Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié :
« Ah ! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision !
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation !
Puisque tu m'as choisie entre toutes les
femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,
Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés ! »
Ainsi commence
Les fleurs du mal du « premier voyant », comme le couronna plus tard
Arthur Rimbaud. Et, pour le coup, il fut presque oraculaire,
Baudelaire, en ce qui concerne
Rimbaud. Car c'est à peu près ainsi que
Pierre Michon décrit
Vitalie Rimbaud, la mère du poète. Femme dévote, abandonnée par son mari, « souffrante et mauvaise ».
C'est donc en attaquant par ce biais, les relations aux parents, une mère mauvaise et un père absent, que
Pierre Michon évoque le fils
Rimbaud. Et c'est la seule originalité, dans le fond, de cette sorte de petite biographie, le seul thème sur lequel
Pierre Michon se prononce : « de cela je suis sûr :
Rimbaud refusait et exécrait tout maître, et non pas tant parce que lui-même voulait ou croyait l'être, mais parce que son maître à lui, c'est-à-dire celui de la Carabosse [sa mère], le Capitaine [son père], lointain comme le tsar et peu concevable comme Dieu, comme eux plus souverain d'être bouclés derrière des kremlins, derrière des nuages, son maître depuis toujours était une figure fantôme… »
Pour le reste, on n'apprend rien de nouveau, bien sûr, ce ne sont que des morceaux d'imagination à partir de « la Vulgate »et de la mythologie rimbaldienne : le professeur Izambard, les lettres du voyant, les quelques photos,
Verlaine, etc. Quelques réflexions sur cette figure, cette image, de
Rimbaud, sur les on-dit, sur le Génie, puisque c'est bien ce mot qui vient encore à l'esprit quand on entend le nom de
Rimbaud, sur les poètes oubliés, sur la reconnaissance de ses pairs, sur la postérité. Et tout cela écrit avec justesse, d'une prose toute personnelle, un véritable régal à lire.