La marche du mort : Lonesome Dove (Colombe solitaire) : les origines
Dead man's walk, 1996
Larry Mc Murtry, 1936-2021, texan
roman, prix Pullitzer de la fiction
traduit de l'américain par
Laura Derajinski en 2016
Gallmeister, 2016, 506p
Voici un western littéraire. Quelle surprise ! le lecteur est dans la plaine interminable, qui sépare de façon confuse le Texas du Nouveau Mexique, pas si plate que cela, dans laquelle aucun repère ou presque ne permet aux rangers du Texas de s'orienter, parce que les Indiens, eux, s'orientent très bien : ils sont sur leurs terres. Il est également dans
La Marche du Mort, ce désert long de 300 km, où rien ne pousse, faute d'eau et de terres fertiles.
Parmi les rangers, se trouvent un colonel qui n'est pas colonel, mais un ancien pirate, et deux bleus, nouvelles recrues, vraiment très bleus, qui ont tout à apprendre. Ce western est aussi un roman d'initiation. Les deux novices sont copains, l'un, Call, est sérieux, bien qu'impulsif, et veut apprendre, l'autre, Gus, ne pense qu'aux putains et aux cartes, et il veut apprendre aussi. du côté indien, chez les Comanches, il y a Buffalo Hamp (« Bosse de bison »)avec sa grosse bosse dans le dos et Kicking Wolf (« Coup de pied de Loup ») qui vole des chevaux et des enfants, et jouit de l'art de torturer qui lui donne un sentiment de puissance et de calme, et chez les Apaches, il y a Gomez, de petite stature et aux jambes arquées. Les Indiens semblent supérieurs en tout aux Blancs, en tout cas aux rangers.
Les rangers ne sont pas du tout organisés. Surtout leurs chefs sont des incapables. Call prend la figure de la dignité et de la fierté. C'est un western comique. Un bison, criblé de balles, met un temps fou à s'écrouler, un crotale mord le cul d'un ranger qui n'en meurt pas. Une jeune fille délurée applique de la pommade sur la cheville enflée de Gus. Une putain massive et nue déchire une tortue serpentine. Call renverse un buggy dans lequel ont pris place deux caricatures de chef. Ce n'est pas que les événements soient drôles en soi, mais la description très visuelle qu'en fait Mc Murtry, la dérision avec laquelle le narrateur en parle, rend l'ensemble très riant. Parfois, on se croirait presque dans un dessin animé, quand par exemple l'intendant, épouvanté d'avoir tutoyé la mort dans le canyon, ne fait que hocher la tête, les yeux vitreux, et la hoche de plus en plus vite. Gus et un autre ranger font ensemble leurs besoins de sorte qu'ils puissent discuter. le narrateur d'ailleurs souligne le côté comique : le spectacle comique de cette troupe entière essayant de manger des gourdes amères … , et le ridicule des rangers qui ont marché 2000 km pour se faire mettre les fers par une poignée de Mexicains dont la plupart sont des gamins. D'autres passages ne sont pas drôles du tout. Beaucoup de gens trouvent la mort. La faim et la soif, les ours et les Indiens insaisissables guettent ceux qui traversent la plaine et le désert. Un chef tue sans scrupule et sans l'avertir un de ses hommes qui ne lui obéit pas spontanément. Buffalo Hamp, à cheval, scalpe un jeune ranger qui fuit en courant. La mort devient banale.
Car c'est un monde sauvage, très sauvage, qu'on traverse. On est au XIX°. Cependant beaucoup de personnages ont le sens de l'humanité, la putain qui devient une mère pour les deux novices, Call s'inquiète pour les jeunes Mexicains, Gus rêve d'amour et de mariage, un ranger risque sa vie pour rechercher son ami, l'éclaireur refuse d'abattre le capitaine mexicain qui pourtant le lui demande.
C'est le premier roman de la série Lonesome Dove. C'est un roman original, à la fois roman d'aventures, roman descriptif, drame, galerie de portraits, qui revisite le western : les personnages principaux sont des bras cassés bien sympathiques, le duo de jeunes gens fait très bien la paire, le fanfaron et le scrupuleux, mais aussi des femmes étonnantes, la putain au grand coeur, l'aristocrate lépreuse. Toutefois c'est le ton qui remporte la palme de l'originalité : ironique, comique, distant pour conter des histoires de mort et de torture. Malgré cette distance, on ne perd rien de tout ce qui peut animer les personnages. Enfin l'écriture est admirablement visuelle. Ce livre est aussi un film. Rien de surprenant à ce qu'il ait été adapté au cinéma.