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Attilio Profeti, quatre-vingt-treize ans, est officiellement père de trois fils, et d'une fille, Ilaria, qui découvre un matin sur son pallier un jeune éthiopien se disant être son neveu, et le petit-fils d'Attilio. D'abord incrédule, la jeune femme, qui se met à fouiller dans le passé de son père, va se rendre compte qu'elle ne connaît pas cet homme dont l'histoire personnelle trouble est indissociable de celle de l'Italie.

Colonisation éthiopienne barbare, fascisme, racisme, corruption, ultra libéralisme, Francesca Melandri juge l'Italie d'hier et d'aujourd'hui. Dans les dérives nationalistes de son pays, à partir de l'histoire de la famille Profeti, d’Attilio ancien colon de l'époque mussolinienne à ses enfants, citoyens de l'Italie immorale, corrompue et xénophobe de Berlusconi, elle montre comment passé et présent se rejoignent.

Francesca Melandri raconte, avec la voix intime et singulière qui est la sienne, une histoire perturbante et bouleversante (étayée par un travail historique solide). Sans filtre, elle met en lumière des épisodes peu glorieux du passé d'une Italie qui continue, aujourd'hui encore, à être tentée par des voies extrêmes.

Un grand merci à Babelio et aux Éditions Gallimard pour leur confiance et pour la rencontre prochaine avec l'auteure.
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On connait bien mal ceux qui nous entourent.

Ceux que nous aimons,  pour nous,  sont un mystère tant notre regard sur eux est voilé par la tendresse ou émoussé par l'habitude.

C'est ce que semble penser Ilaria,   l'intransigeante héroïne du troisième  roman de Francesca Melandri, Tous sauf moi -  Sangue giusto,  en italien.

En le  lisant,  je n'ai cessé de penser à un film de Costa Gavras, Music Box, où l'héroïne, incarnée par Jessica Lange, découvre  peu à peu le monstre qu'a été,  qu'est encore son père,  émigré hongrois devenu americain, self made man charismatique, citoyen  respectable, grand père adulé, père chéri- et pourtant tortionnaire de la pire espèce, raciste impénitent, suppôt  des nazis en Hongrie...

Ilaria Profeti,  "petite Robespierre" , est elle aussi amenée à faire sur son père, Attilio Profeti, ce très vieil homme qui perd un peu la boule, des découvertes successives, et plutôt désagréables.

Le facteur déclenchant est l'arrivée , dans sa vie et son appartement romain,  d'un jeune homme venu d' Éthiopie, d'un noir d' ébène, et qui se dit son neveu.

 L' enquête d'Ilaria  sur l'identité  réelle d'Attilio Profeti, derrière les mensonges déjà presque démasqués de ses nombreuses "familles", de ses épouses, de ses enfants cachés,  va largement déborder le cadre d'une enquête familiale.

 Elle la conduit  à exhumer l'histoire de son propre pays dans les rapports sordides qu'il a eus, qu'il a encore, avec l'Afrique, cette terre meurtrie.

Fascisme, berlusconisme, libéralisme: trois  compagnons du colonialisme, trois fléaux .. tiens, comme Attila, le surnom d'Attilio. On y revient...

Après  les grèves succédant à la Grande Guerre, c'est l'avènement des chemises noires, l'occupation et la "pacification" de l'Abyssinie, sa mise en coupe réglée au nom de la Difesa della razza, chère aux anthropologues fascistes,   qui ravale les Ethiopiens au rang de créatures inférieures. On peut dès lors, sans scrupule,  les asperger d'ypérite , les nettoyer au lance-flamme. Les Habeshas, autre nom des Abyssins," les Brûlés ",  ne semblent plus devoir  leur nom à  la seule couleur de leur peau..

Apres la défaite fasciste, l'empire  du Négus est une sorte de régression féodale puis, une fois  le Négus destitué et étouffé , s'établit en Éthiopie la pire dictature socialiste qui soit, celle du sanguinaire Mengistu, avec la bénédiction des démocraties européennes, dont l'Italie,  qui lui envoient des chefs d'entreprise peu regardants sur la question des droits humains mais âpres au gain. L'Afrique si misérable est une terre de profits étrangers: une nouvelle colonisation économique qui n'a rien à envier à  l'ancienne. Les Éthiopiens émigrent en masse. Après les Brûlés,  voici les Sortis..

L'enquête d'Ilaria se déroule sur fond de corruptions et de scandales   berlusconiens , du bunga bunga à  la réception compromettante de Khadafi à  Rome - qui n'a rien à envier, elle non plus, à celle du même Khadafi par Sarkozy...-

 Et l'arrivée du jeune neveu d'Ilaria , menacé d'expulsion , la renvoie  aux lois iniques-  votées par le centre gauche,.-  sur l'immigration...et à  ce "Jus sanguinis" , ce droit du sang, abusivement traduit par "sang juste"!

Ce périple historique afro-italien croise et recroise la piste d'Attilio, le beau, le charismatique, le séducteur, le chanceux Attilio.  Et à chaque croisement,  une facette noire du personnage apparaît, une "facetta nera" comme dans  la chanson raciste des milices fascistes..

Comme sa fille, Ilaria,  on pousse un soupir de soulagement à voir s'éteindre, dans la sénilité et la démence, celui qui n'a jamais eu assez conscience de lui-même pour avoir des remords,  ni  assez de courage pour défendre vraiment les siens, à l'opposé  de son vieux copain Carbone, "madamato' comme lui, mais resté avec sa "madame"  éthiopienne et ses enfants métis, sacrifiant toute ambition, par fidélité et amour...et gagnant, au poteau, le concours de longévité qui était le but suprême d'Attilio. "Ils peuvent mourir tous, sauf moi. " ne cessait-il de répéter .

Raté. 

Encore plus dense, plus ambitieux, plus terrible , plus fouillé que les deux ouvrages précédents de Francesca Melandri , 'Tous sauf moi" est un livre puissant, dont l'enquête procède par cercles concentriques - et non, comme je l'ai fait plus haut, par souci de clarté, dans une démarche linéaire et chronologique.

Cette " enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon" s'élabore dans un désordre savant, comme dans  une vraie recherche, où le hasard mène à une vérité,  où les coïncidences  éclairent un contexte obscur, où  les rapprochements, les associations d'idées font soudain  jaillir la lumière.

Cette structure mouvante, sensible, intelligente, est un des atouts du livre, et rend l'identification à  Ilaria plus étroite. 

Rien d'explicatif, de pesamment surligné : la recherche historique profonde, solide, reste sous- jacente, discrète : elle est toujours sous le contrôle de la construction romanesque, elle dépend entièrement des aléas narratifs, de la psychologie des personnages,  ce qui est un vrai tour de force pour une matière historique aussi complexe.

Du coup, le lecteur  en sort non seulement bouleversé mais plus instruit, comme si ce tâtonnant  voyage, ce lent cheminement vers la vérité, il l'avait construit lui-même,  à la force du poignet.

Je remercie Babelio et les éditions Gallimard pour ce beau et grand moment de lecture! 
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« Nous sommes blancs Ilaria. Notre père est blanc. S'il avait vraiment un quart de notre sang, il serait, disons, beige. Et en fait, il est marron.
- Beige ? Marron ? Mais qu'est ce que tu dis Attilio ! Tu veux évaluer la couleur de sa peau avec un Pantone ?
- Je n'ai pas besoin d'un nuancier. Je le vois de mes propres yeux qu'il est trop foncé.
- Moi, j'ai vu de mes propres yeux une carte d'identité où figure le nom de mon père qui est aussi le tien. Et ça c'est un fait ! ».

Passionnée d'histoire, j'étais impatiente de lire ce livre. Imaginez-vous un matin de l'année 2010 découvrir sur votre palier, un jeune homme éthiopien qui est à la recherche de son grand-père qui n'est autre que votre père. A partir ce cet épisode, il devient évident d'élaborer un récit qui met en lumière cette part d'ombre de la période fasciste de ce pays en partant de la vie d'Attilio Profeti père.

Et la vie d'Attilio a été particulièrement remplie. C'est une personnalité fascinante par sa grande capacité à tamiser certaines parties de sa vie. Ilaria va naviguer dans les zones grises de l'existence de ce père. Séducteur, opportuniste, lâche, manipulateur, menant double vie, sans scrupule, Attilio a toujours eu de la chance. Mais aujourd'hui, avec ses 95 ans, sa mémoire s'effiloche. Ilaria va donc mener son enquête. Elle va mettre au jour les secrets de son père et l'histoire peu glorieuse de l'Italie, l'occupation par les chemises noires de l'Ethiopie de 1936 à 1941 et toutes les exactions, la violence, les massacres d'Addis-Abeba, l'horreur, les lois raciales, l'interdiction du métissage malgré de nombreux enfants nés des « talians », la corruption, l'utilisation du gaz Ypérite.

Quant à ce jeune homme éthiopien qui se trouve sur le palier d'Ilaria, il se nomme Shimeta Ietmega Attilaprofetti. C'est le petit fils d'Attilio dont personne ne connait l'existence. Sa demande d'asile a été rejetée et il raconte, lui aussi, à sa tante, toutes les épreuves et les atrocités qu'il a du affronter, lui le « sorti ».

Passionnant, érudit, intelligent, ce récit mêle l'histoire d'une famille fictive, celle d'Attilio Profeti père, à des portraits d'hommes connus historiquement. L'auteure s'est appuyée sur un énorme travail de documentation. Elle s'est rendue en Ethiopie. A rencontré des migrants afin d'être au plus près de la réalité. Mais voilà, ladite construction promène le lecteur d'une période à une autre sans cohérence ou dont la connexion n'apparaîtra que plus tard, plusieurs histoires s'entremêlent dont certaines ne m'ont pas paru indispensables ou je n'ai pas tout saisi, l'histoire est à la fois en 2010 et en même temps avec Mussolini. Cette gymnastique intellectuelle alourdie le récit et ne rend pas la compréhension du texte évidente. Ce puzzle risque de décourager plus d'un lecteur. Rien à voir avec le style d'écriture de « Plus Haut que la mer ».

Francesca Melandri cherche à mettre en évidence la politique coloniale de l'Italie et sa répercussion sur les mentalités et les migrations d'aujourd'hui. Avec ce livre, elle a espoir de sortir son pays du déni collectif de ce passé ou de son ignorance sans pour autant se poser en donneuse de leçons, elle est plutôt comme une archéologue qui fouille, qui creuse, pour mieux connaître le passé afin de mieux vivre le présent.

En juillet 1959, le Général de Gaulle en accueillant l'empereur Haïlé Sélassié lui rendit hommage en ces termes : « Nous savons, Sire, la France entière, le monde entier, savent qu'en votre personne on peut reconnaitre le souverain dont le courage et la valeur se sont démontrés avec gloire pendant la guerre et avec éclat durant la paix ».

Mais néanmoins, après toutes ces lectures qui n'ont pour vocation qu'éveiller les consciences, je ne me fais aucune illusion sur l'être humain.

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Le presque centenaire et désormais sénile Attilio Profeti a officiellement eu trois fils et une fille, Ilaria. Aussi, quelle surprise pour celle-ci lorsqu'un réfugié venu d'Ethiopie se présente chez elle en se déclarant petit-fils d'Attilio. Ilaria, amenée à se pencher sur le passé de son père, découvre un homme qu'elle ne connaissait finalement que bien peu. Au travers de la vie du vieil homme, c'est toute l'histoire de l'Italie fasciste et colonialiste qui resurgit, tout un passé occulté qui a pourtant laissé bien des traces, parfois inattendues, jusqu'à aujourd'hui.


S'il pèse souvent lourd dans l'estomac en raison de la relation des manipulations d'embrigadement fasciste, des obsessions racistes et phrénologiques, des comportements et des crimes de guerre de la « race pure » à l'encontre de ses « inférieures », mais aussi parce qu'on finit, d'une part, par étouffer dans l'évocation de l'omniprésente corruption, passée et contemporaine, qui infeste la société italienne, d'autre part, par ressentir un véritable malaise face au traitement infligé de nos jours aux migrants qui affluent à Lampedusa, ce long et dense roman prend les allures d'un documentaire lucide et sans concession, fondé sur une analyse sérieuse et solide qui interroge tant le passé que le présent.


Ce remarquable roman historique mérite largement l'effort de sa lecture, éprouvante et consternante, mais édifiante et nécessaire. Il vous fera découvrir un pan d'histoire méconnu des Italiens-mêmes, rétablissant courageusement une vérité occultée dans la mémoire collective.


Prolongement sur l'empire italien d'Ethyopie dans la rubrique le coin des curieux, en bas de ma chronique sur ce livre sur mon blog :
https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/07/melandri-francesca-tous-sauf-moi.html

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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En premier chef, des immenses Mercis aux éditions Gallimard et à Masse Critique pour la réception de la dernière traduction de Francesca Melandri, que je découvre, avec curiosité, à cette occasion. Une histoire familiale qui nous fait découvrir un autre pan de l'Italie et ses rapports avec l'Ethiopie... Les colonisations, les migrations, toutes les souffrances insupportables vécues par les migrants, partout, à toutes les époques... les exclusions raciales, les extrémismes politiques... qui font fi des droits élémentaires des autres hommes ! Un roman polyphonique dont il est très complexe de rendre la densité ... Je vais tenter d'en donner l'atmosphère et la pluralité des questionnements, des directions et des récits, de façon très imparfaite et subjective !

Avec cette fresque familiale et historique, j'ai découvert une période de l'histoire italienne, qui m'était complètement inconnue... ainsi que les folles ingérences, désir de puissance, d'annexion d'un pays... par le Duce, alors qu'avant les années 30, l'Italie entretenait des échanges amicaux avec l'Ethiopie. Mussolini, sans déclarer ouvertement la guerre à ce pays d'Afrique a envoyé ses troupes avec des moyens de combat sans commune mesure avec ceux des Ethiopiens, dont des gaz de combat.... 5 années de colonisation brutale... alors que ce pays avait été l'un des rares pays...qui avait échappé aux annexions extérieures ! Une vaste fresque qui nous pousse à de multiples réflexions , malheureusement toujours d'actualité...lorsqu'on constate l'hostilité, les nationalismes en ces temps de crise, s'exacerber de nouveau,et avec une propagation inquiétante ! Une oeuvre magistrale...perturbante, qui interroge nos sociétés en dérive, excluant, réactivant toutes sortes de racismes, de cupidités en périodes de crise... A travers le récit des personnages d'une même famille, à travers les époques... nous visitons et apprenons les coulisses politiques, historiques de deux pays ! De nombreux portraits de gouvernants abusifs, dont un portrait -charge de Silvio Berlusconi ainsi qu'un panorama historique de la société italienne, de Mussolini à nos jours, mettant en relief, par le biais d'une histoire familiale, des épisodes peu glorieux de l'Italie, et la folie mégalomaniaque du Duce , envers l'Ethiopie !

Lorsqu'on a fait fi des sauts de la narration dans différentes époques, identifié les très nombreux personnages... et dépassé l'insoutenable de certaines descriptions lorsqu'il s'agit des catastrophes humaines, et de misère absolue supportées par la majorité des Ethiopiens, nous sommes interpellés, pris , captivés par le récit de cette famille... et de cet aïeul, le Grand-père, nonogénaire , Attilio, personnage haut en couleurs, séduisant , ambigü, ayant vécu mille vies, entre sa jeunesse en Ethiopie, puis l'Italie... plusieurs mariages, des pans de vie cachés, des enfants... dont un enfant secret , né en Ethiopie...dont le petit-fils, surgira de nulle part, du jour au lendemain, en frappant à la porte de sa tante, Ilaria..., après deux longues années de "parcours du combattant" de "migrant" pour être accepté sur le sol italien ! Ilaria, adorée par son père, enseignante estimée, va devoir creuser, questionner pour découvrir le passé secret de son père, sa jeunesse en Ethiopie, dans une période politique critique... Ainsi nous ferons des allers-retours entre passé plus ou moins lointain, et présent... Elle ira de surprise en surprise, de révélations dérangeantes en questionnements perturbants, interrogeant l'universelle Humanité et ses dérives !...

Grâce à cette enquête familiale, nous découvrirons les différentes évolutions, ou stagnations du régime italien, les parodies des gouvernements, Les malheurs continus des éthiopiens... sans oublier la désinformation quant à ce pays maints fois éprouvé... dont les photographes ne rapportent , le plus souvent, que les "images-chocs"... de la famine dans les années 1975 !... "La faim en Ethiopie avait mis au centre du monde un pays dont beaucoup ignoraient l'emplacement, voire l'existence encore quelques mois plus tôt. Les plus célèbres photographes accouraient pour immortaliser de leurs clichés tragiques (...) l'énormité de la catastrophe (...) L'altérité représentée sur ces photos niait toute parenté humaine possible entre sujets et spectateurs. Epargnant ainsi à ces derniers le terrible abîme de la véritable empathie. "(p. 156) Une admiration confirmée face à ce texte foisonnant... à la documentation stupéfiante... aussi stupéfiante que le détail final, très impressionnant des remerciements de l'auteure; je tiens à retranscrire le tout dernier message, bouleversant... qui confirme une partie de mon ressenti.

Ce roman profond, riche d'analyses, d'observations très critiques sur les abus de tant de gouvernements,leurs vélléités, leurs cupidités, dont ceux de l'Italie... comme si l'auteure, par ce texte incroyable tentait , à son "modeste niveau" d'apporter quelque réparation, et un peu de juste reconnaissance envers les Ethiopiens, mais également envers tous les migrants du monde... souvent exploités, colonisés autrefois , et encore rejetés par les anciens colons , lorsqu'ils essayent de fuir la misère et la guerre ...!! (...) à Shimeta Ezezew pour m'avoir emmenée- à temps- chez les anciens -arbagnoch- Abuhay Tefere et Ato Channe : " Quand j'étais jeune, je me suis battu contre ton peuple et aujourd'hui tu viens chez moi pour m'écouter. Quel heureux jour ! Dimanche prochain, après la messe, je le raconterai à tout le monde." Un large bandeau nous offre une magnifique illustration des plus significatives : un très beau vol d'oiseau-migrateurs, avec au loin un bateau amarré ! Un appel tonitruant et vigoureux à la prise de conscience de tous !! Si il était besoin ... le mot "migrants" lorsque vous aurez lu cet ouvrage, ne pourra être entendu qu'autrement, avec une résonance toute neuve ! "Migrer est un geste total mais aussi très simple : quand un être vivant ne peut survivre dans un endroit, ou il meurt ou il s'en va. Hommes, thons, cigognes, gnous au galop dans la savane: les migrations sont comme les marées, les vents, les orbites des planètes et l'accouchement, tous des phénomènes qu'il n'est pas donné d'arrêter. Et sûrement pas par la violence, même si cette illusion est répandue. "(p. 49) Après ce grand choc de lecture, je suis doublement curieuse de lire ses deux autres ouvrages traduits et édités par Gallimard, comme de rencontrer prochainement cette auteure, chez son éditeur, ce 28 mars 2019 .... N.B : J'allais omettre des remerciements à la traductrice, Danièle Valin, qui a traduit l'oeuvre d'Erri de Luca ainsi les deux autres textes de Francesca Melandri , chez Gallimard...
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Tous, sauf moi est un gros pavé de cinq cent cinquante pages très denses. Son abord ne le rend pas forcément attractif pour celles et ceux qui recherchent des lectures faciles. C'est pourtant un ouvrage tout à fait passionnant et les amateurs de romans historiques l'apprécieront.

En toile de fond, l'Italie des années vingt à nos jours, avec un large focus sur les pérégrinations africaines de la période mussolinienne. En trame narrative, le quotidien actuel d'une famille romaine, amenée par les circonstances à se pencher sur un passé occulté. En premier plan, la longue, très longue vie de son patriarche, un homme nommé Attilio Profeti, sur le point de s'éteindre, en 2010, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans.

Cet homme n'est alors plus en état de se prononcer sur les assertions d'un jeune Noir, un sans-papiers éthiopien qui a franchi la Méditerranée sur un rafiot déglingué surchargé de migrants, et qui prétend être son petit-fils. Sa fille Ilaria, une intellectuelle bobo, perplexe devant l'apparition de ce neveu surprise, décide de mener l'enquête et de se pencher en profondeur sur le passé de son père. Elle ira de découverte en découverte.

Attilio Profeti avait bénéficié d'un physique et d'une prestance qui lui avaient toujours conféré une forme d'aisance et d'autorité naturelle. Tout au long de sa vie, il avait ainsi obtenu spontanément la confiance et la sympathie des personnes qu'il avait croisées. Stratège, opportuniste, manipulateur, occasionnellement truqueur, régulièrement chanceux, il avait su saisir de belles opportunités de carrière, tout en ayant toujours la sagesse de rester discrètement en seconde ligne, ce qui lui avait évité de rendre des comptes peu reluisants lorsque les vents avaient tourné. Grand séducteur, il avait multiplié les conquêtes féminines et avait assumé de mener une double vie… Peut-être même triple !

L'originalité de la grande fresque historico-romanesque écrite par Francesca Melandri est le déroulement de sa narration en sens inverse de la chronologie. Attilio Profeti apparaît d'abord en septuagénaire portant beau, participant en 1985 à une délégation officielle en Ethiopie, un pays qu'il avait quitté précipitamment quarante-cinq ans plus tôt. Que vient-il donc y faire ? On n'en connaîtra l'intégralité des tenants et aboutissants que bien des chapitres plus loin, en l'y retrouvant, dans les années trente, jeune et séduisant officier des troupes coloniales italiennes. Entre-temps, on l'aura vu en go-beetween dans un groupe de promotion immobilière très investi dans la rénovation urbaine à Rome : une reconversion habile et fructueuse dans les affaires, après avoir été l'assistant d'un anthropologue suprémaciste blanc, au sein d'un Ministère des Colonies rebaptisé subtilement, après la guerre, Ministère de la Coopération.

Dans cette chronologie à rebours, le lecteur avance comme dans un puzzle. Il ne peut comprendre l'intégralité de certaines péripéties, puisqu'elles découlent d'événements passés qu'il ne connaît pas encore. Leur révélation viendra plus tard, comme des pièces manquantes venant compléter les espaces vides. Un procédé littéraire qui donne du piment à la lecture.

J'ai été impressionné par la documentation extraordinairement riche et précise, attestée d'ailleurs par les longues lignes de remerciements à la fin de l'ouvrage. Il se peut toutefois que la profusion de détails, certes instructifs, lasse le lecteur privilégiant les aspects romanesques.

Plus haut que la mer, le précédent roman de Francesca Melandri, m'avait profondément ému par son humanité et sa délicatesse. Tous, sauf moi est écrit d'une plume sèche, analytique, comme une série de chroniques documentaires. Pouvait-il en être autrement en exhumant des épisodes peu glorieux de l'Histoire de l'Italie, enfouis au plus profond de la mémoire nationale ? Une mémoire qu'il n'est certainement pas facile d'assumer pour les natifs d'un pays ayant fait une partie de la guerre aux côtés de l'Allemagne nazie et l'ayant terminée dans les bagages de l'armée de libération américaine.

Vers la fin du livre, en découvrant l'enfance d'Attilio accompagnant la montée du Fascisme, j'ai pensé à la chance que j'ai eue, d'avoir été élevé en un lieu et un temps où toutes les idées pouvaient librement s'exprimer. J'ai pu choisir et construire les miennes en conscience. Elles sont ma responsabilité. Qui aurais-je été, si l'on m'avait bourré le crâne ?

Avec Tous, sauf moi, Francesca Melandri délivre un message très sombre. Libérés du fascisme et de ses crimes, les Éthiopiens sont tombés sous le joug féroce d'un régime démocratique populaire à la soviétique, avant d'être confrontés plus tard à la famine, à la guerre et aux luttes religieuses. L'Histoire est tragique et ses acteurs sont des monstres.

Une petite lueur : l'amour pourrait être un refuge acceptable.

Merci à Babelio et aux Éditions Gallimard.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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De l'Italie fasciste de Mussolini au bling-bling de l'ère Berlusconi, Franscesca Melandri s'attache à nouveau à évoquer son pays par le destin d'un homme à la personnalité ambiguë, opportuniste et sans scrupule, dans ses choix professionnels comme personnels.

Le bel Attilio Profetti trace sa route en ligne droite, évitant toute prise de conscience dérangeante, profitant d'une chance insolente et d'une haute idée de lui-même.
Pouvait-il prévoir que son sang pur coulerait un jour dans les veines d'un jeune éthiopien clandestin débarquant à Rome en 2010?

Le propos narratif est sans concession pour évoquer les guerres de l'Empire colonial des années 30, les années noires du fascisme et de la seconde guerre mondiale, jusqu'à l'Italie contemporaine structurée sur la corruption et le clientélisme. S'y ajoute le symbolisme amer des invasions opposées, entre conquêtes hégémoniques passées et migrations clandestines actuelles, comme un retour de bâton imprévisible. Toutes formes politiques impactent la vie des individus, tissant des fils inattendus en généalogie.

Après avoir façonné des personnages denses et travaillés, un contexte historique et social documenté, et une hauteur de vue de sociologue, l'auteure s'amuse avec un malin plaisir à brouiller les individus, les époques et les lieux, découpant un puzzle qui peu à peu doit être constitué. Cela tient le lecteur en attente sans jamais le perdre, chaque chapitre apportant son lot de détails pour une compréhension globale.

Du grand art en conception addictive !
Un gros de coeur, comme l'a été son premier roman « Eva dort »
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Ecrit tout en finesse, ce roman se lit d'une traite car l'auteur, avec intelligence et lucidité nous offre un écrit sans un mot de trop ou qui ne soit chargé de sens. Le thème en est les rapports complexes entretenus avec les autres en général et avec ceux qui nous sont différents en termes de culture et de couleur de peau en particulier (le titre du roman en italien est « Sangue giusto », le bon sang). Mais pas seulement : sans parti pris, de façon juste et jamais polémique, l'auteur aborde aussi l'ingratitude des enfants, le refus de mourir, les hommes politiques qui sont comme des Dieux, les intérêts privés financés par de l'argent public, les rapports au sein d'une fratrie et d'une famille recomposée, la belle vie des Libyens sous Kadhafi, les théories fumeuses à propos d'un complot juif international, l'idée que l'on se fait du racisme, etc...
Et c'est ainsi qu'à travers une saga familiale digne des Rougon Macquart, nous traversons l'Histoire de l'ère mussolinienne à nos jours et, tout en voyageant en Ethiopie et en Italie, Francesca Melandri réussit la prouesse, en sus de laisser notre imagination voguer au fil des pages, de susciter les réminiscences et références culturelles propres à chacun, et qui le constituent, au détour d'un paragraphe ou d'une phrase, tant son écriture est riche. Pour mon cas, j'ai évoqué à la lecture « L'ange bleu » de J. von Sternberg (au sujet de la chanteuse), Wiliam Walker, éphémère président du Nicaragua et auteur d'une théorie raciste dans son ouvrage « The war in Nicaragua », « Chocolat » de R. Zem pour les Noirs exhibés, « Bilal, itinéraire d'un clandestin » de F. Gatti, « Le Négus » de R. Kapuscinski, « Kadhafi » de V. Hugeux, « La bataille du rail » de René Clément, "Cartographie de l'oubli" de N. Labuzan, "Les Bienveillantes" de J.Littell, « Beaucoup trop pour un seul homme » de P. Germi, « Le grand embouteillage » de L. Comencini, etc.
Si vous prenez ce livre en mains, vous ne le lâcherez plus, tant l'histoire est passionnante et bien ficelée et vous adorerez vous souvenir de ce qui fait votre culture, c'est à dire ce qui vous reste maintenant que vous avez tout oublié...
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Dans une vie de lecteur, il y a les livres qui divertissent, ceux qui influencent. Il y a les livres qui émeuvent, font sourire ou même sangloter. Il y a les livres qui nous parlent de nous, ceux qui nous initient à d'autres cultures, d'autres sentiments, d'autres horizons. Ceux qui nous font voyager. Et puis, il y a des livres hors norme. Qui sont tout ça à la fois mais qui surtout, nous donnent l'impression, une fois terminés de comprendre un peu mieux le monde qui nous entoure. La lecture de Tous, sauf moi fut une énorme claque. Pour ce que le livre raconte de l'histoire récente de l'Italie, et pour la virtuosité avec laquelle Francesca Melandri déploie cette fresque puissante et entraine le lecteur à sa suite, les yeux écarquillés, le souffle court, le coeur parfois au bord des lèvres. Un voyage marquant et certainement inoubliable.

Lors d'une rencontre organisée quelques jours après la fin de ma lecture par les éditions Gallimard, Francesca Melandri a expliqué que ce roman, avec les deux précédents (Eva dort et Plus haut que la mer) constitue pour elle un ensemble qu'elle nomme "La trilogie des pères". Bien que les histoires soient totalement indépendantes, les trois volumes sont issus d'une même réflexion et d'un travail de dix ans destiné à explorer en profondeur L Histoire récente de l'Italie et notamment les liens entre la période fasciste et les politiques actuelles. Cette ultime pierre a l'édifice lui a valu cinq années d'écriture et de recherches, en Italie mais également en Ethiopie et en Libye. Ensuite, c'est le talent du romancier qui parvient à mêler micro et macro pour montrer comment la psychologie des individus et celle d'une nation sont liées. Notamment lorsqu'il s'agit de déni du passé. C'est donc à travers des personnages bien incarnés, une famille sur trois générations que l'auteure invite à plonger dans le dur. Et le résultat est époustouflant.

Tout commence en 2010 lorsque Ilaria trouve sur le palier de son appartement à Rome un jeune éthiopien qui lui explique être à la recherche de son grand-père, Attilio Profeti. Ce dernier, le père d'Ilaria est au crépuscule de sa vie, à 95 ans, avec une mémoire fantôme et une vie bien remplie. Commence alors pour Ilaria, une enquête sur les traces de ce père dont le passé tumultueux présente de nombreuses facettes, certaines connues comme sa double vie, d'autres beaucoup moins notamment pendant sa jeunesse sous Mussolini. Et voilà le lecteur entrainé à la suite d'Ilaria, placé dans la situation de l'enquêteur remontant de plus en plus loin dans le passé avec toujours en ligne de mire la situation des années 2010. A 20 ans, en 1936, Attilio Profeti fait partie des troupes de chemises noires envoyées en Ethiopie pour assoir la domination italienne. Et c'est tout un pan méconnu, douloureux et longtemps tu qui nous est raconté, mettant en lien les agissements monstrueux envers les populations locales pendant des décennies et l'attitude du pays (et de l'Europe entière) envers celles qui, de nos jours viennent chercher aide et refuge chez leurs anciens oppresseurs.

En France, le colonialisme ne nous est pas tout à fait inconnu. Ici, le racisme qui l'accompagne, est en plus théorisé et étayé de façon scientifique (les extraits de traités et de livres rédigés par les "scientifiques" chargés d'aller étudier les populations autochtones afin d'illustrer leurs théories sont autant à glacer les sangs qu'à mourir de rire si on n'en connaissait pas les terribles dégâts) et soutenu par l'idéologie fasciste. Or, je pense qu'il est difficile de se représenter concrètement ce qu'est le fascisme. C'est ce que parvient à faire, entre autres, ce roman. A montrer que ce n'est pas seulement une idéologie mais une façon d'être. Que l'on ne supprime pas en tournant simplement la page Mussolini.

Francesca Melandri regarde l'Italie dans les yeux et invite chacun (quel que soit son pays) à faire de même. En utilisant le roman, elle offre la possibilité d'une identification, d'une projection qui valent tous les grands discours. Impossible pour moi de voir l'Italie comme avant. Pourtant, si l'auteure choisit de regarder là où ça fait mal, son roman n'a rien d'un réquisitoire et tout d'une invitation à ne pas s'exonérer de ses responsabilités en balayant l'héritage d'un revers de main. Ce que le roman permet, c'est de raconter à taille humaine ce que des hommes font à d'autres. Sans aucun manichéisme, mais avec un regard lucide teinté d'une ironie salutaire lorsque le constat est à la limite du soutenable. C'est ce qui rend celui-ci si percutant, si profondément bouleversant.

Tous, sauf moi est un grand roman, pas seulement sur l'Italie tant il nous concerne tous. Je suis terriblement admirative du travail de Francesca Melandri et convaincue qu'il doit être lu par tous. Curieusement, c'est par son succès à l'étranger et notamment en Allemagne qu'il a finalement trouvé un extraordinaire écho en Italie. Travaillons donc à l'amplifier, cet écho.

NB : Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour la magnifique rencontre organisée avec l'auteure. Un moment très très privilégié !
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Tout commence lorsque Ilaria Profeti trouve devant sa porte un jeune homme noir qui lui affirme, dans un italien fluide, qu'il vient à la recherche de son grand-père, le propre père d'Ilaria. A quatre-vingt-quinze ans, Attilio Profeti n'a malheureusement plus toute sa tête et ne peut confirmer ce fait. Ilaria va replonger, avec l'aide d'un de ses frères, dans les archives, et découvrir tout un pan occulté de l'histoire de l'Italie et de la colonisation. le roman, très documenté, comporte deux pans : tout d'abord la période actuelle, et les innombrables difficultés rencontrées et affrontées par les « sortis », jeunes gens forcés à l'immigration comme Shimeta Ietmgeta Attilaprofeti, le jeune éthiopien. le deuxième pan concerne les découvertes faites par Ilaria sur le passé de son père, homme secret à bien des égards, qui était loin d'être le pire parmi les soldats fascistes, poussés par l'idéologie de Mussolini, décidés à s'approprier l'Ethiopie, et portés par l'idée monstrueuse que les habitants de ce pays étaient des êtres inférieurs, que l'on pouvait asservir et massacrer à volonté.

Je peux vous annoncer tout de suite que je n'ai pas été totalement convaincue par ce roman. Tout d'abord, je n'y ai pas retrouvé le style sobre et efficace de Eva dort ou Plus haut que la mer, deux romans que j'avais beaucoup aimés, et ai ressenti au contraire quelques longueurs, notamment dans les descriptions de massacres et sévices infligés en Éthiopie par les envahisseurs italiens. Je peux comprendre que l'autrice n'ait pas voulu édulcorer les faits, mais là, franchement, il m'a fallu sauter des lignes, sans malheureusement parvenir à éviter d'imprimer certaines images très perturbantes dans les méandres de mon cerveau.
Ce ne sont pas les personnages, nombreux, ni les retours en arrière, fréquents, non, ce n'est pas ce qui a entravé ma lecture, c'est vraiment une certaine tendance à l'accumulation et aux descriptions à rallonge qui m'a gênée. J'ai trouvé, pour tout dire, que ça manquait de subtilité, que l'autrice avait trop d'ambition pour ce roman, et que ça se sentait, avec une abondante documentation bien trop présente. J'ai, de ce fait, préféré la partie contemporaine du texte, et ses personnages aux multiples facettes.
Si vous avez vraiment envie de le lire, ne vous arrêtez pas à mon avis, vous pourrez apprécier ce roman bien écrit, puissant et lucide, tout en étant prévenus que certains passages s'avèreront particulièrement durs.
Lien : https://lettresexpres.wordpr..
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Plus haut que la mer

Lors d’une sortie, avant de se marier, qu’est-ce que Luisa avait demandé à son futur époux?

De regarder l’horizon
De se taire pour écouter le bruit du vent
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Thème : Plus haut que la mer de Francesca MelandriCréer un quiz sur ce livre

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