Les autres boutiques de la galerie Vivienne semblaient fermées depuis un siècle. Derrière la vitrine d'une maison d'éditions musicales, trois partitions jaunies d'Offenbach. Je m'asseyais sur une valise. Pas un bruit. Le temps s'était arrêté quelque part entre la monarchie de Juillet et le second Empire. Au fond du passage, la librairie jetait une lumière épuisée et je distinguais à peine la silhouette de Mme Petit-Mirioux. Jusqu'à quand monterait-elle la garde? Pauvre vieille sentinelle.
Je pense en ce moment à la vanité de mon entreprise. On s’intéresse à un homme, disparu depuis longtemps. On voudrait interroger les personnes qui l’ont connu mais leurs traces se sont effacées avec les siennes. Sur ce qu’a été sa vie, on ne possède que de très vagues indications souvent contradictoires, deux ou trois points de repère. Pièces à conviction ? un timbre-poste et une fausse légion d’honneur. Alors il ne reste plus qu’à imaginer. Je ferme les yeux. Le bar du Clos-Foucré et le salon colonial de la « Villa Mektoub ». Après tant d’années les meubles sont couverts de poussière. Une odeur de moisi me prend à la gorge. Murraille, Marcheret, Sylviane Quimphe se tiennent immobiles comme des mannequins de cire. Et vous, vous êtes affalé sur un pouf, le visage figé et les yeux grands ouverts.
Quelle drôle d’idée, vraiment, de remuer toutes ces choses mortes.
Vous restiez impassible, les yeux plissés. Peut-être me preniez-vous pour un agent provocateur. Je me suis rapproché de vous.
Je vous répète que je resterai avec vous jusqu'à la fin de ce livre, le dernier concernant mon autre vie. Ne croyez pas que je l'écris par plaisir, mais je n'avais pas d'autre possibilité.
Poisseux et exalté, comme le sont les Russes, passé minuit.p.107
Elle passa toute son adolescence dans un quadrilatère limité au nord par l'avenue Daumesnil, au sud par les quais de la Rapée et de Bercy. Ce paysage n'a jamais attiré beaucoup de promeneurs. Par endroits, vous vous croyez perdu au fond d'une lointaine province et, si vous longez la Seine, vous avez l'impression de longer un ancien port désaffecté. Le passage du métro aérien sur le pont de Bercy et les bâtiments de la morgue ajoutent à l'irrémédiable mélancolie du lieu. dans ce décor ingrat, il existe pourtant une zone privilégiée qui aimante les rêves: la gare de Lyon.p.74
La lumière du lustre est aussi vive que celle d'un projecteur. Elle pèse sur ma tête comme une chape de plomb. Et je transpire si fort aux poignets que j'ai l'impression d'avoir les veines ouvertes et de perdre tout mon sang.
Ainsi, vous étiez un homme de paille qu’on liquide le moment venu. Votre disparition ne ferait pas plus de bruit que celle d’une mouche.
Un cheval, ça se travaille aux éperons et à la cravache !
Et puis je me souviens que nous avons acheté une limousine d'occasion .Nous faisions ,à bord de cette vieille talbot ,des promenades nocturnes dans Paris.Avant de partir ,il y avait toujours la cérémonie du tirage au sort. Une vingtaine de petits papiers ,dispersés sur la table bancale du salon.Nous en choisissions un ,au hasard,où était inscrit notre itinéraire. Batignolles-Grenelle.Auteuil-Picpus.Passy-la Villette.Ou bien nous appareillions vers l'un de ces quartiers aux noms secrets: Les Epinettes, la Maison-blanche, Bel-Air, l'Amérique, la Glacière, Plaisance,la Petite-Pologne......( page 98).