Zoli est tzigane et vit en Slovaquie. Elevée par son grand-père après avoir assistée encore enfant à l'exécution de ses parents par la police politique slovaque, elle erre à travers une Europe de l'Est bientôt dévastée par la Seconde Guerre Mondiale.
Pour les Rom, la guerre est un nouveau drame : pourchassés, rejetés, persécutés par les troupes fascistes, tout leur est interdit, aller et venir, jouer de la musique, entrer dans les villes… Pour finir, ils sont bouclés en camps de travail.
C'est dans ces conditions que son grand-père lui apprend à lire et à écrire. Mais pour ce peuple sans nation, aux traditions très fortes, qui se méfie de la parole figée, qui pense que tout doit rester oral et pour qui l'écriture est considérée comme une menace, cet apprentissage, surtout pour une femme, est une transgression inédite. Cependant
Zoli persévère et commence à émouvoir son peuple en chantant les poèmes qu'elle écrit.
Elle rencontre alors Stansky, un poète tchèque aux prétentions révolutionnaires et Stephen Swann, un traducteur anglais déraciné, débordant d'idéal communiste. Tous deux la convainquent d'éditer ses poèmes. Un coup d'éclat visant à démontrer que l'écrit peut briser les stéréotypes qui persistent vis-à-vis des tziganes.
Son recueil de poèmes en fait ainsi une nouvelle icône du parti. Mais son peuple ne l'accepte pas. Elle est déclarée salie, corrompue, polluée à vie pour infamie et bannie, est condamnée à l'exil.
Rejetée par les siens, refusant le rôle de symbole du parti qu'on voudrait lui faire jouer, elle s'enfuit sur les routes dans une nouvelle errance, en quête d'un endroit où elle pourrait enfin poser ses semelles de vent.
Inspiré par l'aventure véridique d'une poétesse tsigane polonaise nommée Papusza, «
Zoli » est un roman à multiples facettes. A travers le destin de la jeune femme, l'auteur nous révèle par petites touches, de 1930 à nos jours, le parcours des Rom d'Europe Centrale, un peuple bien souvent brutalisé.
Au coeur de ce roman poignant, les thèmes de l'assimilation, de l'appartenance et de l'ethnicité.
On découvre avec émotion tous les drames vécus par un peuple que les régimes successifs ont toujours voulu contraindre à la sédentarisation. Après que les nazis aient voulu les exterminer, les communistes, tout en les idéalisant, ont fait preuve d'incompréhension et de brutalité, pensant qu'en les assimilant, ils prouveraient le bien-fondé du socialisme. Dans les années 1950, le régime communiste a voulu à ce point les intégrer, qu'il les a finalement trahis en les sédentarisant de force. On a cassé les roues de leurs roulottes, on les a forcés à vivre dans des immeubles sans se soucier des conséquences culturelles que cela impliquait.
Car ce sont des traditions très fortes, d'un archaïsme parfois difficilement concevable, qui sont au coeur de leur mode de vie et leur sédentarisation forcée a bouleversé ces manières de vivre.
Pour un homme tzigane, par exemple, avoir une femme au-dessus de la tête est considéré comme une honte car les jupes des femmes ont un pouvoir de pollution…Alors vivre dans un immeuble avec une femme sur le palier du dessus, c'est tout bonnement inenvisageable ! Pour cela, les Rom voulaient tous vivre au dernier étage et délaissaient tous les autres niveaux !
Cela prêterait à sourire si ce n'était vécu comme un véritable drame par les Rom qui se sentent trahis et humiliés. Privés de liberté, interdits de voyage, on leur impose en plus de renier leurs traditions en menant une vie sédentaire.
Au-delà de l'identité culturelle et des notions d'intégration, l'ouvrage de
Colum Mc Cann aborde les thèmes de l'art et de la création artistique.
L'écriture est un exutoire aux souffrances de l'existence mais elle est aussi un moyen de transmettre la parole d'un peuple qui n'a de mémoire autre que celle de l'oralité. Les écrits sont importants pour se souvenir du passé mais aussi pour modifier le présent. Malheureusement, on constate aussi à quelles extrémités peut conduire la publication d'un livre et combien terrifiants peuvent être les mots lorsqu'ils sont mal interprétés ou récupérés par un pouvoir politique.
Enfin, le livre de Mc Cann est un très bel hymne à la liberté, le portrait d'une femme hors du commun, la découverte d'un peuple méconnu qui nous permet d'entendre dans les mots de la poétesse, le désir d'indépendance de ces communautés perdues dans un monde de frontières et de sédentarité.
A la fois fort et doux, sec et sensible, poétique et vrai, un texte aux grands pouvoirs d'évocation.