Les belles vies

En réalité, il est inquiet pour eux. Inséparables même dans la merde : si l'un tombe, l'autre lui tend la main ; alors, si les deux s'écoulent... Stratégie "à la vasco" : ON trouvera bien quelque chose. C'est la même rengaine depuis la petite section.

C'est Chloé qui leur raconte. Tonton est né dans cette maison, il a grandi aux champs avec son père. Pendant la guerre et l'Occupation, il a participé à quelques opérations clandestines (...) Et donc, à la fin de la guerre, il est parti aux Etats-Unis. Il y est resté dix ans. C'est à son retour, à presque quarante ans, qu'il a rencontré Tata, enfant de l'assistance au parcours violenté, analphabète. Elle avait 18 ans, il est tombé amoureux, il lui a appris à lire et à écrire, il l'a épousée. Et très vite, Tata a voulu s'occuper d'enfants, de jeunes. La vocation nécessaire et vitale. Ils n'ont jamais eu d'enfants. Si, en fait. Cinquante-trois.

En les voyant s'éloigner tous les quatre, Tonton glisse sa main dans celle de son épouse . Dylan encercle les deux banlieusards de ses bras et ils avancent en chœur. Impossible de ne pas voir les doigts de Djib effleurer ceux de Chloé, impossible aussi d'entendre ce qu'ils disent, mais c'est un grand et beau rire qui s'élève de leur groupe.

- Demain sera ce qu'on en fera.

En croissant son regard dans la glace, il voudrait mettre une droite a ce petit mec en débardeur a la tronche arrogante.

José jette un coup d'œil aux deux potes, on dirait des petits garçons pétrifiés, à mille lieues de l'image d'ados rebelles et hâbleurs qu'ils véhiculent à longueur de temps. Il sourit, malgré lui.

En eux résonnent de plus en plus fort les échos de ces moments qui forgent ; et ils savent que demain, pour la première fois, ils oseront devenir.

Il y a déjà beaucoup de travail sur la grange. Et puis tu vas me tutoyer, d'accord ? Je sais que tu le fais par respect et parce qu'on te l'a appris, mais je préférerais. Le respect se place à un autre niveau qu'un "tu" ou un "vous", chez moi.

Ce n'est pas une leçon de morale, ce n'est pas une leçon de vie. Ce que je peux humblement vous conseiller, quand le torrent des émotions est trop difficile à endiguer, c'est de peser ce que vous avez comme bonheur et comme malheur, et d'essayer de les faire cohabiter. Il faut préserver des petits moments de joie dans le tragique de la vie, ils sont à vous.

Armando, c'est l'ami d'enfance qu'on a au téléphone de temps en temps, qu'on ne voit plus mais qu'on garde dans son cœur. C'est tout un pans de sa vie, de son histoire.