C'est avec
Une histoire de bleu et
Pas sur la Neige que j'ai fait la connaissance de l'oeuvre poétique de
Jean-Michel Maulpoix. Depuis, j'ai toujours conservé pour cet auteur et son oeuvre une affinité particulière.
Je le retrouve aujourd'hui au travers de Portraits d'un Éphémère, recueil édité en 1990 chez Mercure de France.
Dans de courts textes en prose,
Jean-Michel Maulpoix interroge le rapport de l'individu à la réalité du monde extérieur, à sa manière d'être au monde, d'être présent à lui-même en utilisant comme les variations du temps et de l'espace.
Dans une écriture toujours aussi dépouillée,
Maulpoix emprunte les pas et les pensées d'un personnage fictif, qu'il désigne par « il », pour décrire tout ce qui advient (présent), ce qui va durer ((imaginaire) et ce qui ne saurait se prolonger (réalisme).
Des voyages, des gares, des villes, des salles de concert, des paysages, des bords de mer, des rencontres de hasard, ou encore un appartement,... autant de lieux qui sont sont des prétextes pour intégrer ce que l'on croit être unique en soi mais dans lequel se niche la finitude de l'être, le temps qui le traverse et une réalité qui ne saurait être tout à fait la sienne.
« Chacun voudrait se croire unique, pour se consoler du peu de poids que pèse sa vie quand elle se cogne par hasard contre une autre vie, et ne pas entendre le peu de silence qui se fera sur terre le jour où son coeur cessera de battre. »*
Par le biais des mots, tous les voyages, toutes les rencontres, tous les hasards sont possibles. L'écriture chez
Jean-Michel Maulpoix devient un examen de ce chemin-là, de l'imaginaire qui se confond avec la réalité et qui s'en sépare aussi. Destin de l'être en mouvement dans sa dimension existentielle mais aussi sociale, culturelle et... éphémère.
« Dans les mots, il dispose de tout, et tout lui demeure interdit. Il peut, sa guise, entreprendre les plus lointains voyages, ou investir à l'improviste le coeur de n'importe quelle créature, mais ce n'est jamais là qu'un geste, une intention ou une esquisse, comme on ébauche en pensée le mouvement de retenir quelqu'un qui va partir. C'est la manière la plus fervente et la plus désespérée qu'il connaît de se tenir seul sur la terre, étranger à tout, quoique gardant tout à portée de main, faisant sans cesse valoir la beauté éphémère des visages et des choses qu'il aime, les présentant toujours dans leur plus bel éclat, pour plus de douleur et de solitude encore. »**
Dernier chapitre du recueil - sans doute le plus touchant -, « Sous un couvercle de bois clair » évoque l'expérience douloureuse de la vieillesse, celle d'un homme arrivé au seuil de sa vie, comme rendu à lui-même.
Maulpoix décrit avec une justesse, une pudeur saisissante le regard, les gestes, les paroles adressées au vieil homme - là encore le personnage n'est pas nommé -, tout ce qui le rattache encore au monde.
L'écriture de
Maulpoix se veut celle d'une conscience lucide et poétique, celle d'un rapport sans faille à la vie.
« Ce pourrait aussi bien avoir lieu dans une chambre, à la campagne, après les pluies grises de l'hiver, quand déjà le soleil réveille les arbres.
Un vieillard fatigué vivrait ses derniers jours dans la maison de sa naissance.
Il ne se lève plus : son existence s'achève entre le lit.
chromé et le fauteuil que l'on roule près de la fenêtre.
Il regarde la campagne comme si c'était la mer. Immobile, les yeux fixes, on croirait qu'il se noie dans le paysage, ou qu'il s'y retient de mourir. On ne sait rien de ce qu'il pense.
Il regarde par la fenêtre. Il ne sait rien faire d'autre. Sa vie s'en va toute seule. »***
(*) extrait de « Au café ou dans le parc », page 57
(**) extrait de « Parmi les mots du dictionnaire », page 102
(***) extrait de « Sous un couvercle de bois clair », page 123