Hélas, s'il y avait bien une chose qu'elle avait apprise depuis le temps qu'elle était dans la mécanique, c'est que certaines taches ne s'en allaient jamais.
_ Je suis désolée, dit Cinder. Moi aussi, je l'aime.
Les mains d'Adri se crispèrent sur le cadre.
_ Ne m'insulte pas, fit-elle en serrant l'écran contre elle. Une chose comme toi sait-elle seulement ce que c'est qu'aimer? Y a-t-il le moindre sentiment de sincérité chez toi ou est-ce simplement... de la programmation?
Bon, dit Kai, cela ne devrait pas présenter de difficultés dans une ville de deux millions et demi d'habitants. Laissez-moi juste récupérer mon détecteur de Lunaires, et je m'en occupe tout de suite.
- Approprié est un mot tellement subjectif. Cette solution est efficace, indéniablement.
Pourtant, le souvenir de ses doigts sur sa peau refusait de s'estomper.
Elle s'étrangla en tentant de hurler. C'était indolore. Indolore. Il y avait pourtant quelqu'un dans sa tête. En elle. Une intrusion. Une effraction.
- Très bien. Dans ce cas, je vous laisse. J'espère voir votre rapport atterrir su mon bureau un jour prochain.
- Cela risque d'être difficile, Votre Altesse, dans la mesure où vous n'avez pas de bureau.
Kai haussa les épaules et se tourne vers Cinder. Son regard s'adoucit quelque peu. Il inclina légèrement la tête.
- J'espère que nous nous reverrons bientôt.
- Vraiment ? Eh bien, je vais continuer à vous poursuivre, alors.
Elle regretta aussitôt sa plaisanterie. Kai éclata dun rire qui lui fit chaud au coeur.
La vis de fixation qui traversait la cheville de Cinder avait rouillé, et son empreinte cruciforme était presque effacée. Les doigts douloureux à force de serrer le tournevis, Cinder dévissait avec peine. Quand elle eut suffisamment sorti la vis pour l’extraire avec sa main en acier, le tournevis tourna à vide.
Jetant l’outil sur son établi, Cinder empoigna son pied par le talon et le déboîta d’un coup. Une étincelle lui roussit les doigts. Elle retira vivement sa main ; le pied pendouilla au bout de son écheveau de câbles rouges et jaunes.
Elle se laissa aller en arrière sur son siège en grognant de soulagement. C’était enfin la libération. Quatre ans qu’elle détestait ce pied trop petit ! Elle se promit de ne jamais le remettre. Elle espérait juste qu’Iko ne tarderait pas à revenir avec le nouveau.
Même dans le futur, les histoires commencent par « Il était une fois… »
« Cinder ouvrit les yeux. L’holocran n’affichait plus ses caractéristiques vitales. Son numéro ID était toujours là, mais dessous s’étalait un diagramme holographique.
Celui d’une fille.
On aurait dit qu’on l’avait coupée en deux de la tête aux pieds, dans le sens de la hauteur, comme pour illustrer un manuel médical. L’image montrait son coeur, son cerveau, ses intestins, ses muscles, le réseau bleu de ses veines, ainsi que son tableau de commande. Sa main et sa jambe synthétiques, les câbles qui partaient de la base de son cerveau et descendaient le long de sa colonne vertébrale jusqu’à ses prothèses. Le tissu cicatriciel là où la chair était jointe au métal. Un petit carré sombre dans son poignet : sa puce ID.
Elle connaissait tout ça. Elle s’attendait à voir ses choses.
En revanche, elle ignorait l’existence des vertèbres en métal dans sa colonne, de ses quatre côtes en métal, du tissu synthétique autour de son coeur et des plaques qui renforçaient les os de sa jambe droite.
Au bas de l’holocran, on lisait :
RÉSULTAT : 36,28%
Elle était inhumaine à 36,28%. »