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Ryôji Nakamura (Traducteur)René de Ceccatty (Traducteur)
EAN : 9782070319459
304 pages
Gallimard (01/12/2005)
3.9/5   83 notes
Résumé :
Les sept nouvelles de Mishima rassemblées ici ont été publiées entre 1946 et 1965. Tout en couvrant une large période de la création littéraire de l'auteur, elles présentent cependant une étonnante unité autour du thème de l'amour.

Si la description de l'éveil d'un jeune garçon à la beauté de la nature et à l'amour dans un paysage magique de bord de mer nous frappe par son romantisme exalté - " Une histoire sur un promontoire " est écrite alors que l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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Profondément pessimiste Mishima ? Peut-être pas... Celui qui avait pour habitude de condamner la nature humaine et tout ce qu'elle représentait de plus abjecte à ses yeux, nous offre dans ce recueil sept nouvelles dans lesquelles il célèbre l'amour et la beauté tragique. Humeur mélancolique et tourmentée, à déguster tel un divin élixir qui nous donne l'illusion, le temps de cette lecture, d'entrevoir ce qu'il y a de plus laid dans la beauté et inversement ce qu'il y a de plus beau dans la laideur car oui, la douleur est belle chez Mishima, elle est toujours en contrepoint d'un amour quel qu'il soit, à l'image de chacun des personnages qui prend vie sous la plume de l'écrivain et dont les sentiments sont la plupart du temps douloureux et inassouvis.

Je me suis délectée de chacune de ces sept nouvelles. La nouvelle ayant pour titre "La lionne" m'a bouleversée. "Une histoire sur un promontoire", "Haruko", "Le cirque", "Papillon", "La lionne", "Un voyage ennuyeux" et "Une matinée d'amour pur" qui donne son titre au recueil , ont été publiées au Japon entre 1946 et 1965. Yukio Mishima avait à peine 21 ans quand il a écrit la première nouvelle. Elles ont toutes pour point commun de se dérouler au lendemain de la guerre sino-japonaise (sauf pour la dernière nouvelle) ce qui favorise l'atmosphère pernicieuse et mortifère qui plane sur ce recueil de la première à la dernière page. Les évènements terribles liés à l'invasion de la Mandchourie (Moukden) ou encore Nagasaki sont également évoqués en filigrane et viennent contraster avec la pureté quasi virginale qui émane de chacune des descriptions de l'auteur.

J'ai choisi aujourd'hui de vous parler plus précisément de trois nouvelles : "Une histoire sur un promontoire", "La lionne" et "Une matinée d'amour pur". Je vous laisse le soin de découvrir les autres.

Une histoire sur un promontoire...

"La sensation d'étrangeté atteindrait alors à son comble. Sur ce promontoire, dix à vingt minutes de promenade suffisaient pour pénétrer dans un univers de conte de fées."

Éloge de la rêverie, découverte de l'interdit et des premiers émois pour Aki-chan, petit garçon âgé de onze ans, originaire de Tokyo qui découvre les joies de la mer pour la première fois lors d'un séjour en famille sur la presqu'île de Bôsô. La baie des Hérons, petite plage perdue au milieu d'une nature brute et sauvage, paysages côtiers à perte de vue en contrebas d'un promontoire rocheux qui exerce sur ce petit garçon un attrait irrésistible, ce petit garçon qui est déjà très sensible aux nuances et aux teintes changeantes que lui offre le panorama et qui malgré son jeune âge, semble porter en lui une forme de gravité inquiétante.
Une maisonnette délabrée au bout du sentier tout en haut de ce promontoire, la mélodie d'un orgue qui résonne comme un chant funeste, la rencontre avec une mystérieuse jeune fille. Illusions d'optique, perspectives en trompe-l'oeil au gré d'un paysage qui ne cesse de se métamorphoser selon le point du jour, une partie de cache-cache pour notre petit narrateur et pour le lecteur...

La lionne...

"Depuis qu'elle avait assisté au spectacle atroce du rapatriement de Mandchourie, elle était devenue si sensible qu'elle avait écarté tout objet rouge de sa chambre. Mais, dans ses rêves, le sang coulait à flots."

Quand la Médée d'Euripide prend l'apparence d'une belle jeune femme naïve et fragile, issue de la haute bourgeoisie tokyoïte... Octobre 1946, résidence des Kawasaki, le maître de maison n'est plus, ses employés fidèles vivent dans le souvenir de cette demeure qui en un temps pas si lointain connut des jours fastes, et dans le dédain du nouveau maître de maison : Hisao, qui leur semble être la cause de tous les maux dont souffre sa jeune épouse, Shigeko, laquelle lui a donné un adorable fils, Chikao. La jeune femme est fragilisée par un séjour qu'elle a passé en Mandchourie dont elle garde des séquelles effroyables, elle est la plupart du temps laissée pour compte, bafouée par son lâche de mari qui la trompe impunément et elle n'a d'autre choix que de se venger et de mettre en oeuvre un plan dans lequel il n'y aura aucun compromis, aucun échappatoire, quitte à commettre le pire des crimes, froidement et sans remords aucun, contre sa propre chair, son propre sang. Quand la soif de vengeance dépasse l'amour qu'une mère porte à son enfant, la lionne jusque là endormie se réveille...

Une matinée d'amour pur...

"Quand on est allé danser, et qu'elle a avancé la bouche, ses lèvres prenaient une forme incroyable, un mélange de classe et de splendeur, une solennité de femme âgée, que je n'avais jamais connue. Au fond si elle avait eu les cheveux blancs et si elle avait laissé tomber son maquillage, j'aurais été capable de l'aimer d'avantage."

Tokyo, rives de la Tamagawa, courant des années soixante, un homme, une femme, respectivement âgés de cinquante et quarante-cinq ans cherchent à tout prix à conserver leur beauté originelle et moyennant une vie d'aisance qui le leur permet, ils usent de toutes les techniques qui sont à leur portée pour pouvoir conserver l'éclat de leur jeunesse passée. Mais est-il possible de retrouver l'éclat de ses vingt ans quand l'âme profonde en a quarante-cinq, quand le miroir renvoie ce qui n'est en définitif qu'une illusion ? À l'esprit nul ne saurait mentir sur l'âge... Vouloir retrouver la passion des premiers élans amoureux, ressentir le vertige du tout premier baiser échangé car nul autre n'aura plus jamais pareille saveur, Ryosûke et Reiko le savent et ne le supportent pas aussi ils tentent par tous les moyens de retrouver la sensation de ce premier baiser qu'ils échangèrent par un beau matin de mai, "un baiser pareil à l'éclat de l'aurore". Mais l'expérience n'est-elle pas sans risque lorsqu'elle compromet également la vie de deux jeunes innocents qui malgré eux deviennent les instruments d'un jeu pervers à l'issue macabre ?

Sept nouvelles magnifiques dans lesquelles l'âme respire par le corps et par la souffrance, l'auteur mélange subtilement les couleurs du beau et du laid pour nous offrir une peinture torturée et subtilement perverse. Quête d'absolu, d'extase, d'un moment qui a été et ne sera jamais plus comme ce premier baiser que Ryosûke et Reiko échangèrent autrefois, comme la mer en contrebas du promontoire qui se reflète dans les yeux d'un petit garçon au coeur pur. Dans ce recueil Mishima a su mettre magistralement en scène la beauté tragique comme il le fera quelques décennies plus tard avec sa propre mort.


La nostalgie camarade, la nostalgie camarade
Qu'est-ce qui te prend mon sucre de canne
De te klaxonner la gueule sombrer sur les récifs
De ta mémoire et revoir ton passif
En respirant la colophane

La nostalgie camarade, la nostalgie camarade
Il s'en passe des choses sous ton crâne
Rasé c'est plein de tristesse et de kif...
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« Une matinée d'amour pur » est un petit recueil de sept nouvelles qui offrent un éventail très large de textes autour du thème de l'amour.
La passion tortueuse, le désir obsessionnel, les tourments sexuels et de la jalousie corrosive sont admirablement explorés.

« Sous un ciel matinal ou plutôt celui d'une aurore blême, ils sortirent sur la terrasse ; ils sentirent chacun l'air de l'aube au bord des lèvres de l'autre, comme s'ils buvaient une menthe à l'eau, puis se donnèrent des baisers inlassablement, caressant avec la langue la chaleur de la cavité buccale où la fièvre de toute une nuit s'était insinuée. »

L'amour apparaît tel un prisme, prenant différentes formes, différentes nuances.
Amour passion, amour sensuel, amour intéressé, amour destructeur, amour avilissant, amour égocentrique, amour tragique, amour obsessionnel, amour maternel, amour filial, amour naissant.

Ainsi, Yukio Mishima compose des portraits fascinants, parfois dérangeants.

« Dans une absence redoutable de sincérité, il s'abandonnait au désir de mourir, sous ses coups, à petit feu. »

*
La plus grande force de ce recueil de nouvelles est de parvenir à créer un contraste saisissant entre une écriture lyrique, touchante, belle et un contenu sombre, inquiétant, voire malsain.
Touche par touche, tel un peintre avec sa palette de couleurs plutôt sombres et tranchées, l'auteur compose sept tableaux de maître, créant des compositions vivantes, douces, fortes, frappantes, voire choquantes.
J'y ai vu Edward Hopper dans les scènes intimistes.

Yukio Mishima insuffle une beauté sans pareille, de la grâce, même dans les moments les plus troublants.
Et alors que l'amour se veut échange et partage, il se dégage diverses impressions antinomiques : le silence, la mélancolie, la tristesse, la solitude, l'exclusion, la souffrance, la haine.

Malgré le format court de la nouvelle, l'auteur prend son temps pour décrire avec précision les scènes et instaurer un climat qui se tend inexorablement.
Une tension qui s'exerce à l'approche de la fin de chaque histoire, et cette impression obsédante, fascinante d'être aspiré dans l'intrigue.
Finalement, le lecteur se fait voyeur. Yukio Mishima n'a pas son pareil pour nous prendre par la main, tout en douceur, nous invitant à regarder par le trou de la serrure et découvrir des scènes intimistes, dramatiques.

*
A la puissance de l'écriture, s'ajoute le traitement psychologique des personnages. Avec beaucoup de poésie et d'acuité, en quelques coups de crayon, l'auteur dessine leur personnalité, rendant parfaitement compte de la complexité des sentiments et des émotions. Souvent peu attachants, parfois révélateurs de la médiocrité humaine, ils renforcent l'idée d'enfermement, d'oppression.

*
De peur de vous gâcher le plaisir de la découverte de ces très beaux textes, je ne vous parlerai seulement que de ceux qui m'ont laissé la meilleure impression.

Dans « Une histoire sur un promontoire », l'auteur nous emmène au bord de l'océan. J'ai ressenti de douces sensations, la chaleur du soleil sur la peau, les embruns salés, le fracas des vagues. Mais ces agréables impressions vont s'estomper progressivement et les délicates sensations de bien-être vont sombrer dans une atmosphère d'une « effrayante sérénité » : les mots, le silence, les couleurs, les odeurs, tout participe à créer cette atmosphère étrange.
Moment privilégié d'apaisement qui contredit une sensation de malaise. Je me suis demandée si le récit était réel ou pareil à un rêve, un cauchemar tout à la fois mélancolique et glaçant.
J'ai également aimé cette belle réflexion sur le devoir parental et la nécessité d'accompagner son enfant pour en faire un adulte responsable, de le guider sans le maltraiter ou l'empêcher d'exister.

«En me voyant plongé dans une rêverie, ils étaient loin de concevoir que, dans mon for intérieur, je déployais les ailes sous un vaste firmament, d'une constellation à l'autre ; ils ont ainsi arraché de force la toile d'araignée scintillante qui s'accrochait à moi, mais ce qu'ils prenaient pour une toile d'araignée n'était en réalité que mes ailes, aussi fragiles que celles d'un éphémère. »

*
Dans « la lionne », l'amour devient une haine féroce et tragique.
Le démon de la jalousie plante ses griffes aussi acérées que celles d'un fauve, dans la chair la plus tendre.

« À la différence du bonheur qui est tel un fantôme qui échappe à la vie, ce malheur est complètement collé à la vie : c'était cette vie qu'elle désirait maintenant plus que tout. »

*
"Une matinée d'amour pur" est peut-être la nouvelle qui m'a laissé la plus forte impression.
L'impression d'un énorme gâchis. Ce couple laisse un souvenir de décadence et de perversité.
Vivre dans un bonheur illusoire, quoi de plus triste !

« Sous un ciel matinal ou plutôt celui d'une aurore blême, ils sortirent sur la terrasse ; ils sentirent chacun l'air de l'aube au bord des lèvres de l'autre, comme s'ils buvaient une menthe à l'eau, puis se donnèrent des baisers inlassablement, caressant avec la langue la chaleur de la cavité buccale où la fièvre de toute une nuit s'était insinuée. »

*
Passé le plaisir de la découverte, j'ai été fascinée par ces petites histoires dont la narration parfaitement maîtrisée, offre toute une gamme d'émotions. J'ai été également séduite par la grâce de l'écriture, belle, touchante, obsédante qui explore les méandres du désir.
Une lecture envoûtante que je vous conseille.

Cette lecture m'a gentiment été proposée par Sachka et Berni_29 qui ont eu un beau coup de coeur pour ce roman. Je vous encourage à aller lire leurs billets qui sont tout simplement superbes.
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Les nouvelles de ce recueil sont tragiques. Elles ont pour thème commun la passion amoureuse, déclinée sous différentes formes. Mishima écrit la première," Une Histoire sur un promontoire" en août 1945 à vingt ans et, rappelant cette période, il notera plus tard : « Dix-sept ans se sont écoulés depuis la fin de la guerre, et pourtant la réalité me paraît encore incertaine, éphémère, provisoire : cela dépend peut-être de mon tempérament : il y a dix-sept ans, l'impression véhémente d'une époque où à tout moment tout pouvait être détruit par un bombardement qui aurait effacé en un instant ce qui existait jusque-là ne s'est pas encore évanouie en moi". La description de la passion s'accompagne de la conscience de sa fin. La mort est toujours fortement esthétisée, toujours érotisée, parfois à la limite du soutenable.
A l'exception notable de la nouvelle éponyme qui clôt le recueil, toutes sont des nouvelles de jeunesse.
La nouvelle Papillon (folio 2 euros) a déjà fait l'objet d'un billet.


Une histoire sur le promontoire (1945) **** raconte l'éveil d'un jeune garçon rêveur, échappé pour un court moment de la surveillance oppressante des adultes. Il découvre la beauté merveilleuse d'un paysage à pic de la mer. Il rencontre un jeune couple qui se joue de sa naïveté. Il apprend « une vérité qu'on ne peut facilement transmettre aux autres, vérité que, bien des années plus tard, je devais poursuivre dans mes errances, vérité pour laquelle j'étais prêt à donner ma vie ". Une nouvelle romantique, entre rêverie et réalité, racontée avec beaucoup de lyrisme.

Haruko (1947).*** Haruko est la tante par qui le scandale est arrivé dans la famille. Elle était était partie avec le chauffeur de la maison. Il est tué à la guerre. Elle revient à la maison accompagnée de sa belle soeur. Haruko initie son neveu à la sexualité loin, très loin de la platitude attendue et insuffle " une nouvelle façon de vivre qui devait (le) menacer et (le) fasciner ». Une nouvelle très libre. .

Le cirque (1948) * Nouvelle cynique et sadique. le directeur d'un cirque, dont «peu de gens savaient avec quelle passion il pouvait aimer ceux qui enduraient sa cruauté» s'organise pour voir chuter en pleine représentation publique deux jeunes amants qui avaient tenté de fuir sa cruauté.

Papillon (1948) : ***revisite Madame Butterfly. Une jeune geisha tombe amoureuse d'un marin de passage du nom de Pinkerton. (voir billet dédié).

La lionne (1948) : *revisite le Médée d'Euripide de manière particulièrement abominable. Une femme amoureuse comprend que son mari volage la trompe avec la fille de son patron et qu'il est résolu à divorcer. Sa vengeance sera terrible.

Un voyage ennuyeux (1949) :* un étudiant de 22 ans accompagne sa maîtresse en voyage à Kyoto. Il se retrouve bientôt en possession de 5000 yens. Ils inversent les rôles. «Tu m'achètes donc? Elle s'excita et versa des larmes de joie en prenant les 5000 yens de la main de Tsutomu.» Bof.

Une matinée d'amour pur (1965).*** La nouvelle a une forme originale et une portée symbolique. Elle est en deux parties. La seconde est théâtrale. Un couple vieillissant et passablement narcissique vit dans le souvenir éternel de leur « matinée d'amour pur ». Pour régénérer leur passion et retrouver les sensations du premier baiser, ils manipulent un couple de jeunes.


Ce recueil permet de se familiariser avec les obsessions et les motifs littéraires de Mishima. Mais je n'ai pas éprouvé un plaisir impérissable.
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Sept nouvelles publiées par Yukio Mishima entre 1946 et 1965 composent ce recueil qui porte le titre éponyme de la dernière, Une matinée d'amour pur.
J'ai été, dans le très bon sens du terme, bousculé par la puissance narrative et parfois déroutante de l'auteur. Je devais sans doute ressemblé à cet enfant de la première nouvelle qui s'intitule Une histoire sur un promontoire, égaré dans un paysage onirique, poursuivant presque désespérément ce couple qui disparaît dans l'écho lointain de la mer. Il y a en effet quelque chose de fabuleux et d'étrange dans ces différents récits, même si certains ressemblent à des chroniques de faits divers presque sordides...
L'écriture de Yukio Mishima est un art qui déstabilise. Elle est d'une incroyable maîtrise tout en touchant à la grâce.
Ce n'est pourtant pas lui qui a choisi de rassembler ces nouvelles, mais les traducteurs, Ryôji Nakamura et René de Ceccatty, qu'il faut bien sûr ici saluer pour avoir su si bien restituer la saveur et l'étrangeté des mots de l'auteur. Des textes certes différents les uns des autres, mais reliés par une véritable unité autour du thème de l'amour.
Connaissant encore peu Yukio Mishima, je découvre ici une écriture intelligente, sensuelle, raffinée.
Alors l'amour chez cet écrivain, du moins dans ce recueil, parlons-en. Ici l'amour me paraît loin d'être un long fleuve tranquille. Il faudrait plutôt parler d'amours subversives ou interdites... La retenue des sentiments comme des digues fragiles semble tenir dans un équilibre instable l'expression d'une violence sourde de la passion amoureuse.
D'ailleurs, l'amour n'est pas le seul thème et tout ici est en contrepoint, la pulsion de l'amour répond à celle de la mort.
Le vertige de la beauté, l'éveil des sens jusqu'à l'incandescence, répondent à la face obscure de l'âme, le faux répond au vrai. Ici, l'innocence de l'enfance n'existe pas, ou du moins guère longtemps, un cynisme douloureux teinté de perversion vient compléter le tableau pour rappeler que ces récits évoquent chacun à leur tour une déambulation dans la nature humaine, vous savez ce paysage qui forme notre quotidien...
Pourtant, il y est question de pureté, ou plus exactement d'une quête de la pureté, thème ô combien oriental, mot cher au bouddhisme. La pureté, je devrais peut-être plutôt parler de purification, ressemble à une porte d'entrée dans chacun de ces récits... Et la mort en serait une forme d'aboutissement logique...
Comment ne pas alors songer à la manière dont est mort Yukio Mishima ?
Ces nouvelles semblent se parler entre elles comme des miroirs, ainsi que leurs personnages. Par moments, ceux-ci semblent hantés par quelque chose qui les dévastent, même leur beauté ici est tragique, même leurs blessures semblent belles...
Les mots de Yukio Mishima sont affutés comme la lame d'un wakizashi, juste avant le seppuku.
C'est vertigineux, sensuel et beau.
Merci à toi Gaëlle de m'avoir offert l'envie et la possibilité de me jeter dans ce recueil sublime, avec l'émotion d'un marin breton rejeté par la mer.
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Une matinée d'amour pur rassemble sept nouvelles de Yukio Mishima : Une histoire sur un promontoire (1946), Haruko (1947), le cirque, Papillon, La lionne (1948), Un voyage ennuyeux (1949), Une matinée d'amour pur (1965). Ces courts textes sont tous d'une qualité impressionnante et plongent le lecteur dans de courts récits captivants.
Je ne vais pas faire un résumé de ces nouvelles, pour des raisons matérielle que l'on voudra bien me pardonner, mais je vais en revanche tenter de restituer mes remarques et impressions générales ainsi que quelques points plus spécifiques de la manière la plus claire possible.

L'avantage de ce livre est qu'il rassemble six textes appartenants au début de carrière de l'auteur, en ce sens ils permettent au lecteur de bien saisir le style de Mishima à cette époque ainsi que ses thèmes de prédilection, tout en percevant les évolutions de l'écrivain dans une phase de maturation de son art. À ce titre, la dernière nouvelle vient gâcher la cohésion du livre, puisqu'elle appartient aux dernières années de Mishima...

Ce qui frappe d'abord c'est le style noble de Mishima, sobre et élégant, il instille une atmosphère raffinée en clair obscur aux nouvelles, et plonge le lecteur en connexion profonde avec l'univers si particulier de Mishima.

L'autre aspect le plus aboutit de ces nouvelles est leur remarquable construction. L'alternance de scènes d'action et d'autres plus calmes se fait sans temps morts, et aucune ligne ne semble superflue, les commentaires de l'auteur contribuant à renforcer la puissance des récits.

On se plonge d'autant plus avec passion dans ces nouvelles qu'elle proposent la vision de personnages animés de sentiments exacerbés qui les occupent et parfois les dépassent. On a souvent l'impression que le sentiment prend le pas sur le rationnel chez les personnages, livrés aux affres de l'amour, de la vengeance, de la nostalgie... Ces sentiments permettent au lecteur d'entrer pleinement dans l'histoire, car la force de ceux créent des réaction chez le lecteur, qui s'efforce de comprendre les agissements ou plus simplement ce qui anime les personnages.

Au delà de ces aspects, ces nouvelles permettent d'avoir une cristallisation efficace de certains thèmes chers à Mishima.
Le lecteur à d'abord le thème de la vengeance. Chez Mishima, le personnage qui souhaite se venger ne le fait pas immédiatement. La vengeance chez l'auteur est calculée, planifiée et ne vise par seulement à répondre au tort commis. Elle a un but de destruction intégrale de l'autre personnage, soit sur le plan physique en commettant le meurtre du personnage (Le cirque, une matinée d'amour pur) ou sur le plan psychologique avec la froide volonté de faire un mal irréparable à l'autre (La lionne, Une matinée d'amour pur ). Elle se fait dans une flambée de violence intense et destructrice, qui tranche avec le calme déterminé éprouvé par celui qui la commet.
Ces nouvelles livrent une bonne vision de la conception de l'amour chez Mishima. L'amour spontané semble être proscrit, car soit il s'est émoussé au cours du temps, soit il se heurte à l'incompréhension et a la trahison et à la jalousie. Cet amour mène soit le couple à sa perte, car cet étalage de pureté est insupportable aux autres qui le détruisent (le cirque). Parfois le couple distendu constate son incompréhension, ce qui provoque sa dissolution, soit dans une amertume douce mais aussi dans la violence ( La lionne, Un voyage ennuyeux).
En tout les cas, la vision de Mishima, au delà de son pessimisme, fait de l'amour une jeu soumis à des règles et aux actions des personnages. Solder un amour déçu nécessite dans ces nouvelles des vengeances raffinées et radicales des personnages, l'amour se muant en haine violente. Toutefois, l'entretenir ou le créer paraît aussi compliqué, l'amour ne se conservant que par la nouveauté, fournie par des jeux complexes, troubles et souvent cruels.

En outre ces nouvelles nous montrent un Japon partagé entre le mode de vie traditionnel et celui de l'Occident, qui s'entremêlent dans plusieurs nouvelles.

Je vais maintenant évoquer quelques points plus spécifiques.
Une histoire sur un promontoire montre les influences de jeunesse de Mishima, d'abord membre de l'école lyrique Japonaise ( son premier roman, non traduit, Une forêt toute en fleurs, l'atteste ). On peut voir un style lyrique, aux phrases longues et poétiques qui fait bonne place à l'éloge de la nature par de longues descriptions. Ce texte ne m'a, à titre personnel, pas plu car on voit bien la volonté de Mishima de coller au romantisme, et on ne sent pas la personnalité de Mishima assez transparaître, l'auteur s'embourbe dans des descriptions...
La lionne est une interprétation de la pièce Medée, d'Euripide par Mishima.

Si je devais avoir un coup de coeur, il se porterait sur Papillon et Une matinée d'amour pur. Pour moi, elles sont vraiment les plus abouties.

Mishima livre ici un recueil d'une force surprenante, d'une utilité littéraire très haute et nous fait ici la preuve éclatante de son immense talent dans le genre des textes courts. Un bel échantillon de ce que fait Mishima, que je conseille vivement.
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
Je m'apprêtais à affronter la mer avec cette joie exubérante qui, dans nos rêves, nous permet de pratiquer avec maestria l'équitation ou le violon, même si nous n'avons pas le moindre talent : toujours est-il que j'étais impatient de partir, en imaginant, par-delà la peur que m'inspirait l'apprentissage de la nage, l'excitation que j'éprouverais à l'instant où je réussirais à nager. Ce n'était pas la première fois que je voyais la mer, mais je crus y déceler, contrairement à la montagne, l'origine de quelque chose qui m'avait longtemps attiré sans que je pusse y atteindre. J'étais d'autant plus fasciné et séduit que j'étais terrifié et exaspéré. Car me manquait le courage de m'abandonner tout à fait à cette effervescence qui s'offrait à moi et me submergeait. J'y aurais vu une sorte de profanation de cet azur des possibles. Fuyant de toute mes forces les leçons de natation et passant des journées entières à regarder la mer, je savourais un bonheur suprême. Non seulement le fracas de la houle, qui célébrait une messe perpétuelle, résonnait dans mes tympans, nuit après nuit, dans la villa éloignée de la plage, au pied de la colline, mais, dans mes rêves, cette mer qui avait envahi les terres à notre insu, sans le moindre bruit, avançait jusqu'à la véranda, et l'on voyait, dans le jardin inondé, passer un banc de petites dorades rouges par-dessus les fleurs de pourpiers. De la maison, on ne distinguait pas la plage, mais plus loin, la pleine mer, le ciel et le promontoire, et, par-dessus l'entrée de la baie, quelques lambeaux de nuées lacérées qui brillaient en silence et semblaient faire une halte en pleine errance. Même le vert banal du promontoire estompait ses nuances subtiles d'une heure à l'autre. Celui du jour tirait plutôt sur le calme indigo, mais lorsque le soleil était sur le point de sombrer et que la baie entière baignait dans une luminosité triste et nue, il gagnait en vive fraîcheur...
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En remuant ces souvenirs, il songeait au pouvoir surnaturel de celui qu'il était maintenant bien obligé d'appeler "maître" et qui avait attiré une demoiselle de bonne famille de Tôkyô jusqu'à ce trou de Moukden : s'il comparait avec sa propre expérience, lui qui n'avait pas connu d'autre femme que son épouse à présent décédée, il ne pouvait s'empêcher d'y voir l'influence d'un astre néfaste. Au fond de lui, il ressentait pour cet homme le plus parfait mépris : à la différence de son prédécesseur, le nouveau maître faisait preuve d'une franche gentillesse envers les membres de son personnel au point même de leur rapporter des souvenirs de ses voyages, et l'intendant devait prendre sur lui pour ne pas se laisser attendrir. Dans l'esprit de Yokoi, le maître aurait manifesté un plus grand respect à l'égard du personnel en s'interdisant au contraire toute familiarité : la gentillesse venant d'un maître lui apparaissait comme un affront.
- Moi, ce que je pense, c'est que le nouveau Maître a une certaine prestance.
Yokoi s'indigna.
- Je n'aime pas ses dents en or.
- Mais il n'en a que trois.
Elle les avait bien comptées, il faut dire que Katsu, qui avait assisté à l'évacuation des moindres objets pendant la guerre, était le genre de femme capable de dire de mémoire le nombre de mouchoirs dans tel ou tel tiroir.

... Le jardin arrière ombragé commençait à s'éclaircir, comme s'il reprenait forme peu à peu. La lumière précise de l'automne créait, avec la rangée de cyprès, des ombres striées sur le sol du jardin. Les deux vieux craintifs, à cette vue, se souvenaient malgré eux de la tenture de deuil qui avait été tendue aux funérailles de leur maître.

(Extrait de la nouvelle "La lionne")
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Ce qui me fit rêver, ce n'était pas l'affaire elle-même qui, somme toute, avait tout d'une opérette, mais les énigmatiques sinuosités de la vie qu'elle devait mener plus tard. Lorsque la platitude de ma propre existence me pesait, je rêvais toujours à la désinvolture de ma tante, à ses jours aussi solitaires et périlleux qu'un numéro de funambule.

Quel sort fut réservé à la "scandaleuse" ? Elle fut bientôt oubliée. Elle eut alors le sentiment d'avoir été rayée de son propre passé. Car ce qu'elle avait été s'était dissous dans la mémoire des autres, quoique ce qu'elle était à présent eût toujours été à la merci de celle des journaux : quand elle était en présence des autres, ils pensaient à ce qu'elle avait été plutôt qu'à ce qu'elle était devenue. De plus, maintenant, elle-même se tournait avec une telle intensité vers ce qu'elle avait été, alors que ce qu'elle avait été n'était plus tourné vers ce qu'elle était devenue.

Les multiples lèvres qui ont murmuré sur son compte, les oreilles innombrables qui ont été tendues vers elle, les millions d'yeux qui ont dévoré ses photos, il est impossible qu'ils n'aient pas fini par influer sur la vie de Haruko. Elle n'avait plus d'autre choix que de vivre comme ils l'espéraient ou comme ils le redoutaient. Elle ne pouvait plus vivre à sa guise.

Pourtant, n'y avait-il pas une autre manière de vivre pour elle ? Qui ne fût ni attendue ni inattendue. Une façon de vivre violente, propre à elle seule. C'est de ça que je rêvais et à quoi j'aspirais pour elle.

(Extrait de la nouvelle "Haruko")
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Elle s'est déshabillée dans le noir, puis elle a sauté sur moi, comme prise de panique, mais ce n'était pas de la panique, c'était une joie atrocement violente et sincère. Je connais pas mal de filles, mais elles m'embêtent souvent, parce qu'elles répriment souvent leur plaisir à cause d'une curieuse vanité, ou parce qu'elles calculent tranquillement pour elles-mêmes leur plaisir, elles expriment leur plaisir parcimonieusement comme des chats, elles traduisent le langage du sexe dans le langage sans intérêt de l'esprit, elles lancent des formules romantiques qui sont complètement à côté de la plaque.

Mais cette quadragénaire était la plus féminine de toutes mes rencontres. Elle s'était fondue dans l'obscurité, comme la Voie lactée dans le ciel d'une nuit d'été, en dégageant une vague lumière laiteuse. Au milieu des sanglots, elle a pris mon visage plusieurs fois, comme dans un délire. Quand elle s'est assurée que j'étais bien là, elle m'a chuchoté d'une voix à peine audible : "Ryôsuke..."

À cause de la dope, je m'en moquais et je la caressais encore plus intensément. Elle a peut-être répété ce prénom masculin quatre ou cinq fois. Puis, comme pour vérifier ce nom, elle vérifiait ma peau.

Extrait de la nouvelle "Une matinée d'amour pur".
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Est-ce grotesque ? Est-il impossible de faire comprendre à autrui une illusion aussi subjective de la beauté ? En fait, dès l'instant où ils cessèrent d'avoir vingt-trois et dix-huit ans, c'est à dire dès l'année suivante, c'était devenu l'objectif essentiel de leur vie ou plutôt face à la vie. Ils mirent de l'acharnement à s'y tenir. Ils revenaient à leur première vision, autant de fois qu'il le fallait, et l'extraordinaire jeunesse de leur apparence les y aidait.

Pourtant, cette jeunesse avait des limites. Peu à peu, ils commençaient à éviter la lumière crue du jour, tout autant que la lumière artificielle de la nuit, pour préférer l'éclairage subtil du crépuscule ou de l'aube. Dans ces lueurs floues mais naturelles, l'homme de cinquante ans et la femme de quarante-cinq ans bénéficiaient de la délicatesse innée qui ne gardait de leur visage qu'un contour. Ils avaient compris que ce n'était que dans ce halo que la nature adoucissait la cruauté de ses lois, en maintenant dans sa fraîcheur le reflet de leur lointaine jeunesse, comme une aurore sur un flanc de montagne.


Extrait de la nouvelle "Une matinée d'amour pur".
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Vidéo de Yukio Mishima
Yukio Mishima (1925-1970), le labyrinthe des masques (Toute une vie / France Culture). Diffusion sur France Culture le 20 février 2021. Un documentaire d'Alain Lewkowicz, réalisé par Marie-Laure Ciboulet. Prise de son, Philippe Mersher ; mixage, Éric Boisset. Archives INA, Sandra Escamez. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. 25 novembre 1970 : Yukio Mishima, écrivain iconoclaste japonais âgé de 45 ans, met en scène sa propre mort ; alors qu’il s’apprête à quitter le monde, il livre à son éditeur "La mer de la fertilité", véritable testament littéraire et spirituel de cet auteur tourmenté, fasciné par la mort rituelle. Cet homme nostalgique, avec son goût du vertige et de l'absolu, son amour des corps vierges et des âmes chevaleresques, sa quête effrénée des horizons perdus laisse une œuvre considérable qui raconte sans aucun doute la recherche d’une pureté illusoire et la laideur du monde. Lectures de textes (tous écrits par Mishima) : Barbara Carlotti - Textes lus (extraits) : "Patriotisme. Rites d’amour et de mort" (film de et avec Yukio Mishima, 1965. À partir de "Yūkoku", nouvelle parue en 1961) - "Confessions d’un masque" - "Le Lézard noir" - "La Mer de la fertilité". Archives INA : Ivan Morris et Tadao Takemoto - Flash info annonçant la mort de Mishima le 25 novembre 1970. Extraits de films : "Mishima" de Paul Schrader (1985) - "Le Lézard noir" de Kinji Kukasaku (1968) - Extrait du discours de Mishima juste avant son seppuku, le 25 novembre 1970.
Intervenants :
Pierre-François Souyri, professeur honoraire à l’université de Genève spécialiste de l’histoire du Japon Fausto Fasulo, rédacteur en chef des magazines "Mad Movies" et "ATOM" Tadao Takemoto, écrivain, spécialiste et traducteur de Malraux au Japon et vieil ami de Mishima Dominique Palmé, traductrice de Mishima chez Gallimard, spécialiste de littérature japonaise et de littérature comparée Julien Peltier, spécialiste des samouraïs, auteur de plusieurs articles parus sur Internet et dans la presse spécialisée, en particulier les magazines "Guerres & Histoire (Sciences & Vie)" et "Actualité de l'Histoire". Il anime également des conférences consacrées aux grands conflits de l'histoire du Japon Thomas Garcin, Maître de conférences à l’Université Paris 7 - Diderot, spécialiste de Mishima et de littérature japonaise Stéphane du Mesnildot, critique de cinéma, et spécialiste du cinéma japonais
Source : France Culture
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