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Citations sur Une matinée d'amour pur (37)

Elle s'est déshabillée dans le noir, puis elle a sauté sur moi, comme prise de panique, mais ce n'était pas de la panique, c'était une joie atrocement violente et sincère. Je connais pas mal de filles, mais elles m'embêtent souvent, parce qu'elles répriment souvent leur plaisir à cause d'une curieuse vanité, ou parce qu'elles calculent tranquillement pour elles-mêmes leur plaisir, elles expriment leur plaisir parcimonieusement comme des chats, elles traduisent le langage du sexe dans le langage sans intérêt de l'esprit, elles lancent des formules romantiques qui sont complètement à côté de la plaque.

Mais cette quadragénaire était la plus féminine de toutes mes rencontres. Elle s'était fondue dans l'obscurité, comme la Voie lactée dans le ciel d'une nuit d'été, en dégageant une vague lumière laiteuse. Au milieu des sanglots, elle a pris mon visage plusieurs fois, comme dans un délire. Quand elle s'est assurée que j'étais bien là, elle m'a chuchoté d'une voix à peine audible : "Ryôsuke..."

À cause de la dope, je m'en moquais et je la caressais encore plus intensément. Elle a peut-être répété ce prénom masculin quatre ou cinq fois. Puis, comme pour vérifier ce nom, elle vérifiait ma peau.

Extrait de la nouvelle "Une matinée d'amour pur".
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Est-ce grotesque ? Est-il impossible de faire comprendre à autrui une illusion aussi subjective de la beauté ? En fait, dès l'instant où ils cessèrent d'avoir vingt-trois et dix-huit ans, c'est à dire dès l'année suivante, c'était devenu l'objectif essentiel de leur vie ou plutôt face à la vie. Ils mirent de l'acharnement à s'y tenir. Ils revenaient à leur première vision, autant de fois qu'il le fallait, et l'extraordinaire jeunesse de leur apparence les y aidait.

Pourtant, cette jeunesse avait des limites. Peu à peu, ils commençaient à éviter la lumière crue du jour, tout autant que la lumière artificielle de la nuit, pour préférer l'éclairage subtil du crépuscule ou de l'aube. Dans ces lueurs floues mais naturelles, l'homme de cinquante ans et la femme de quarante-cinq ans bénéficiaient de la délicatesse innée qui ne gardait de leur visage qu'un contour. Ils avaient compris que ce n'était que dans ce halo que la nature adoucissait la cruauté de ses lois, en maintenant dans sa fraîcheur le reflet de leur lointaine jeunesse, comme une aurore sur un flanc de montagne.


Extrait de la nouvelle "Une matinée d'amour pur".
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Ce qui me fit rêver, ce n'était pas l'affaire elle-même qui, somme toute, avait tout d'une opérette, mais les énigmatiques sinuosités de la vie qu'elle devait mener plus tard. Lorsque la platitude de ma propre existence me pesait, je rêvais toujours à la désinvolture de ma tante, à ses jours aussi solitaires et périlleux qu'un numéro de funambule.

Quel sort fut réservé à la "scandaleuse" ? Elle fut bientôt oubliée. Elle eut alors le sentiment d'avoir été rayée de son propre passé. Car ce qu'elle avait été s'était dissous dans la mémoire des autres, quoique ce qu'elle était à présent eût toujours été à la merci de celle des journaux : quand elle était en présence des autres, ils pensaient à ce qu'elle avait été plutôt qu'à ce qu'elle était devenue. De plus, maintenant, elle-même se tournait avec une telle intensité vers ce qu'elle avait été, alors que ce qu'elle avait été n'était plus tourné vers ce qu'elle était devenue.

Les multiples lèvres qui ont murmuré sur son compte, les oreilles innombrables qui ont été tendues vers elle, les millions d'yeux qui ont dévoré ses photos, il est impossible qu'ils n'aient pas fini par influer sur la vie de Haruko. Elle n'avait plus d'autre choix que de vivre comme ils l'espéraient ou comme ils le redoutaient. Elle ne pouvait plus vivre à sa guise.

Pourtant, n'y avait-il pas une autre manière de vivre pour elle ? Qui ne fût ni attendue ni inattendue. Une façon de vivre violente, propre à elle seule. C'est de ça que je rêvais et à quoi j'aspirais pour elle.

(Extrait de la nouvelle "Haruko")
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En remuant ces souvenirs, il songeait au pouvoir surnaturel de celui qu'il était maintenant bien obligé d'appeler "maître" et qui avait attiré une demoiselle de bonne famille de Tôkyô jusqu'à ce trou de Moukden : s'il comparait avec sa propre expérience, lui qui n'avait pas connu d'autre femme que son épouse à présent décédée, il ne pouvait s'empêcher d'y voir l'influence d'un astre néfaste. Au fond de lui, il ressentait pour cet homme le plus parfait mépris : à la différence de son prédécesseur, le nouveau maître faisait preuve d'une franche gentillesse envers les membres de son personnel au point même de leur rapporter des souvenirs de ses voyages, et l'intendant devait prendre sur lui pour ne pas se laisser attendrir. Dans l'esprit de Yokoi, le maître aurait manifesté un plus grand respect à l'égard du personnel en s'interdisant au contraire toute familiarité : la gentillesse venant d'un maître lui apparaissait comme un affront.
- Moi, ce que je pense, c'est que le nouveau Maître a une certaine prestance.
Yokoi s'indigna.
- Je n'aime pas ses dents en or.
- Mais il n'en a que trois.
Elle les avait bien comptées, il faut dire que Katsu, qui avait assisté à l'évacuation des moindres objets pendant la guerre, était le genre de femme capable de dire de mémoire le nombre de mouchoirs dans tel ou tel tiroir.

... Le jardin arrière ombragé commençait à s'éclaircir, comme s'il reprenait forme peu à peu. La lumière précise de l'automne créait, avec la rangée de cyprès, des ombres striées sur le sol du jardin. Les deux vieux craintifs, à cette vue, se souvenaient malgré eux de la tenture de deuil qui avait été tendue aux funérailles de leur maître.

(Extrait de la nouvelle "La lionne")
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Je m'apprêtais à affronter la mer avec cette joie exubérante qui, dans nos rêves, nous permet de pratiquer avec maestria l'équitation ou le violon, même si nous n'avons pas le moindre talent : toujours est-il que j'étais impatient de partir, en imaginant, par-delà la peur que m'inspirait l'apprentissage de la nage, l'excitation que j'éprouverais à l'instant où je réussirais à nager. Ce n'était pas la première fois que je voyais la mer, mais je crus y déceler, contrairement à la montagne, l'origine de quelque chose qui m'avait longtemps attiré sans que je pusse y atteindre. J'étais d'autant plus fasciné et séduit que j'étais terrifié et exaspéré. Car me manquait le courage de m'abandonner tout à fait à cette effervescence qui s'offrait à moi et me submergeait. J'y aurais vu une sorte de profanation de cet azur des possibles. Fuyant de toute mes forces les leçons de natation et passant des journées entières à regarder la mer, je savourais un bonheur suprême. Non seulement le fracas de la houle, qui célébrait une messe perpétuelle, résonnait dans mes tympans, nuit après nuit, dans la villa éloignée de la plage, au pied de la colline, mais, dans mes rêves, cette mer qui avait envahi les terres à notre insu, sans le moindre bruit, avançait jusqu'à la véranda, et l'on voyait, dans le jardin inondé, passer un banc de petites dorades rouges par-dessus les fleurs de pourpiers. De la maison, on ne distinguait pas la plage, mais plus loin, la pleine mer, le ciel et le promontoire, et, par-dessus l'entrée de la baie, quelques lambeaux de nuées lacérées qui brillaient en silence et semblaient faire une halte en pleine errance. Même le vert banal du promontoire estompait ses nuances subtiles d'une heure à l'autre. Celui du jour tirait plutôt sur le calme indigo, mais lorsque le soleil était sur le point de sombrer et que la baie entière baignait dans une luminosité triste et nue, il gagnait en vive fraîcheur...
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Alors, soudain, je ne tins plus en place, obsédé par ce qui se passait dans la salle de bains. J'imaginai jusqu'à la consistance des vitres sur laquelle la vapeur déposait une buée ruisselante. Le caillebotis était encore sec. La plante des pieds de Haruko allait sentir l'automne qui s 'était installé, par le tendre contact des lattes en bois de hinoki. A la faible lueur de la lampe de la salle de bains, son corps était couvert d'ombres, comme s'il avait été empreint de tristesse et de songerie. J'entendis résonner le couvercle de la baignoire qu'elle souleva et l'eau chaude qu'elle puisait. Comme elle s'agenouillait pour s'asperger les épaules de cette eau brûlante, un éclat sombre semblait ne cesser de ruisseler entre ses épaules et entre ses seins jusqu'à la partie la plus ombrageuse...
Ignorant mon trouble, Haruko exhalait, à sa sortie du bain, un parfum aussi entêtant qu'un arbre en pleine floraison, moite sous le soleil brûlant de l'après-midi. Elle s'assit devant moi sur une chaise, alluma une cigarette avec la partie brasillante de l'encens contre les moustiques. Un petit reflet rougeoyant trembla dans ses yeux, soulignant la beauté de ses longs cils. Je l'observai sans cligner des yeux. La profonde obscurité où nous étions plongés fit peu à peu renaître cette douce sensation du bonheur dont j'avais été la proie peu de temps auparavant....
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- Chikachan...

La douceur excessive de cet appel fit presque frissonner Chikao. On n'imaginait une telle douceur qu'adressée à un amant.

- Quoi ?

- Si maman meurt, tu mourras toi aussi ?

- Je ne veux pas mourir.

Il commença à pleurnicher. En quelques minutes, il s'était métamorphosé. Il recula sur le lit.

- Moi, je ne veux pas mourir.

- Mais tu disais à l'instant que tu étais heureux de mourir.

- Non, je ne veux pas mourir. Maman et moi, on veut vivre.

- Si seulement ç'avait été possible, il n'y aurait jamais eu de problème.

Les dents de Shigeko grinçaient au fond de sa bouche.

- Puisque ce n'est pas possible, maman a dû beaucoup souffrir. Je ne pense qu'à te rendre heureux. Meurs. Je mourrai après toi.

Chikao entrouvrit les lèvres, fronça les sourcils, souleva le col de son pyjama jusqu'à son doux menton d'enfant : ne pouvant plus bouger, il tremblait.

- Hein, tu vas me faire le plaisir de mourir, n'est-ce pas ? Maman mourra tout de suite après. Simplement, tant qu'elle ne verra pas papa se tordre de douleur devant tes yeux éteints, maman ne pourra absolument pas mourir. Après cela, je te suivrai. Hein, ne t'inquiète pas. Maman n'a jamais manqué à sa promesse...

Extrait de la nouvelle "La lionne".
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Courant à toutes jambes sur le sentier, j'arrivai devant la maison délabrée. La végétation visible se limitait à un vieil orme près de la porte ; le côté jusque-là invisible du toit avait perdu presque toutes ses tuiles ; par en dessous, des chrysanthèmes sauvages croissaient, leurs fleurs blanches pointées vers le ciel ; autour de la maison, il y avait notamment de nombreuses touffes de lespédezas d'été couleur pourpre, mais si on regardait bien, on apercevait aussi, le long du chemin qui menait du portail à l'entrée, un bosquet de rosiers qui, privés de soins , ne portaient plus qu'un peu de fleurs chétives et une abondance de feuilles. Je m'aperçus que la porte en chêne, humide et lourde, était entrouverte. C'est de là que s'échappait le son de l'harmonium comme un fil à tisser, tandis que, dans les fleurs des champs (où l'on voyait aussi des lys tigrés), des araignées, des abeilles et des scarabées se reposaient comme s'ils étaient morts ; le silence de l'après-midi où, dans une accalmie momentanée, ne bruissaient même pas les branches de l'orme, ce silence d'un après-midi d'été où tout était doré et sans ombre, mais qui, en soi, faisait penser à minuit, on aurait dit que la musique de l'harmonium le rendait encore plus pesant avec ses multiples broderies. De plus, au son de l'orgue se mêlait une voix, discrète comme un papillon. C'était comme une petite truite qui frétille dans le ruissellement de la musique, avec ses écailles scintillantes ; je ne distinguais aucun des mots, mais il était évident que c'était la voix d'une très belle jeune fille....
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Cette opposition entre adultes et enfants pourrait créer un malentendu chez certains. Oui, un malentendu - ni plus ni moins. Car leurs reproches avaient pour présupposé leur domination sur l'univers des enfants. Ma grand-mère et mon père (ma mère était la seule à me comprendre) ne manquaient pas de tomber dans le même type d'erreur : ils se sont trompés sur moi et ils se sont trompés de thérapie. Jamais, en effet, la rêverie ne m'avait empêché de m'envoler. Il y avait longtemps que je m'étais envolé dans un autre type d'envol que celui qu'ils imaginaient...
C'étaient précisément eux qui empêchaient l'envol de mon naturel, mais souvent l'échec d'un acte est sauvé par la pertinence de son but. Dans mon cas, il y avait également des effets bénéfiques. Cela me permit de sortir d'une rêverie jusqu'alors entièrement passive et m'enseigna la courage d'assumer la rêverie. Les Mille et Une nuits, je devais les rédiger de ma propre plume sans compter sur les livres qui me seraient offerts. Je suis passé d'une simple absorption dans la rêverie au courage de l'assumer. Cela dit, il existe aussi un certain type de courage qu'il n'est possible d'acquérir qu'en passant par l'étape de l'absorption.
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… La rose, reliquat de l’été,
ne jouit en automne que d’un si bref sursis :
Le bonheur de t’avoir connu aujourd’hui
Rend éphémère ma vie qui se défait…
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