Son désir lui donnait une lucidité que l’alcool n’avait aucune chance de lui faire perdre, quelle que soit la durée de son attente.
Était-il possible qu’il l’aimât encore comme il l’avait aimée autrefois ? Cela paraissait peu vraisemblable. Ce qui était certain, en revanche, c’était qu’il la désirait avec la même intensité. Elle avait été la seule à lui ouvrir un jour les portes du paradis, et il était décidé à saisir cette chance unique qu’elle pouvait lui donner d’en franchir encore le seuil. Son désarroi s’estompait peu à peu. Il se sentait déjà plus fort que tout à l’heure.
S’il avait un corps d’homme, puissamment viril, mûr et plein de force, la vulnérabilité qui dansait dans ses prunelles était le miroir de sa jeunesse. Sa douleur était celle d’un enfant, sa passion celle d’un jeune homme incertain d’obtenir ce à quoi il aspirait désespérément. Carl ne cherchait plus à se réfugier derrière le masque d’arrogance qu’elle lui avait souvent vu afficher. Il ne cherchait à lui dissimuler ni son désir, ni ses doutes, ni son amour.
Rien n’était plus normal que de pleurer lors d’un enterrement, et personne ne soupçonnerait que ses larmes étaient dues à tout autre chose qu’à la perte d’un être cher. En revanche, elle ne pouvait s’abuser elle-même, et la vérité ne laissait pas de l’horrifier : comment pouvait-elle pleurer, au bout de dix ans, pour un simple regard dénué d’expression ? N’avait-elle donc aucune dignité ?
Sarah le croyait fort. D’ailleurs, près d’elle, il se sentait fort. L’obligation qu’il avait de se contenir pour ne pas l’effrayer, voire lui faire mal, quand il la prenait dans ses bras, faisait partie du plaisir qu’il éprouvait à l’embrasser. L’amour et la confiance de Sarah lui donnaient la volonté d’être pour elle le meilleur des hommes.
Je n’ai que faire du passé... Ce qui m’intéresse, c’est ce que nous sommes ici et maintenant