Les amants du Titanic

Quand elle fut dans sa cabine, en sueur et à bout de souffle, elle soupira et s’adossa de nouveau à la porte. Elle apprécia de retrouver le calme qui y régnait. En grimaçant, elle songea que de prostituée de haut vol, elle était devenue comédienne, menteuse, voleuse, simulatrice et Dieu seul savait dans quel rôle sinistre sa vengeance allait encore l’entraîner. Maître chanteur ? Ou pire… Assassin ?
Tout en culpabilisant, elle frissonna de peur rétrospective.

Vêtue d’une veste de fourrure sur une toilette portant la griffe d’un grand couturier parisien, parée de quelques bijoux simples, portant un petit chapeau sur le côté et un sac à main, elle avait tout de la riche bourgeoise. Elle avait coupé ses longs cheveux naturellement bouclés et sa coiffure n’en était que plus séduisante, puisque à la mode des élégantes du siècle.

Innocente et crédule, elle avait fini par céder et se donner à lui. Il avait été un bon professeur, lui montrant que tout était bon en matière de sexe et qu’il n’y avait rien d’interdit. Amoureuse, elle lui avait tout donné, son cœur, son âme et sa virginité, sans jamais rechigner ni conserver la moindre pudeur.
Après six mois d’une liaison torride passée la plupart du temps au fond d’un lit, elle avait sottement émis l’idée du mariage ou au moins de fiançailles officielles. À peine avait-elle fait sa suggestion que son amant avait disparu aussi vite qu’il était entré dans sa vie.

Elle était pulpeuse, complètement nue, et s’allongea sur le dos, dans une position indécente. Christopher pensa qu’elle était très professionnelle, certainement dangereuse de surcroît, car sa réactivité face à son intrusion le prouvait de la meilleure manière. Elle n’avait pas perdu pied, hormis un regard fugitif, et rejouait déjà son rôle.

Belle, intelligente et perspicace ? Valentine fut propulsée sur un petit nuage. Elle inspira profondément et écouta attentivement la suite.
– Le 20 mars, donc, j’ai été missionné d’urgence pour un vol commis dans la nuit du 8 au 9 mars. L’exposition et la conférence concernaient la découverte de Machu Picchu, un ancien temple ou je ne sais quoi. Bref, quelque chose en rapport avec les Incas, une ancienne civilisation qui…
Elle lui coupa la parole.
– Je suis une prostituée, Chris, c’est vrai, mais j’ai reçu une bonne éducation. Les civilisations précolombiennes ne me sont pas inconnues.

Océan Atlantique, à bord du Carpathia, 15 avril 1912

8 h 15

Les deux canots étaient à flanc du paquebot maintenant, et les premiers naufragés débarquaient, apparaissant les uns après les autres, à un rythme lent. Aussitôt, les marins les prenaient en charge, comme ils l’avaient fait pour ...

Le steward poussa une desserte sur roulettes devant lui et dressa rapidement son couvert avec une maestria qui forçait l’admiration. En quelques minutes, une table richement décorée lui tendait les bras, tandis qu’il alignait les plats sous cloche.
– Selon votre demande, madame.
Il découvrit le premier
– Consommé d’asperges.
Puis le second.
– Cailles rôties au jus de cèpes avec petits légumes de saison.
Il reposa les cloches pour maintenir les plats au chaud, puis sortit la bouteille d’un seau à glace qu’il ouvrit rapidement.
– Je vous propose un graves millésimé 1909, il est jeune, très capiteux et, comme vous pouvez le voir, il porte le nom du Titanic.

Valentine en profita pour rompre le charme et fuir ce délicieux moment qui lui avait fait battre le cœur si fort. Elle devait partir à son tour et pourtant, cela lui semblait impossible, comme si ses pieds avaient pris racine. Elle finit par se remettre en marche, après un gros effort de volonté, repensant à ses yeux verts magnifiques, à sa bouche sensuelle à croquer, à ses mots qui dansaient encore une valse lente, si prometteuse, dans son esprit.

D’un pas déterminé, elle regagna sa suite et ne fit aucunement attention aux hommes qui lui décochaient des sourires charmeurs ou la saluaient en soulevant leur chapeau. Elle n’était pas à bord pour la bagatelle. Elle allait s’offrir la tête de sir James St John Brooke sur un plateau en or massif et, si possible, y déposer en même temps celle de sa fiancée.

– Voyons… La White Star Line, c’est celui-ci. Par contre, je ne sais pas s’il y aura encore de la place en troisième classe. Je vous dis ça tout de suite ! Elle acquiesça et rosit légèrement.
– Ça tombe bien, monsieur, car je souhaiterais réserver une suite en première classe.