Mais la vie n'est pas foutue comme ça. Elle t'oblige sans cesse à te remettre en question, à te battre contre les autres, contre toi-même, contre tout ce qui voudrait t'enfouir dans la tombe. Elle te montre les dents, te griffe, te charcute le coeur jusqu'à ce que tu apprennes une bonne fois pour toutes à relever la tête. A tordre le cou à tes peurs. A ces milles choses dans lesquelles tu t'englues et qui t'empêchent d'avancer. De grandir.
Le mot est lâché.
Je ne veux pas grandir.
C'est une arnaque. Un jeu pipé dont personne ne ressort vivant.
– Poussez, madame ! Poussez plus fort ou il risque d’étouffer!
La voix de la sage-femme, nerveuse, insistante. Les cris suraigus de douleur de ma mère en train de me mettre au monde, pour le meilleur et pour le pire.
On dit souvent qu'un artiste se construit autour d'une blessure. D'un vide qu'il essaie de combler toute sa vie. Du bout de sa plume, de son pinceau, de tout son corps ou de sa voix, il raconte toujours une seule et même histoire: celle de l'enfant blessé, délaissé, écorché. C'est sa façon à lui de dresser des murailles.
Des remparts toujours plus hauts, toujours plus solides entre lui et les démons qui le rongent.
Toute l'énergie qu'il met à créer, à bâtir des œuvres comme autant de châteaux de cartes, vise à guérir cette blessure. A s'affranchir, pour quelques minutes ou quelques heures, du poids de ses chaînes. De ce manque, tout au fond de lui, qu'il traîne comme un boulet. Le manque de la mère, pour beaucoup. Moi, c'était celui du père.
L'artiste est comme ces acteurs aux mille visages. On voit tour à tour en lui un fou, un héros, un fanfaron, un pionnier. Alors qu'en vérité, ce n'est qu'un gosse. Un gosse sans âge, paumé dans son insatiable quête d'amour.
... Toute cette effervescence me ravit. Mais ne résout en rien l'essentiel du problème : je n'ai toujours pas d'éditeur.
... Trois monstrueux volumes, chargés du poids de dix longues années de passion et de labeur, depuis l'époque de mes premières ratures jetées sur un vieux calepin.
... Aujourd'hui plus que jamais, j'ai besoin de donner corps à ce rêve. De rendre ses ailes au Peter Pan qui se trémousse dans ma caboche.
"Mais la vie n'est pas foutue comme ça. Elle t'oblige sans cesse à te remettre en question, à te battre contre les autres, contre toi-même, contre tout ce qui voudrait t'enfouir dans la tombe."