Citations sur Passages (22)
J'écris pour me parcourir.
Aventure peu recherchée, quoique pour tous. Tous peuvent lire un tableau, ont matière à y trouver (et à des mois de distance matières nouvelles), tous, les respectueux, les généreux, les insolents, les fidèles à leur tête, les perdus dans leur sang, les labos à pipette, ceux pour qui un trait est comme un saumon à tirer de l’eau, et tout chien rencontré, chien à mettre sur la table d’opération en vue d’étudier ses réflexes, ceux qui préfèrent jouer avec le chien, le connaitre en s’y reconnaissant, ceux qui dans autrui ne font jamais ripaille que d’eux-mêmes, enfin ceux qui voient surtout la Grande Marée, porteuse à la fois de la peinture, du peintre, du pays, du climat, de l'époque entière et de ses facteurs, des événements encore sourds et d'autres qui déjà se mettent à sonner furieusement de la cloche.
j'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie.
(extrait de "Observations") - p.93
Comme un enfant rêveur, se fourrant les doigts dans le nez, pensif d'un grand problème, mûr de cinquante autres, jette des pierres dans l'eau pour les grands cercles ensuite qui vont s'étendre, s'étendre...
Jouant, et mes doigts jouant avec mon ignorance, ma grande, bonne, vraie compagne de toute ma vie, mon ignorance, mon appui, mon intérieur, ou formant sans insister une lente chaussée d'îles...
fatigué d'images, je joue pour faire de la fumée.
(extrait de "Premières impressions") - p.83
Le déplacement des activités créatrices est un des plus étranges voyages en soi qu’on puisse faire.
Étrange décongestion, mise en sommeil d’une partie de la tête, la parlante, l’écrivante (partie, non, système de connexion plutôt). On change de gare de triage quand on se met à peindre.
La fabrique à mots (mots-pensées, mots-images, mots-émotions, mots-motricité) disparaît, se noie vertigineusement et si simplement. Elle n’y est plus. Le bourgeonnement s’arrête. Nuit. Mort locale. Plus d’envie? d’appétit parleur. La partie de la tête qui s’y trouvait la plus intéressée, se refroidit. C’est une expérience surprenante.
Et quel repos!
Les amis fidèles sont souvent un encouragement à rester aussi borné le lendemain que vous l'étiez la veille.
L'enfant plus homme que l'homme
Louis XIII, à huit ans, fait un dessin semblale à celui que fait le fils d'un cannibale néo-calédonien. A huit ans, il a l'âge de l'humanité, il a au moins deux cent cinquante mille ans. Quelques années après il les a perdus, il n'a plus que trente et un ans, il est devenu un individu, il n'est plus qu'un roi de France, impasse dont il ne sortit jamais. Qu'est-ce qui est pire que d'être achevé?
Adulte - achevé - mort: nuances d'un même état. On a jeté ses atouts.
"Tout le progrès de l'homme est peut-être dû au fait qu'il reste longtemps dans l'enfance." (John Fiske.)
Et cependant: "Il ne tient pas ce qu'il promet." (Goetehe.)
L’œuvre est un ensemble de trajets, un parcours en lignes brisées. Chaque trajet est sensible, sauts, chutes, montées, descentes jamais vagues, toujours mesurables….. Appréciation des trajets. Descentes et montées, ascensions infinies dans l’abstrait (Le seul voyage intelligent l’abstrait).
La vie intérieure passe, l’étonnante vie intérieure qui procède et par coulées et par déclics.
Ici sont exposés ses tâtonnements, ses hésitations, ses brusqueries, ses accentuations, ses brouillons, ses reprises, ses retours en arrière que les autres arts tiennent soigneusement cachés
On ne peut guère loger à plus de vingt dans un siècle. De là les grandes disputes pour la célébrité.