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Jean-Luc Piningre (Traducteur)
EAN : 9782714441362
336 pages
Belfond (16/08/2007)
3.67/5   351 notes
Résumé :
Des plaines de Bohême à la France, en passant par l'Autriche et l'Italie, des années trente à nos jours, une magnifique histoire d'amour, de trahison et d'exil, le portrait tout en nuances d'une femme insaisissable. Porté par l'écriture étincelante de Colum McCann, Zoli nous offre un regard unique sur l'univers des Tziganes, avec pour toile de fond les bouleversements politiques dans l'Europe du XXᵉ siècle.

Tchécoslovaquie, 1930. Sur un lac gelé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (51) Voir plus Ajouter une critique
3,67

sur 351 notes
Tchécoslovaquie, 1930, Les Hlinskas, la milice du pays, forcent les roulottes d'un camp rom à s'avancer sur un lac gelé. Puis ils allument des feux sur les rives et regardent hommes, femmes, enfants et chevaux s'enfoncer dans l'eau glaciale. Seuls survivants de leur communauté, Zoli et son grand-père reprennent la route, en se cachant de la milice. La petite fille n'a que 6 ans et elle vient de faire la découverte de la cruauté humaine. Mais il faut continuer, trouver un autre clan et perpétuer les traditions ancestrales du peuple rom. Zoli grandit, danse, chante et écrit des poèmes, car son grand-père lui a appris à lire et à écrire malgré l'interdiction. C'est lui aussi qui lui a appris les préceptes de Karl Marx et transmis l'attente de la révolution prolétarienne. Ses dons pour la poésie, le chant, les contes sont repérés par le poète communiste Martin Stransky. Il veut faire d'elle une égérie de la cause, l'exhiber dans les salons, publier ses poèmes. Son assistant, Stephen Swann, un jeune anglais idéaliste, tombe éperdument amoureux de la belle tzigane. Mais leur histoire ne peut pas être. Zoli n'est pas de celles qu'on attache. Swann trahit celle qu'il aime et Zoli est bannie de son clan. Elle a bousculé les traditions, secoué les tabous, elle est impardonnable. Puis c'est le communisme qui la trahit. Les autorités ont promis l'égalité aux roms, elles imposent la sédentarité. C'est la ''grande halte''. Usant de méthodes tout aussi cruelles que les Hlinskas, le nouveau pouvoir en place veut soumettre ce peuple libre et nomade. Zoli, seule au monde, ne peut que regarder de loin les souffrances de son clan. Quand elle passe à l'Ouest, elle se crée une nouvelle vie. Ses pas la mèneront en Autriche, en Italie, et même à Paris.

Librement inspiré par la poétesse polonaise-rom Bronislawa Wajs, le roman de Colum McCann raconte une femme libre, fougueuse, indépendante et un peuple qui l'est tout autant. Cette femme flamboyante qui a connu les persécutions, l'ostracisme, la trahison, le bannissement mais aussi l'amour et la rédemption est au coeur d'une histoire beaucoup plus vaste, celle du peuple tzigane d'Europe centrale. Une communauté toujours persécutée mais qui envers et contre tout a su garder ses traditions intactes, des coutumes inébranlables, transmises oralement une génération après l'autre, faites d'interdictions, de superstitions, mais aussi du goût de la danse, des contes, de la musique, du voyage, de la liberté.
Colum McCann est un écrivain généreux et prolixe. Son récit dans la seconde moitié du livre s'enlise un peu dans le trop plein de détails. Les errances de Zoli traînent en longueur,mais avant que la lassitude ne s'installe, il nous réserve un final mélancolique et riche en émotions. Zoli, même vieillissante, reste la même femme éprise de liberté et attachée à son peuple. Un très beau livre qui nous fait entrer dans le monde méconnu des tziganes.
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Zoli est tzigane et vit en Slovaquie. Elevée par son grand-père après avoir assistée encore enfant à l'exécution de ses parents par la police politique slovaque, elle erre à travers une Europe de l'Est bientôt dévastée par la Seconde Guerre Mondiale.
Pour les Rom, la guerre est un nouveau drame : pourchassés, rejetés, persécutés par les troupes fascistes, tout leur est interdit, aller et venir, jouer de la musique, entrer dans les villes… Pour finir, ils sont bouclés en camps de travail.
C'est dans ces conditions que son grand-père lui apprend à lire et à écrire. Mais pour ce peuple sans nation, aux traditions très fortes, qui se méfie de la parole figée, qui pense que tout doit rester oral et pour qui l'écriture est considérée comme une menace, cet apprentissage, surtout pour une femme, est une transgression inédite. Cependant Zoli persévère et commence à émouvoir son peuple en chantant les poèmes qu'elle écrit.
Elle rencontre alors Stansky, un poète tchèque aux prétentions révolutionnaires et Stephen Swann, un traducteur anglais déraciné, débordant d'idéal communiste. Tous deux la convainquent d'éditer ses poèmes. Un coup d'éclat visant à démontrer que l'écrit peut briser les stéréotypes qui persistent vis-à-vis des tziganes.
Son recueil de poèmes en fait ainsi une nouvelle icône du parti. Mais son peuple ne l'accepte pas. Elle est déclarée salie, corrompue, polluée à vie pour infamie et bannie, est condamnée à l'exil.
Rejetée par les siens, refusant le rôle de symbole du parti qu'on voudrait lui faire jouer, elle s'enfuit sur les routes dans une nouvelle errance, en quête d'un endroit où elle pourrait enfin poser ses semelles de vent.

Inspiré par l'aventure véridique d'une poétesse tsigane polonaise nommée Papusza, « Zoli » est un roman à multiples facettes. A travers le destin de la jeune femme, l'auteur nous révèle par petites touches, de 1930 à nos jours, le parcours des Rom d'Europe Centrale, un peuple bien souvent brutalisé.
Au coeur de ce roman poignant, les thèmes de l'assimilation, de l'appartenance et de l'ethnicité.
On découvre avec émotion tous les drames vécus par un peuple que les régimes successifs ont toujours voulu contraindre à la sédentarisation. Après que les nazis aient voulu les exterminer, les communistes, tout en les idéalisant, ont fait preuve d'incompréhension et de brutalité, pensant qu'en les assimilant, ils prouveraient le bien-fondé du socialisme. Dans les années 1950, le régime communiste a voulu à ce point les intégrer, qu'il les a finalement trahis en les sédentarisant de force. On a cassé les roues de leurs roulottes, on les a forcés à vivre dans des immeubles sans se soucier des conséquences culturelles que cela impliquait.

Car ce sont des traditions très fortes, d'un archaïsme parfois difficilement concevable, qui sont au coeur de leur mode de vie et leur sédentarisation forcée a bouleversé ces manières de vivre.
Pour un homme tzigane, par exemple, avoir une femme au-dessus de la tête est considéré comme une honte car les jupes des femmes ont un pouvoir de pollution…Alors vivre dans un immeuble avec une femme sur le palier du dessus, c'est tout bonnement inenvisageable ! Pour cela, les Rom voulaient tous vivre au dernier étage et délaissaient tous les autres niveaux !
Cela prêterait à sourire si ce n'était vécu comme un véritable drame par les Rom qui se sentent trahis et humiliés. Privés de liberté, interdits de voyage, on leur impose en plus de renier leurs traditions en menant une vie sédentaire.

Au-delà de l'identité culturelle et des notions d'intégration, l'ouvrage de Colum Mc Cann aborde les thèmes de l'art et de la création artistique.
L'écriture est un exutoire aux souffrances de l'existence mais elle est aussi un moyen de transmettre la parole d'un peuple qui n'a de mémoire autre que celle de l'oralité. Les écrits sont importants pour se souvenir du passé mais aussi pour modifier le présent. Malheureusement, on constate aussi à quelles extrémités peut conduire la publication d'un livre et combien terrifiants peuvent être les mots lorsqu'ils sont mal interprétés ou récupérés par un pouvoir politique.
Enfin, le livre de Mc Cann est un très bel hymne à la liberté, le portrait d'une femme hors du commun, la découverte d'un peuple méconnu qui nous permet d'entendre dans les mots de la poétesse, le désir d'indépendance de ces communautés perdues dans un monde de frontières et de sédentarité.
A la fois fort et doux, sec et sensible, poétique et vrai, un texte aux grands pouvoirs d'évocation.
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Des années 30 en Tchécoslovaquie à Paris en 2003 c'est un peu l'histoire des Roms que nous conte Colum MC Cann avec Zoli. Éduquée par son grand père suite à la mort de ses parents elle va enfreindre la première des règles de son peuple en apprenant à lire et à écrire. Merveilleuse chanteuse et poétesse à la gloire des siens elle va pourtant les trahir sans le vouloir. Emportée par l'idéalisme de son amant communiste et son ami poète Stransky, elle va devenir une icône malgré elle et desservir la liberté qui constitue l'identité même des Roms. Bannie par les siens elle va devoir fuir et presque mourir pour renaître à ce qu'elle est réellement.
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Zoli est une tzigane belle, libre. Par le chant et la danse elle transmets de génération en génération les histoires de son peuple, elle deviendra une grande poétesse. Stephen Swann va tomber amoureux de la jeune femme . Magnifique roman qui nous emmène sur les routes de l'Europe de l'Est, pendant la seconde guerre mondiale puis avec l'avènement du communisme. Un peuple sont cesse montré du doigt, indésirable partout ou il passe. C'est aussi un livre sur l'exil, le droit à la différence, la trahison et comme toujours chez McCann c'est magnifiquement écrit. Mélancolique, poêtique, l'âme slave plane sur les pages et l'Irlandais signe une nouvelle fois un sacré roman humaniste.
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J'attendais beaucoup de cette lecture, trop certainement, alors je suis assez déçue. Certes, j'ai découvert un univers qui m'était inconnu. J'ai appris sur les traditions roms d'Europe Centrale, du génocide dont ils ont été victimes de la part des fascistes avant et pendant la dernière guerre, de la sédentarisation à laquelle ils ont été forcés par les gouvernements communistes. Mais je suis peu sensible à la narration, perturbée par le style de l'auteur. Totalement insensible à la poésie de Zoli, héroïne du roman. Je n'éprouve aucune empathie pour les personnages. La construction du roman, alternant époques et narrateurs me dérange et me déstabilise. le texte perd en fluidité. Ces retours en arrière sont fatigants car ils embrouillent la compréhension du texte. Par ailleurs, j'ai bien trop de mal à saisir la personnalité de Zoli et reste imperméable à cette culture et à ces coutumes. Ce texte me semble trop froid. Il y a trop de distanciation.
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Citations et extraits (82) Voir plus Ajouter une citation
Il longe le lit du ruisseau et l'immonde paysage se révèle peu à peu, les seaux renversés dans un coude plus loin, le landau cassé dans les mauvaises herbes, le baril de pétrole qui tire une langue rouillée, la carcasse d'un frigo dans les ronces.
Le chien qui vient renifler le devant de la voiture a comme la peau recousue sur les os. Encore une seconde, et les gamins déboulent, se massent contre les vitres. D'un coude qu'il voudrait nonchalant, il abaisse les clenches aux angles des portières. Il y a un môme assez agile pour sauter sans un bruit, empoigner les deux essuie-glaces et s'étaler sur le capot. Deux autres s'accrochent au pare-chocs arrière et se laissent traîner, pieds nus dans la gadoue. Les filles courent de chaque côté, le nombril à l'air dans leurs jeans taille basse. L'une d'elles tend un doigt en riant, puis s'arrête, net, muette. Le gamin du capot glisse par terre, les patineurs lâchent le pare-chocs, et la rivière est soudain là, boueuse, rapide, inattendue. Un coup de volant brutal, les mûriers grattent les vitres, le chiendent craque sous les essieux, mais la voiture retrouve le chemin. Les enfants rappliquent à toutes jambes en poussant des cris.
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Il longe le lit du ruisseau et un immonde paysage se révèle peu à peu, les seaux renversés dans un coude plus loin, le landau cassé dans les mauvaises herbes, le baril de pétrole qui tire une langue rouillée, la carcasse d'un frigo dans les ronces.
Le chien qui vient renifler le devant de la voiture a comme la peau recousue sur les os. Encore une seconde, et les gamins déboulent, se massent contre les vitres. D'un coude qu'il voudrait nonchalant, il abaisse les clenches aux angles des portières. Il y a un môme assez agile pour sauter sans un bruit, empoigner les deux essuie-glaces et s'étaler sur le capot. Deux autres s'accrochent au pare-chocs arrière et se laissent traîner, pieds nus dans la gadoue. Les filles courent de chaque côté, le nombril à l'air dans leurs jeans taille basse. L'une d'elles tend un doigt en riant, puis s'arrête, net, muette. Le gamin du capot glisse par terre, les patineurs lâchent le pare-chocs, et la rivière est soudain là, boueuse, rapide, inattendue. Un coup de volant brutal, les mûriers grattent les vitres, le chiendent craque sous les essieux, mais la voiture retrouve le chemin. Les enfants rappliquent à toutes jambes en poussant des cris.
Courbées sur la rive opposée, deux vieilles femmes se redressent avec un sourire en coin, hochent la tête et recommencent à frotter sur les galets des draps gorgés de lessive.
Un autre virage serré, une haie d'arbres comme un mur aveugle, un cageot à salades crevé dans l'herbe haute, et là, de l'autre côté d'une passerelle branlante, une ruine, se trouve le camp des Gitans, rejeté sur une île au milieu de la rivière : on dirait qu'elle préfère la contourner. Des baraques, des cabanes sans fenêtres. Tuyaux dentelés, bois disparates, des foulards de fumée au-dessus des cheminées, des toits rapiécés en tôle ondulée, grêlés d'antennes satellite. Dans les branches d'un arbre, au fond, un manteau bleu claque au vent.
Il gare la voiture hors du chemin, tire le frein à main, fait semblant, un instant, de chercher quelque chose dans la boîte à gants, fouille bien alors qu'il n'y a rien, rien là qu'une seconde de répit. Derrière les vitres, les visages des gamins. En ouvrant la portière, il entend brusquement la dizaine de radios qui, de l'autre côté, gueulent simultanément des chansons slovaques, tchèques, américaines.
Aussitôt les mômes lui tâtent les manches, lui auscultent les côtes, lui palpent les poches. Il a l'impression d'être lui-même une douzaine de mains. Il les repousse d'un geste, crie :
- Ouste !
La voiture oscille en cadence : encore un gosse qui saute sur le pare-chocs. Il gueule :
- Ça suffit, maintenant !
Les garçons haussent les épaules dans leurs vestes en cuir. Les filles aux chemisiers ouverts reculent en ricanant - leurs dents immaculées, le vif-argent dans leurs pupilles. En débardeur, le plus grand des garçons s'avance.
- Robo, dit celui-ci en bombant le torse.
Poignée de main, il prend le jeune homme à part, lui murmure quelques mots à l'oreille.
Il aimerait ignorer cette odeur forte de laine mouillée et de tabac brun. Trente secondes pour conclure un marché : cinquante couronnes, Robo l'emmène voir les aînés, et, pendant ce temps-là, qu'on ne touche pas à la voiture.
L'adolescent met en garde sa petite bande, file une taloche au gamin du pare-chocs arrière. Puis ils s'en vont vers la passerelle. De nouveaux enfants arrivent le long de la rivière, certains tout nus, certains en couche-culotte, une fille en tongs sous des lambeaux de robe rose, et c'est la même qui semble finalement être partout, belle, ébouriffée, les yeux noirs comme du charbon. Seules leurs chaussures sont différentes.

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Il longe le lit du ruisseau et un immonde paysage se révèle peu à peu, les seaux renversés dans un coude plus loin, le landau cassé dans les mauvaises herbes, le baril de pétrole qui tire une langue rouillée, la carcasse d'un frigo dans les ronces.
Le chien qui vient renifler le devant de la voiture a comme la peau recousue sur les os. Encore une seconde, et les gamins déboulent, se massent contre les vitres. D'un coude qu'il voudrait nonchalant, il abaisse les clenches aux angles des portières. Il y a un môme assez agile pour sauter sans un bruit, empoigner les deux essuie-glaces et s'étaler sur le capot. Deux autres s'accrochent au pare-chocs arrière et se laissent traîner, pieds nus dans la gadoue. Les filles courent de chaque côté, le nombril à l'air dans leurs jeans taille basse. L'une d'elles tend un doigt en riant, puis s'arrête, net, muette. Le gamin du capot glisse par terre, les patineurs lâchent le pare-chocs, et la rivière est soudain là, boueuse, rapide, inattendue. Un coup de volant brutal, les mûriers grattent les vitres, le chiendent craque sous les essieux, mais la voiture retrouve le chemin. Les enfants rappliquent à toutes jambes en poussant des cris.
Courbées sur la rive opposée, deux vieilles femmes se redressent avec un sourire en coin, hochent la tête et recommencent à frotter sur les galets des draps gorgés de lessive.
Un autre virage serré, une haie d'arbres comme un mur aveugle, un cageot à salades crevé dans l'herbe haute, et là, de l'autre côté d'une passerelle branlante, une ruine, se trouve le camp des Gitans, rejeté sur une île au milieu de la rivière : on dirait qu'elle préfère la contourner. Des baraques, des cabanes sans fenêtres. Tuyaux dentelés, bois disparates, des foulards de fumée au-dessus des cheminées, des toits rapiécés en tôle ondulée, grêlés d'antennes satellite. Dans les branches d'un arbre, au fond, un manteau bleu claque au vent.
Il gare la voiture hors du chemin, tire le frein à main, fait semblant, un instant, de chercher quelque chose dans la boîte à gants, fouille bien alors qu'il n'y a rien, rien là qu'une seconde de répit. Derrière les vitres, les visages des gamins. En ouvrant la portière, il entend brusquement la dizaine de radios qui, de l'autre côté, gueulent simultanément des chansons slovaques, tchèques, américaines.
Aussitôt les mômes lui tâtent les manches, lui auscultent les côtes, lui palpent les poches. Il a l'impression d'être lui-même une douzaine de mains. Il les repousse d'un geste, crie :
- Ouste !
La voiture oscille en cadence : encore un gosse qui saute sur le pare-chocs. Il gueule :
- Ça suffit, maintenant !
Les garçons haussent les épaules dans leurs vestes en cuir. Les filles aux chemisiers ouverts reculent en ricanant - leurs dents immaculées, le vif-argent dans leurs pupilles. En débardeur, le plus grand des garçons s'avance.
- Robo, dit celui-ci en bombant le torse.
Poignée de main, il prend le jeune homme à part, lui murmure quelques mots à l'oreille.
Il aimerait ignorer cette odeur forte de laine mouillée et de tabac brun. Trente secondes pour conclure un marché : cinquante couronnes, Robo l'emmène voir les aînés, et, pendant ce temps-là, qu'on ne touche pas à la voiture.
L'adolescent met en garde sa petite bande, file une taloche au gamin du pare-chocs arrière. Puis ils s'en vont vers la passerelle. De nouveaux enfants arrivent le long de la rivière, certains tout nus, certains en couche-culotte, une fille en tongs sous des lambeaux de robe rose, et c'est la même qui semble finalement être partout, belle, ébouriffée, les yeux noirs comme du charbon. Seules leurs chaussures sont différentes."

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Ils prétendaient qu'elle s'évertuait à vivre un mètre au-dessus du sol. Il restait inconcevable qu'elle puisse être vue avec un livre au bras : on ne peut aller contre certaines idées reçues. Avant de repartir chez les siens, elle cousait des pages sous la doublure de son manteau, dans les poches de ses robes. Elle avait un faible pour un vieux recueil de Neruda, traduit en slovaque, qu'elle s'était acheté elle-même, d'occasion. Elle se promenait avec ses chants d'amour collés aux hanches, et j'ai appris par coeur des poèmes entiers pour les lui réciter à voix basse lorsqu'on prenait le risque d'un moment entre nous. Elle conservait dans diverses autres poches des ouvrages de Krasko, Lorca, Whitman, Seifert, et même un Tatarka récent. Quand elle posait son manteau à l'imprimerie, elle faisait tout de suite plus mince."

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Tu me demandes ce que j'aime ? J'aime me souvenir de Paoli quand j'entends tinter la clochette à la boutique. J'aime le café noir que fait sa fille, Renata, au comptoir avec ses créoles et ses ongles vernis. J'aime Franz, l'accordéoniste dans son coin, qui cache ses dents gâtées derrière sa main. J'aime bien les types qui ne s'accordent jamais sur la valeur des choses qui, d'ailleurs, ne les intéressent pas. Les enfants qui coincent encore des cartes à jouer dans les rayons de leurs bicyclettes. Le sifflement des skis. Les touristes qui sortent de leurs voitures, une main sur les yeux, puis qui remontent, aveuglés par le soleil. Les moufles en laine bleue des enfants. Leurs rires quand ils courent dans la rue. J'aime bien que, dans les vergers, les fruits poussent à même la terre. J'aime les promenades dans les bois en automne. Les cerfs qui montent les chemins escarpés, la façon dont ils baissent la tête pour boire, le noir au milieu de leurs yeux. J'aime le vent qui descend des crêtes. Les jeunes aux chemises trouées, déboutonnées, à la station-service. Le feu qui brûle dans des poêles que les gens se sont fabriqués eux-mêmes. les poignées de cuivre usées aux portes. La vieille église dont la charpente repose sans bruit dans les décombres, et même la nouvelle, bien que cette nouvelle cloche mécanique m'agace. J'aime le bureau à cylindre dans lequel les papiers sont toujours entassés. J'aime me rappeler quand tu as commencé à marcher, à un ans, quand tu es tombée sur les fesses et que tu as pleuré - tu ne t'attendais pas à ce que le plancher soit si dur. Mademoiselle le garçon manqué qui trépignait. J'aime ce jour où tu rapportais du bois, tu étais à la porte, bientôt plus grande que moi, et tu m'as dit que tu partirais bientôt. Je t'ai demandé où, et tu as répondu . Exactement. J'aime la naissance de toutes ces questions, lorsqu'elles reviennent, et reviennent, et reviennent. J'aime les hivers qui m'ont tenu tête, et même le sale temps qu'on a tous subi. J'aime nos moments de silence quand Enrico n'était pas là, quand je guettais le cliquetis du loquet, qu'il essuyait ses pieds en arrivant, pleins d'eau, de neige ou de pollen.
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Vidéo de Colum McCann
Avec Catherine Cusset, Lydie Salvayre, Grégory le Floch & Jakuta Alikavazovic Animé par Olivia Gesbert, rédactrice en chef de la NRF
Quatre critiques de la Nouvelle Revue Française, la prestigieuse revue littéraire de Gallimard, discutent ensemble de livres récemment parus. Libres de les avoir aimés ou pas aimés, ces écrivains, que vous connaissez à travers leurs livres, se retrouvent sur la scène de la Maison de la Poésie pour partager avec vous une expérience de lecteurs, leurs enthousiasmes ou leurs réserves, mais aussi un point de vue sur la littérature d'aujourd'hui. Comment un livre rencontre-t-il son époque ? Dans quelle histoire littéraire s'inscrit-il ? Cette lecture les a-t-elle transformés ? Ont-ils été touchés, convaincus par le style et les partis pris esthétiques de l'auteur ? Et vous ?
Au cours de cette soirée il devrait être question de Triste tigre de Neige Sinno (P.O.L.) ; American Mother de Colum McCann (Belfond), le murmure de Christian Bobin (Gallimard) ; le banquet des Empouses de Olga Tokarczuk (Noir sur Blanc).
À lire – Catherine Cusset, La définition du bonheur, Gallimard, 2021. Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, le Seuil, 2024. Grégory le Floch, Éloge de la plage, Payot et Rivages, 2023. Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous, Coll. « Ma nuit au musée », Stock 2021.
Lumière par Valérie Allouche Son par Adrien Vicherat Direction technique par Guillaume Parra Captation par Claire Jarlan
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