Première vision de l'Erythrée pour Ettore Navarra : le port de Massaoua, son architecture stupéfiante qui lui rappelle les influences ottomanes de sa Venise natale. Vue de la mer Rouge, la ville se dresse sur la fournaise de l'horizon, étendue chatoyant d'arcades blanches et de poussière rouge qui percent la fumée et le sel. Le port lui-même est un banc de sable surpeuplé qui s'avance dans la mer Rouge, et dont les docks gémissent d'un incessant défilé de navires et de soldats. Du pont du Cleopatra, Ettore voit le Liguria amarré proue vers le large, à côté du Gange.
Quelque part là-dedans, derrière le bois, la résille, le bouton, la vitre qui maintient en place l'aiguille nerveuse, se trouve une femme de sang royal sortie de son enveloppe charnelle pour devenir à la fois vaste et invisible, puissante comme le vent. Perdue dans ses pensées, fascinée par ce sortilège, Hirut ne réagit qu'en sentant Aster lui secouer la jambe.
A cet instant, en cette période si triste et tragique où des agressions menacent de déchaîner sur nos vies la violence de la guerre, nous souhaitons en appeler à toutes les femmes de par le monde : c'est à vous qu'il incombe de prendre la parole pour exprimer votre solidarité et condamner de tels agissements.
La guerre tue nos maris, nos frères et nos enfants. Elle détruit nos foyers, disperse nos familles.
Nous savons toutes que la guerre détruit l'humanité et, par delà les différences de race ou de religion, les femmes du monde entier méprisent la guerre car elle n'engendre que destruction.
Nous sommes convaincues que les femmes de toutes les nations partagent le même désir de préserver l'amour et la paix dans le monde.
Une femme prend la parole : Ce soir, nous rendons grâce pour cette occasion d'être entendues par les femmes du monde entier.
C'est elle, chuchote Aster. Vite, donne-moi la cape.
Nous tenons à remercier la Ligue internationale des femmes. Notre fille bien-aimée, Tsehai, va se charger de traduire nos propos en anglais.
Elle a toujours su que la vérité n'est que sables mouvants : les choses ne sont ce qu'elles sont que parce qu'on y croit.
Ce sont les actualités du mois dernier. Elles ne révéleront rien d'imprévu : des soldats italiens font route vers l'Erythrée. Mussolini proclame son droit de coloniser l'Éthiopie. Les soldats de l'empereur ne sont que des paysans armés de pétoires. L'Italie est mieux équipée. L'Italie a des avions. L'Italie a l'accord tacite de la Société des Nations, sous la forme d'un silence passif. Tout cela, l'empereur le sait.
Par laquelle commence-t-on, Majesté? lui redemande l'aide de camp. L'un vient de la Luce. Il appelle par son nom le service de propagande italien. Je peux vous traduire les deux.