Et nous montions, cela n'en finissait pas, les virages, les lacets, les épingles à cheveux, j'avais l'impression que, si je me retournais, je me retrouverais devant moi. À chaque mètre quelque chose d'imprévu me coupait le souffle.
Les étoiles étaient des coups de griffes dans le ciel.
Grand-Père disait que nous étions faits pour le ciel, pas pour les plafonds.
Un silence ici, obscur : la lumière échappée des choses.
Toutes les épreuves, chonorroeja, portent en elles un éclat de rire.
Il longe le lit du ruisseau et l'immonde paysage se révèle peu à peu, les seaux renversés dans un coude plus loin, le landau cassé dans les mauvaises herbes, le baril de pétrole qui tire une langue rouillée, la carcasse d'un frigo dans les ronces.
Le chien qui vient renifler le devant de la voiture a comme la peau recousue sur les os. Encore une seconde, et les gamins déboulent, se massent contre les vitres. D'un coude qu'il voudrait nonchalant, il abaisse les clenches aux angles des portières. Il y a un môme assez agile pour sauter sans un bruit, empoigner les deux essuie-glaces et s'étaler sur le capot. Deux autres s'accrochent au pare-chocs arrière et se laissent traîner, pieds nus dans la gadoue. Les filles courent de chaque côté, le nombril à l'air dans leurs jeans taille basse. L'une d'elles tend un doigt en riant, puis s'arrête, net, muette. Le gamin du capot glisse par terre, les patineurs lâchent le pare-chocs, et la rivière est soudain là, boueuse, rapide, inattendue. Un coup de volant brutal, les mûriers grattent les vitres, le chiendent craque sous les essieux, mais la voiture retrouve le chemin. Les enfants rappliquent à toutes jambes en poussant des cris.
Une vielle chanson Rom a pour refrain que nous partageons avec les autres des bouts de notre cœur, et plus nous avançons, moins il en reste en nous. Le moment vient où il n'y en a plus assez pour tout le monde, et cela s'appelle voyager, cela s'appelle aussi la mort. Il n'y a rien de plus banal puisque ça nous arrive à tous.
C'était une culture de l'oral, ils n'avaient ni livres ni imprimés, ils se méfiaient des paroles figées.
Il y a des choses de l’enfance que seule l’enfance connaît.
Grand-Père disait que nous étions faits pour le ciel, pas pour les plafonds