Il y a mon terrain et moi ; puis il y a l'étranger.
Celui qui n'accepte pas ce monde n'y bâtit pas de maison. S'il a froid, c'est sans s
avoir froid. Il a chaud sans chaleur. S'il abat de bouleaux, c'est comme s'il n'abattait rien ; mais les bouleaux sont là, par terre, et il reçoit l'argent convenu, ou bien il ne reçoit que des coups. Il reçoit les coups comme un don sans signification, et il repart sans s'étonner.
Quant aux livres, il me harassent par-dessus tout. Je ne laisse pas un mot dans son sens ni même dans sa forme.
Je l’attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne définitivement du troupeau de l’auteur.
Dans un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il faut que je les sabote toutes. Cela m’est nécessaire.
Parfois, certains mots restent comme des tours. Je dois m’y prendre à plusieurs reprises et, déjà bien avant dans mes dévastations, tout à coup au détour d’une idée, je revois cette tour. Je ne l’avais donc pas assez abattue, je dois revenir en arrière et lui trouver son poison, et je passe ainsi un temps interminable.
Et le livre lu en entier, je me lamente, car je n’ai rien compris… naturellement. N’ai pu me grossir de rien. Je reste maigre et sec.
Quand les mah,
Quand les mah
Les marécages,
Les malédictions,
Quand les mahahahahas,
Les mahahaborras,
Les mahahamaladihahas,
Les matratrimatratrihahas,
Les hondregordegarderies,
Les honcucarachoncus,
Les hordanoplopais de puru para puru,
Les immoncephales glossés,
Les poids, les pestes, les putréfactions,
Les nécroses, les carnages, les engloutissements,
Les visqueux, les éteints, les infects,
Quand, le miel devenu pierreux,
Les banquises perdant du sang,
Les Juifs affolés rachetant le Christ précipitamment,
L'Acropole, les casernes changées en choux,
Les regards en chauve-souris, ou bien en barbelés, en boite à clous,
De nouvelles mains en raz de marée,
D'autres vertèbres faites de moulins à vent,
Le jus de la joie se changeant en brûlure,
Les caresses en ravages lancinants, les organes du corps mieux unis en duels au sabre,
Le sable à la caresse rousse se retournant en plomb sur tous les amateurs de plage,
Les langues tièdes, promeneuses passionnées, se changeant soit en couteaux, soit en durs cailloux,
Le bruit exquis des rivières qui coulent se changeant et forêts de perroquets et de marteaux-pilons
Quand l'Epouvantable-Implacable" se débondant enfin,
Assoira ses mille fesses infectes sur ce Monde fermé, centré, et comme pendu au clou,
Tournant, tournant sur lui-même sans jamais arriver.à s’échapper,
Quand, dernier rameau de l'Être, la souffrance, pointe atroce, survivra seule, croissant en délicatesse,
De plus en plus aiguë et intolérable... et le Néant têtu tout autour quirecule comme la panique...
Oh! Malheur! Malheur!
Oh ! Dernier souvenir, petite vie de chaque homme, petite vie de chaque animal, petites vies punctiformes !
Plus jamais.
Oh! Vide!
Oh! Espace! Espace non stratifié,... Oh! Espace, Espace!
EMPORTEZ-MOI
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle.
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Mes bras égarés plongent de tous côtés dans des ventres, dans des poitrines ; dans des organes qu'on dit secrets (secrets pour quelques-uns !).
Mes bras rapportent toujours, mes bons bras ivres. Je ne sais pas toujours quoi, un morceau de foie, des pièces de poumons, je confonds tout, pourvu que ce soit chaud, humide et plein de sang.
Dans le fond ce que j'aimerais, c'est de trouver de la rosée, très douce, bien apaisante.
Un bras blanc, frais, soigneusement recouvert d'une peau satinée, ce n'est pas si mal. Mais mes ongles, mes dents, mon insatiable curiosité, le peu que je puis m'accoutumer du superficiel... Enfin, c'est comme ça. Tel partit pur un baiser qui rapporta une tête.
Priez pour lui, il enrage pour vous.
Tu t'en vas sans moi, ma vie,
Tu roules.
Et moi j'attends encore de faire un pas.
Sous le plafond bas de ma petite chambre, est ma nuit, gouffre profond
LE SPORTIF AU LIT
…
Le matin quand je me réveille, je trouve juché et misérablement aplati au haut de mon armoire à glace, un homme-serpent.
L'amas de membres contorsionnés, à la façon décourageante des replis de l'intestin, appartient-il tout entier à cette petite tête épuisée, accablée? Il faut le croire. Une jambe démesurée pend, traînant contre la glace une misère sans nom. Qu'est-ce qui la ramènera jamais en haut cette jambe en caoutchouc? Si imprévu que soit le nerf dans ces hommes qui semblent tout mous et désossés, cette jambe a fait sa dernière enjambée. Quel aplatissement est celui de l'homme-serpent! Il reste sans bouger. Pourquoi m'en occuper? C'est pas lui qui me semble bien désigné pour me tenir compagnie dans ma solitude et pour me donner enfin la réplique.
Attiré vers le bas par le poids d'invisibles haltères, écrasé par la compression d'on ne sait quel rouleau, il gît, haut placé, mais il gît.
Ainsi chaque matin. C'est lui qui « passe ma nuit ».
p.25
LA NUIT REMUE
5
Nous sommes toujours trois dans cette galère.
Deux pour tenir la conversation et moi pour ramer.
Qu'il est dur le pain quotidien, dur à gagner et dur à se faire payer !
Ces deux bavards sont toute ma distraction, mais c'est tout de même dur de les voir manger mon pain.
Ils parlent tout le temps. S'ils ne parlaient pas tout le temps, certes l'immensité de l'océan et le bruit des tempêtes, disent-ils, viendraient à bout de mon courage et de mes forces.
Faire avancer à soi tout seul un bateau, avec une paire de rames, ce n'est pas commode. L'eau a beau n'offrir que peu de résistance ... Elle en offre, allez. Elle en offre, il y a des jours surtout ...
Ah! comme j'abandonnerais volontiers mes rames.
Mais ils y ont l'œil, n'ayant que ça à faire, et à bavarder et à manger mon pain, ma petite ration dix fois rognée déjà.
p.12