Il parle d’un « animal redoutable, beaucoup plus haut qu'un loup : il est bas du devant, et ses pattes sont armées de griffes. Il a le poil rougeâtre ; la tête fort grosse, longue et finissant en museau de lévrier ; les oreilles petites, droites comme des cornes ; le poitrail large et un peu gris ; le dos rayé de noir et une gueule énorme ; armée de dents si tranchantes, qu'il a séparé plusieurs têtes du corps, comme pourrait le faire un rasoir. Il a le pas assez lent, et il court en bondissant. Il est d'une agilité et d'une vitesse extrêmes : dans un intervalle de temps fort court, on le voit à deux ou trois lieues de distance. Il se dresse sur ses pieds de derrière, et s'élance sur la proie qu'il attaque toujours au cou... »
Un mélange de perplexité et de colère envahit le roi.
Pendant plusieurs heures, des habitants du village et des villages voisins accourent et défilent dans l’ousta. Chacun soulève un coin du tissu pour voir une dernière fois la fille avant son enterrement. À la découverte de la masse informe et méconnaissable couverte de sang, chacun est saisi d’horreur et ne peut s’empêcher de crier ou de pleurer. La terreur est maintenant à son comble.
Les paysages sauvages et montagneux du Gévaudan et les intempéries représentent autant d’obstacles à l’exploration du territoire et à la traque de la bête. Les chasseurs craignent en particulier les bourbiers dissimulés sous l’herbe verte. Leurs pieds s’enfoncent dans une vase gluante et persistante qui les retient prisonniers. La seule façon pour eux de s’en sortir est de marcher à quatre pattes vers la terre ferme.
Elle n’a pas le temps de réagir. La créature lui saute à la gorge, y plante ses crocs puis la traîne dans les fourrés pour la dévorer sans être dérangée. Son corps décapité est retrouvé quelques heures plus tard. Sa tête a disparu. Comme il s’agit d’une mort violente, les agents de la baronnie d’Apcher dont dépend Saint-Alban procèdent à une expertise judiciaire comme l’impose la législation royale.
La peur ne la quitte jamais. Ce n’est pas celle d’être punie par son père. Non, c’est une angoisse plus profonde. Les loups peuvent s’aventurer hors des bois ; on lui a appris à les faire fuir en faisant du bruit. Et puis, des vagabonds rôdent parfois autour des villages. Elle en a déjà aperçu, au loin. Heureusement, aucun ne s’est encore approché d’elle.
Jeanne est en train de filer la laine quand elle entend un grondement rauque qui la fait sursauter. Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle n’a pas le temps de se retourner. Une terrible morsure dans la nuque lui arrache un cri.