Tout commence par des sonneries stridentes, dans le vide, cinquante au moins, « Interdiction absolue d'aller dans mon bureau. C'est la règle de papa. ». Interdiction absolue d'y pénétrer, interdiction absolue, il va sans dire, de répondre sur sa ligne privée. Curieusement depuis peu, il ne mettait plus son répondeur, le même que celui de «
James Garner dans la série Deux Cents Dollars plus les frais, celui avec les grosses bobines. ». Alors il y va, Jason, il y va malgré l'interdiction formelle, et puisque ni sa mère ni sa soeur n'entendent rien, l'une accrochée à son aspirateur, l'autre enfermée dans sa chambre avec « Don't You Want Me » à plein tube dans les oreilles. Et quand il entre dans le fameux bureau, il ne peut s'empêcher de penser à la femme de Barbe-Bleue pénétrant dans le cabinet interdit, « (il n'attendait que ça, Barbe-Bleue, n'empêche. »).
Au bout du fil, personne, enfin si, juste la musique de « 1, rue Sésame » et les pleurs d'un bébé…
Bizarre, étrange… Suspect ? Pas encore, enfin pas vraiment pour lui, pas pour le moment. Et pourtant, le « secret » est déjà là, en germe, prêt à revêtir toutes les apparences, prêt à se lover un peu partout… Des apparences à la réalité, il y a une distance presque aussi infranchissable que celle qui le sépare du fond de la forêt.
Nous sommes en plein dans les années 80, entre guerre des Malouines et dame de fer, en Angleterre, dans le Worcestershire exactement….
Jason a treize ans, un bégaiement obstiné qui le prend à la gorge exactement au moment où il le faudrait le moins et un amour des mots et des rimes qu'il cache avec énergie à tout son entourage. C'est sûr, si on savait que le poète Eliot Bolivar dont les textes paraissent dans gazette locale, c'est lui, il se ferait étriper, voire pire par ses camarades… Pas évident d'aimer les mots et de ne pouvoir les prononcer à volonté, bloqués qu'ils sont tout au fond de sa gorge. Alors il reste silencieux souvent, pour sauver ce qui peut l'être encore, d'apparence. Car il importe de jouer les durs à cuire dans un monde adolescent où la loi du plus fort, entre racket et persécution des plus faibles, est la règle… Passer pour un idiot peut-être, certainement pas pour un bègue et pire pour un poète. Mais il y a la forêt, toute proche, profonde, un peu inquiétante aussi, mais où au moins on peut être soi-même, sans restriction. Et dans la forêt il y a toutes sortes de choses et de gens étranges, un univers fantasque qui s'ouvre au jeune adolescent, presque pour lui seul…
Il n'y a pas d'âge pour être poète, l'enfance est même le terrain idéal, l'angle de vision unique par lequel aborder instinctivement le monde et le merveilleux qui se tapit dessous. Jason a ce don, celui de voir et de ressentir sans pédanterie ni forfanterie, et il n'est pas dit que le Pendu qui lui serre la gorge et lui vole les syllabes de la bouche, ait le dernier mot.
Le fond des forêts regorge de personnages tout droit sortis des contes, de maisons brinquebalantes habitées par d'étranges mais gentilles sorcières, de châteaux abandonnés où pourrait bien rôder Frantz de Galais, de chiens meurtriers…. Et des secrets aussi, il y en a…
Les secrets qui enflent et qui devront bien exploser (ou pas) pour le meilleur ou pour le pire, mais ce sera, alors, la fin de l'enfance…
Lien :
http://lily-et-ses-livres.bl..