Ce livre raconte l'histoire d'une enfant algérienne née d'un mariage mixte, comme il y en a eu plus qu'on ne l'imagine, en particulier pendant la période coloniale. Grande valeur documentaire.
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«Salope ! Juive !» Sara baisse la tête. Tant et tant de fois elle a entendu ces mots qui font mal ! En français toujours, contrairement au mode courant des échanges familiaux où domine l'arabe. Depuis le temps, elle devrait être immunisée. Mais non, chaque fois, le sillon douloureux se creuse un peu plus.
Encore s'estime-t-elle heureuse lorsque les insultes ne sont pas ponctuées de coups. Dans ce cas, l'intensité de la colère joue, c'est sûr, mais plus encore la distance. A deux ou trois pas d'Aïcha, la volée s'abat sur elle. Plus loin, en général, elle y échappe : la pourchasser représenterait un effort trop important pour la grosse femme qui a du mal à se mouvoir et s'essouffle bruyamment. Certaines fois pourtant, dopée par sa fureur et bousculant table et chaises, elle fonce sur son souffre-douleur : «Salope, sorcière, porte-malheur, juive, pourquoi tu crèves pas ?»
Crever, oh oui crever ! Mourir là, sur place, tout de suite, ne plus endurer cette détresse ! «Toi la mort, prends-moi, emporte-moi comme tu as emporté ma mère !» Grandiloquence et vrai désespoir dans cette prière muette presque quotidienne.