L'Homme de Lewis

Lorsqu'ils rejoignirent la rue, et que le moment de se séparer arriva, elle dit "on reste en contact ?
- Ça en vaut la peine ?
- Je suppose que non."
Avec ces quelques mots, tout ce qui les avait réunis pendant toute ces années, les expériences partagées, le plaisir et la douleur, fut perdu pour toujours, comme des flocons de neige touchant la surface d'une rivière.

"Chacune des femmes avait son propre motif, vous savez. Transmis de mère en fille, en général. Suffisamment caractéristique pour que, quand on récupérait un corps en mer complètement décomposé et méconnaissable, on puisse l'identifier grâce au motif de son pull-over. C'étaient aussi fiable que les empreintes digitales".

Nous sommes restés collés à la fenêtre pendant tout le trajet, regardant la ville céder la place à la campagne verte et vallonnée. Nous fîmes halte dans des gares plus petites, avec des noms exotiques comme Linlithgow et Falkirk, avant qu'une autre ville ne se mette à sortir de terre. Un tout autre genre de ville. Noire de pollution industrielle. Des cheminées d'usine dégueulaient leur bile dans un ciel de soufre. Un tunnel long et sombre, puis le rugissement de la locomotive à vapeur dans l'espace confiné de la gare tandis que le train s'arrêtait le long du quai à Queen street, Glasgow, et le crissement du métal qui résonnait dans nos oreilles.

Chez lui ? Était-ce vraiment son "chez lui " maintenant, s'interroge-t-il. Ce coin de terre ravagée par le vent où diverses factions ennemies, nées de cette religion protestante impitoyable, dominaient la vie de tous. Où hommes et femmes passaient leurs vies à lutter pour réussir à vivre de cette terre, ou de la mer, exploités pendant les périodes de crise par les entreprises qui s'installaient puis repartaient quand les subventions étaient épuisées, laissant derrière elles les témoignages délabrés et rouillés de leur échec.

Fin fronça les sourcils. "Une homer, qu'est-ce que c'est ?
- un garçon ou une fille venant d'un foyer, a ghraidh. Ils étaient des centaines, sortis des orphelinats et des foyers par les conseils municipaux et l’Église catholique. On les envoyait ici, dans les îles. Ils étaient placés chez de parfaits inconnus. Il n'y avait pas de contrôles à cette époque. Les enfants étaient débarqués du ferry à Lochboisdale et ils restaient debout sur la jetée avec les noms des familles accrochés autour du cou, en attendant qu'on vienne le chercher. L'école élémentaire, là-haut sur la colline, en était pleine. Il y en a eu jusqu'à une centaine en même temps".
Fin était choqué. Je ne le savais pas.

Ce fut la dernière fois que nous vîmes ce que j'en vins à appeler le monde libre car, en franchissant cette limite, nous laissions derrière nous tout bien être et toute humanité, pour pénétrer dans un monde lugubre où le côté le plus obscur de la nature humaine allait étendre son ombre sur nous.

"Mes vacances sont terminées," lui dis-je. "Marsaili va venir me ramener à la maison.
- Non, monsieur Macdonald, elle ne va pas venir. Personne ne va venir. C'est ici votre maison dorénavant."

On passe toujours par un moment de silence intérieur lorsqu'on a été en présence de la mort. Comme un rappel de notre destin commun.

Les parents sont le roc sur lequel on construit sa vie. C'est vraiment un choc de se rendre compte que ce roc n'est qu'une illusion.

Savoir que la maladie est en train de vous emporter, pensa-t-il, cela doit être pire que la maladie. Que petit à petit vous perdez la raison, votre esprit, votre mémoire, tout ce qui fait de vous un être humain.