Si démuni et soupçonneux que soit le poète d’aujourd’hui, il lui appartient de continuer de prêter l’oreille aux « chants de la plénitude » recueillis dans les livres du passé. S’il ne peut en composer de semblables, au moins les recevra-t-il comme des lueurs lointaines venant éclairer sa nuit.


[14] Lorand Gaspar , Approche de la parole, éd. Gallimard, 1978, p. 11.
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Reste un désir désespéré : faire revenir ce qui s’éloigne, remettre en circulation et en débat les deux grands motifs dont toute la modernité poétique a depuis Baudelaire vérifié inexorablement le déclin : l’espérance et la beauté. Ce sont deux mots perdus, deux vieilles lunes hors de propos dont il est à présent jugé inconséquent de parler… Comme de la responsabilité du poète en un temps où l’audience de sa voix est réduite à très peu.

J’appelle pourtant « poète » ­– et ce mot, bien évidemment, résonne comme un anachronisme – celui qui ne peut, ayant mesuré l’étendue du désastre, échapper par sa parole au devoir d’espérance. Celui dont le langage descend profond dans l’obscurité où fermente « un million d’helminthes[12] », mais veut encore par-dessus tout « saluer la beauté ».[13]

[12] Charles Baudelaire , « Au lecteur », Les Fleurs du Mal.

[13] « Je sais aujourd’hui saluer la beauté », formule d’Arthur Rimbaud dans Une saison en enfer.
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