C'est parfaitement invraisemblable; mais la réalité le fut à peine moins.
Les villes les plus puissantes ont été fondées sur le sang d'un mort ; les édifices les plus durables ont, quelque part dans le plein de leurs murs, des ossements.
Wioletta me reste pour l’heure aussi opaque qu’à sa mère, et je me rends compte qu’elle m’est opaque depuis près de deux ans sans que j’y ai pris garde. Car il fut bien un temps où je la perçais à jour comme les autres, où j’entrais de plain-pied dans ses secrètes rêveries. Elle a dû employer toutes ses forces (et elle en a : les femmes de cette époque apparaissent souvent comme des sacrifiées, de faibles jouets entre les mains des mâles. C’est vrai, mais c’est aussi que leur force n’a pas le loisir de se traduire en action et se déploie toute entière vers l’intérieur, faisant d’elles des championnes de la résistance passive, voire de l’autodestruction) à se replier sur elle-même pour préserver son secret. (p. 264)
Jusqu’ici, j’avais toujours eu l’impression d’être une de ces maisons de poupée sans façade où l’oeil peut plonger innocemment jusqu’au fond de chaque pièce. Maintenant il me semble que tout s’est cloisonné. Les nombreuses portes qu’on ouvrait et refermait auparavant sans y prendre garde, chacun a eu l’occasion de s’interroger sur leur épaisseur, de les repousser soigneusement avant d’engager quelque conciliabule, voire – eh oui, on aurait tort de croire ce passe-temps réservé aux domestiques – d’y coller une oreille pour surprendre ce que murmurent deux tiers qui se croient à l’abri. Cela explique que, même moi, qui d’habitude sais tout, j’ai quelquefois suivi de fausses pistes ou omis de voir ce qui se passait sous mes yeux.
Et moi aussi, j’ai ressenti dans mes fibres cette atmosphère de menace, de mystère et aussi d’espérance. Oui, d’espérance : je suis persuadé qu’en chaque homme, si attaché qu’il soit à l’état présent des choses, sommeille un goût caché pour la secousse qui change le monde et infléchit les vies. Cette secousse encore indistincte, j’affirme que tous, ici, la désiraient sans forcément se l’avouer, comme le corps finit par désirer le coup qu’il sait inévitable, ou comme la pucelle finit par désirer la blessure qui fera d’elle une épouse ou une déchue, mais du moins autre chose. (p. 167)
le pouvoir corrompt les aspirations les plus pures, les plus naturelles de l'homme, qui sont de vivre en paix, d'être nourri par son travail, de parler et transmettre la langue qui est la sienne.
les gens heureux sont des indifférents et des placides
Être inférieure, au fond, n'est pas sans avantages. On attend si peu de vous !
Oui, elle aura eu ce qu’elle voulait : Jozef. Il va de soir qu’elle perdra vite ses illusions sur la noblesse d’âme de son mari et sur son attachement pour elle : il n’est ni bon comme elle l’avait pensé, ni loyal, ni probe. Avec les mois, les vertus dont elle le parait tombent comme autant d’écailles, elle ne le voit plus tel qu’il est : beau, méchant, volontaire. Et son amour se teinte d’amertume et de honte, même s’il reste présent.
Elle était entre ses mains comme une belle harpe que le moindre mot de lui faisait vibrer et gémir.