Quel plaisir d'accueillir à Marseille le surdoué des lettres britanniques, l'un des écrivains les plus originaux du moment, auteur d'une oeuvre inclassable d'où surgissent des sortes de méta-romans qui naviguent entre les genres littéraires. David Mitchell est avec nous pour son dernier opus, qui réussit une fois de plus le pari de nous surprendre. Car ce n'est pas spontanément sur le terrain du rock et des Swinging Sixties que l'on attendait celui qui fut l'un des scénaristes du dernier Matrix, compagnon des Wachowski qui ont adapté au cinéma l'un de ses romans les plus célèbres, Cartographie des nuages (Cloud Atlas sur grand écran).
Londres, 1967. Dans l'effervescence de la culture pop et de la minijupe, se crée Utopia Avenue, un improbable groupe de folk-rock psychédélique, « the most curious British band you've never heard of », dont on va suivre l'ascension fulgurante (et bien sûr la chute calamiteuse). Managé par Levon Frankland, dont le chapeau en fourrure et les lunettes bleues le rangent d'emblée dans la case « queer beatnik », ce groupe fictif se compose de la chanteuse folk Elf Holloway, à l'évidence taraudée par sa sexualité ; du bassiste Dean Moss, empêtré dans un passé familial traumatique ; de Jasper de Zoet, dont le génie à la guitare est perturbé par des hallucinations auditives qui l'amèneront à fréquenter une étrange clinique ; et du batteur Griff, dont on ne sait pas grand chose
On plonge avec frénésie dans une ville où le sexe est partout, où le LSD circule librement dans les clubs et les studios, croisant avec jubilation Syd Barrett, Leonard Cohen, Francis Bacon ou Janis Joplin. Un vent de liberté souffle sur Londres, même si le père d'Elf lui rappelle que sa banque n'emploie pas de femmes mariées, et même si la propriétaire de Dean, qui l'a mis dehors, affiche sur la fenêtre un panneau indiquant qu'elle ne loue ni aux Noirs ni aux Irlandais
Un grand roman aux accents de biographie rock, comme une série d'albums composés de chansons qui vous trottent longtemps dans la tête
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Un entretien avec David Mitchell (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/david-mitchell/) animé par Yann Nicol (https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/yann-nicol/), traduit de l'anglais par Valentine Leÿs et enregistré en public au théâtre de la Criée à Marseille, en mai 2022 lors de la 6e édition du festival Oh les beaux jours !.
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À lire
David Mitchell, Utopia Avenue, traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Nicolas Richard, L'Olivier. En librairie le 20 mai 2022.
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Montage : Clément Lemariey
Voix : Nicolas Lafitte
Musique : The Unreal Story of Lou Reed by Fred Nevché & French 79
Un podcast produit par Des livres comme des idées (http://deslivrescommedesidees.com/).
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La 7e édition du festival Oh les beaux jours ! (https://ohlesbeauxjours.fr/) aura lieu à Marseille du 24 au 29 mai 2023.
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Imaginez, en l'espace de vingt, trente, cinquante ans, on serait vingt, trente, cent milliards d'êtres humains à cannibaliser un monde ravagé. On se noierait dans notre propre merde tout en continuant à s'entre tuer pour le dernier sachet de soupe lyophilisée du dernier supermarché qui tient encore debout.
Un livre à moitié lu est une aventure amoureuse inachevée.
" Ces sortes de tourments existentiels dont tu souffres prouvent que tu es humaine." Je lui demandai comment remédier à ces souffrances.
"On n'y remédie pas. On vit avec."
Un livre que vous avez lu n'est plus ce qu'il était quand vous l'avez commencé.
A book you finish reading is not the same book it was before you read it.
À l'échelle d'un individu, l'égoïsme enlaidit l'âme ; à l'échelle humaine, l'égoïsme signifie l'extinction.
Une fois votre passage initiatique dans le monde de la vieillesse effectué, la société ne veut plus de vous. De par notre simple existence, nous autres, j'entends quiconque ayant dépassé la soixantaine, commettons deux infractions. La première est le manque de vitesse. Nous conduisons, marchons, parlons trop lentement. L'humanité traite avec les dictateurs, les pervers et les barons de la drogue, mais ralentir son allure ? C'est inacceptable !
La seconde tient au fait que nous incarnons le memento mori de tout un chacun. Tant que nous restons invisibles, le monde continue à trouver la paix dans un refus naïf de la mort.
Et seulement à votre dernier souffle, enfin comprendrez-vous que votre vie n’a guère davantage compté qu’une goutte dans l’infini de l’océan ! Cependant qu’est-ce qu’un océan, sinon une multitude de gouttes ?
Quel prophète du commerce aurait prédit, disons en l'an 1700, que les roturiers consommeraient du thé et du sucre par sacs entiers ? Quel sujet de William ou de Mary aurait anticipé que les masses éprouveraient le "besoin" d'avoir des draps en coton, le "besoin" de consommer du café et du chocolat ? Les besoins de l'Homme sont sujets aux modes ; et à l'instar de ces nouvelles nécessités qui chassent les précédentes, le monde lui aussi change de visage.

Mes aventures dernières me rendent philosophe, notamment à la nuit tombée, lorsque je n'entends que le bruit du ruisseau qui réduit les rochers en cailloux dans une tranquille éternité. Ainsi voguent les pensées. Les érudits relèvent les mouvements de l'histoire puis en déduisent des règles régissant l'avènement et le déclin des civilisations. Cependant, ma croyance est tout autre. À savoir, que l'histoire n'admet aucune règle : seuls les résultats importent.
Ce qui provoque des résultats ? Les agissements, vils ou vertueux.
Ce qui provoque les agissements ? La foi.
La foi est victoire et bataille ; elle siège tant en l'esprit qu'en son miroir : le monde. Si nous avons foi en ce que l'humanité est semblable à une échelle que gravissent les tribus, un Colisée où sévissent le conflit, l'exploitation d'autrui et la sauvagerie, pareille humanité sera assurément amenée à exister, et tous les Horrox, Boerhaave et Goose de l'histoire l'emporteront. Vous et moi qui sommes aisés, privilégiés, fortunés, ne devrions pas souffrir dec ce monde, chanceux que nous sommes. Grand bien nous fasse si notre conscience nous démange : pourquoi renoncer à la prédominance de notre race, de nos flottes, hêritage et legs ? Pourquoi lutter contre le "naturel" (ô perfide mot) ordre des choses ?
Pourquoi ? En voici la raison : un beau jour, un monde totalement voué à la prédation brûlera de lui-même. Et j'ajoute que le Diable procédera du moindre au majeur, jusqu'à ce que le majeur devienne moindre. À l'échelle d'un individu, l'égoïsme enlaidit l'âme ; à l'échelle humaine, l'égoïsme signifie l'extinction.
Notre perte serait donc inscrite en notre nature ?
Si nous avons foi en ce qu'il demeure possible à l'humanité de transcender ses crocs et griffes, si nous avons foi en ce que des hommes de races et de croyances diverses sauront partager la planète et rester en paix, à l'image de ces enfants juchés sur leur kukui, si nous avons foi en ce que les dirigeants doivent être justes ; que la violence doit être muselée ; le pouvoir, responsable ; et les ressources de la Terre et de ses océans, équitablement réparties, alors ce monde-là verra le jour. Je ne me fais point d'illusions. Parmi les possibles, celui-ci est le plus difficile à concrétiser. De laborieux progrès obtenus sur plusieurs générations menaceront à tout instant de disparaître sous la plume d'un président myope ou l'épée d'un général vaniteux. (p712, Ewing)
Nous ne sommes que ce que nous savons, et moi, je souhaitais être tellement plus que ce que j'étais.